Progressivement, les entreprises de l’ESS se montrent pionnières en matière de transition écologique. Comment ce mouvement, initialement social, a-t-il pris en compte la question écologique ? Revenons sur l’histoire de cette mue écologique de l’ESS.
Au départ, l’Économie sociale et Solidaire (ESS) est avant tout liée à la question sociale. Le concept d’ESS naît au XIXe siècle, à l’époque où se structurent les rapports économiques et les rapports de classes de l’économie capitaliste, et regroupe des personnes qui se constituent autour d’une volonté commune de créer une société aux valeurs humanistes, faite d’échanges, de convivialité et d’entraides. L’ESS prendra plusieurs formes au fil de décennies, passant de l’association ouvrière à la coopérative, avant de rejoindre progressivement les formes plus proches de l’entreprise sociale que l’on connaît aujourd’hui.
Mais de plus en plus, l’ESS s’engage sur d’autres combats, et notamment sur la transition écologique. Les acteurs de l’ESS aujourd’hui parlent de recyclage, d’économie circulaire, de soutenabilité, sans perdre pour autant de vue leurs combats historiques autour des inégalités, de la précarité et de l’inclusion. Leur ambition est même de « réussir une transition écologique juste », comme le propose le groupe de réflexion du Labo de l’ESS dans un récent rapport publié en mars 2023.
Aux racines des combats de l’ESS
Historiquement, l’ESS regroupait des structures qui n’entraient pas vraiment dans les cases de l’économie de marché. Il s’agissait de coopératives, de structures mutualistes, qu’on ne pouvait pas vraiment qualifier “d’entreprises”. Leur objectif : répondre à des besoins d’intérêt général, défendre des causes sociales, grâce à des systèmes de gouvernance démocratiques.
Ce n’est que tardivement, en 1977 que l’on commence réellement à parler d’entreprises de l’ESS. C’est le sociologue français Henri Desroche (1914-1994) qui propose le terme « d’entreprise de l’économie sociale », comme le relate Danièle Demoustier, économiste à l’Institut d’Études Politiques de Grenoble en France, dans un article publié dans la revue internationale de l’économie sociale (Recma).
Depuis, l’ESS s’est structurée, progressivement, au fil des lois et des normes qui ont encadré ce secteur si particulier de l’économie. Si bien qu’aujourd’hui, différentes structures juridiques sont reconnues comme structures de l’ESS à l’instar des coopératives, des associations, des mutuelles, des fondations ou des entreprises sociales. L’ESS représente 10,5% de l’emploi salarié en France, dont les missions et les valeurs correspondent aux critères fixés par la Loi de l’Économie sociale et solidaire du 31 juillet 2014.
Mais le combat de l’ESS reste le même : pour être faire partie de l’ESS, les organisations se doivent en premier lieu de produire des biens ou de proposer des services d’utilité sociale. Elles doivent aussi faire en sorte que les bénéfices créés par cette activité restent « majoritairement consacrés à l’objectif de maintien ou de développement de l’activité de l’entreprise ». L’ESS vise à permettre une répartition plus juste des richesses étant donné que la finalité de l’entreprise n’est plus l’accumulation de richesses et qu’elle se dote d’un cadre pour la redistribution des profits.
Près de deux cents ans après la création de premières structures de l’ESS, c’est donc toujours la préoccupation sociale qui est au cœur du mouvement ESS. L’objectif central des structures de l’ESS demeure le même : permettre à toutes et à tous de s’émanciper. Et pour cela, un travail doit être fait dans les sociétés pour réduire les inégalités sociales et économiques et offrir une dignité à chaque individu.
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Sociale, écologique : d’une transition à l’autre
Et ce combat est loin d’être gagné : les inégalités persistent, et même se creusent depuis une trentaine d’années. Les écarts de richesse croissent entre les habitants des pays, les personnes les plus aisées profitant grandement des crises économiques, sanitaires, énergétiques, géopolitiques pour accroître leurs fortunes personnelles. Tandis que la classe moyenne s’effrite en Europe, la fortune des milliardaires français a augmenté de 86% entre mars 2020 et octobre 2021, selon un rapport de l’ONG Oxfam.
À ces inégalités sociales s’ajoute une autre forme d’inégalités : les inégalités environnementales. Les personnes les plus pauvres sont actuellement les plus touchées par la crise environnementale en cours, que ce soit autant face aux pollutions qu’aux futurs événements climatiques extrêmes. Et comme le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) le rappelle, la crise écologique est déjà bien présente. Il ne suffit plus de prévenir la destruction de l’environnement, il faut dorénavant que les populations s’adaptent à un monde plus chaotique.
Les inégalités sociales et environnementales se superposent et s’alimentent donc, et précarisent encore les populations. Il n’est donc pas étonnant que certaines entreprises de l’ESS s’engagent progressivement à associer les enjeux sociaux et environnementaux. Il existe ainsi des entreprises de l’ESS qui ont déjà bien intégré les enjeux environnementaux, comme celles de la gestion des déchets, des énergies renouvelables, la mobilité ou l’agriculture (avec par exemple les AMAP). Mais de plus en plus, c’est l’ensemble des structures de l’ESS qui souhaite s’engager, après la transition sociale, dans la transition écologique. Objectif : faire l’alliance entre le social et l’environnemental comme le défendent les mouvements écologistes au moins depuis les années 1970.
L’ESS : levier d’une transition écologique et sociale juste
L’ESS entend donc devenir un levier pour une transition écologique et sociale juste. C’est en tout cas ce qu’affirme le Labo de l’Économie sociale et solidaire (ESS), un groupe de réflexion spécialisé dans les démarches ESS, qui définit la transition écologique juste comme « une transformation radicale et démocratique de notre société visant à assurer tant la soutenabilité écologique de cette dernière qu’une réponse digne et suffisante aux besoins de tou·te·s et l’émancipation de chacun·e ».
Le rapport publié par le Labo de l’ESS décrit ainsi 7 grands chantiers pour contribuer au déploiement d’une transition écologique qui considérera les personnes les plus vulnérables dans : l’alimentation, le logement, le mobilier et l’électronique, la culture et le divertissement, la santé, le travail et l’engagement, en enfin la mobilité.
Et l’ESS joue déjà un rôle dans de nombreux projets clefs de la transition écologique et sociale autour de ces chantiers : les coopératives agricoles, pour un système alimentaire durable et juste, les mutuelles, les habitats alternatifs, pour résoudre la crise du logement, les ateliers de réparation d’équipement électronique, les cafés ou bars associatifs, mais aussi les coopératives bancaires solidaires, les jardins partagés… Ces projets n’attendent qu’à être généralisés, et une majorité des Français (63%) semble vouloir également que l’ESS joue un rôle dans la transition écologique comme l’indique un sondage Groupe VYV/ViaVoice.
Reste à savoir si l’ESS saura conserver ses valeurs en se développant et en s’ouvrant au reste du monde économique pour y exporter son double combat, social et environnemental. Les débats actuels dans le microcosme ESS laissent la question grande ouverte.
Climate inequality report 2023, Fair taxes for a sustainable future in the global South. (2023). WID – World Inequality Database.
France, O. (2022, janvier 16). La fortune des milliardaires a davantage augmenté depuis le début de la pandémie qu’en une décennie. Oxfam France.
LOI n° 2014-856 du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (1), 2014-856 (2014).
Réussir une transition écologique juste—Rapport d’étude. (2023). Le Labo de l’économie sociale et solidaire.
The World Inequality Report 2022 presents the most up-to-date & complete data on inequality worldwide. (2022). World Inequality Lab.
Photo de Carlos Pernalete Tua, Pexels