L’écologie devait être au cœur du second mandat du président de la République commencé l’an dernier et de celui de la Commission européenne qui s’achève cette année. Mais le contexte économique, géopolitique et social rebat les cartes. Le cap et surtout la mise en oeuvre de la transformation environnementale nécessaire face au changement climatique et l’effondrement de la biodiversité est aujourd’hui incertain à l’échelle des deux territoires. Le mouvement agricole, en France comme en Europe, montre ces tensions. Décryptage.
L’écologie « à la française » à l’épreuve de la réalité climatique
« Le quinquennat sera écologique ou ne sera pas » avait promis le candidat Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle de 2022. Avec une méthode spécifique déployée depuis septembre : « l’écologie à la française ». Basée sur l’incitation et l’arrêt des « normes inutiles » plutôt que la contrainte, celle-ci doit inciter les Français à « aller plus vite » sans les braquer. Le gouvernement y voit la stratégie idoine pour apaiser la contestation sociale, notamment agricole, alors que « les agriculteurs ont le sentiment de faire face à un Etat qui contrôle plus qu’il n’accompagne », estime ainsi le Premier ministre Gabriel Attal. Mais alors que le Haut Conseil pour le Climat assure qu’il faut doubler le rythme annuel de réduction de nos émissions de CO2 pour respecter les objectifs européens de 2030, la méthode interroge sur sa capacité à transformer suffisamment le pays au regard des défis écologiques. D’autant que le remaniement de janvier qui relègue le ministère de la Transition écologique au 11ème rang protocolaire sur 12 et écartèle ses missions avec les ministères de l’Economie et de l’Agriculture, inquiète les associations environnementales sur le cap et la mise en œuvre de la planification écologique.
Le Réseau Action Climat (RAC) vient ainsi d’envoyer une lettre ouverte au Premier ministre pour lui demander de ne pas « reléguer la planification écologique au second plan ». Si les questions agricoles sont aujourd’hui sur le devant de la scène, le cap de la transition énergétique est aussi menacé, estime le réseau: « la réduction du champ de compétences de son ministère avec l’énergie placée dorénavant sous le pilotage du ministère de l’Économie et des Finances, nous fait craindre une moindre prise en compte des enjeux environnementaux et une moindre priorisation du développement des énergies renouvelables et des économies d’énergie ». L’une des mesures phares annoncées par le Premier Ministre le 26 janvier pour répondre aux revendications des agriculteurs formalise ses craintes. En renonçant à augmenter progressivement les taxes sur le gazole non routier (GNR) négocié à l’automne avec la FNSEA, le gouvernement recule en effet sur l’arrêt progressif des subventions aux énergies fossiles, pourtant l’un des grands leviers de la transition écologique.
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Le Green Deal sous les coups de butoirs populistes
Au niveau européen, l’avenir et la mise en œuvre du Pacte Vert qui doit conduire l’Union sur la voie de la neutralité carbone en 2050 est lui aussi fragilisé. A quelques mois du renouvellement du Parlement, nationalistes et populistes ont fait de l’amenuisement des normes environnementales portées par le Green Deal, le paquet législatif destiné à le mettre en œuvre (le fit for 55), et sa déclination agricole traduite par la stratégie « de la fourche à la fourchette », leur cheval de bataille. La loi sur la restauration de la nature ou les émissions industrielles en ont déjà fait les frais. Et la crise agricole européenne pourrait exacerber le phénomène, souligne le chercheur en sciences politiques Théodore Tallent dans une tribune publiée dans le Monde. Alors que les « les agriculteurs se sentent négligés et incompris par leurs représentants politiques », les partis populistes « cherchent à saisir cette occasion pour renforcer leur influence » en « capitalisant sur les peurs et les incertitudes en s’attaquant aux institutions et aux législations en place », explique-t-il. Or, alors que la Commission européenne doit présenter le 6 février prochain une ambition de décarbonation renforcée pour 2040, le scénario envisagé mise sur le secteur agricole et notamment l’élevage. Celui-ci devrait être clé à la fois pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et augmenter l’absorption des puits de carbone par les sols et les forêts, assure le quotidien Contexte qui a pu se procurer la version provisoire de la communication européenne sur la cible climatique pour 2040.
Agriculture et écologie : fausse opposition et vrai besoin de transformation
L’Agriculture est montrée de façon simpliste comme le symbole des tensions sur les questions d’environnement, avec des mouvements paysans– aux origines différentes- qui se multiplient dans les différents pays d’Europe. En France, le « ras le bol des normes environnementales » est mis en avant par la FNSEA pour expliquer la colère du secteur qui se manifeste actuellement par de multiples blocages routiers. « Sortir des incohérences du Green Deal et de la planification écologique » , notamment sur les pesticides ou la question des carburants, tient ainsi une place importante dans les revendications portées par le syndicat agricole majoritaire au gouvernement. Mais comme le rappelle la députée et agricultrice (Renaissance) Sandrine Le Feur sur LinkedIn, « ce ne sont pas les normes environnementales qui acculent les agriculteurs. (…) Ce sont les revenus qui stagnent voire qui baissent, car la valeur est captée par les industriels et la grande distribution, qui n’appliquent pas encore correctement les lois EGALIM. » 18% des agriculteurs français sont aujourd’hui sous le seuil de pauvreté, soit 5 points de plus que pour les autres activités, selon l’INSEE.
Malgré ce contexte social tendu, le secteur doit se transformer pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre et s’adapter au changement climatique, souligne le Haut Conseil pour le climat dans son dernier rapport. Le système alimentaire et la production agricole sont en effet à la fois « en première ligne des défis climatiques » – la sécheresse de 2022 a causé entre 2 et 4 milliards d’euros de pertes aux éleveurs français selon le rapport- et « jouent un rôle central dans l’atteinte des objectifs climatiques » puisque le système alimentaire représente 22% de l’empreinte carbone de la France. Mais cette transformation doit être juste et ne pas peser sur les seuls agriculteurs, souligne le HCC . Or, c’est loin d’être le cas aujourd’hui : « L’action publique reste principalement cantonnée aux deux extrémités du système alimentaire : les agriculteurs et les consommateurs« , explique le rapport. Quand « peu d’actions publiques sont mises en œuvre pour cibler les acteurs les plus influents des systèmes alimentaires comme les industries agroalimentaires, les distributeurs et la restauration commerciale, les producteurs d’intrants, les importateurs ou la finance« . C’est pourtant l’ensemble de la chaine de valeur qui doit se transformer.
Au niveau européen, une vaste consultation stratégique sur l’avenir de l’agriculture dans l’Union qui vient d’être lancée arrive donc à point nommé. Au menu : les revenus et les conditions de vie des agriculteurs, l’impact du changement climatique et de la transition écologique ou encore l’innovation et la compétitivité du système alimentaire de l’Union. En France, alors que le blocage se durcit malgré les mesures gouvernementales, le salon de l’Agriculture qui s’ouvre le 24 février prochain s’annonce comme un évènement majeur pour repenser la politique agricole. Reste à voir si le dialogue pourra s’imposer alors que certains agriculteurs appellent à boycotter le rendez-vous.
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