Règlementation. Vanter les mérites d’un vol ou d’une gourde « neutre en carbone » ou d’un sac « biodégradable » grâce à des systèmes de compensation carbone sera bientôt interdit dans l’Union européenne. Une nouvelle directive va en effet plus loin que la loi Climat et résilience française qui encadrait déjà ces pratiques. Et ces promesses trompeuses sont de plus en plus mises en cause dans le monde. Explications.
« Respectueux de l’environnement », « naturel », « biodégradable », « neutre pour le climat » ou « écologique », labels autoproclamés…ces promesses qui se multiplient ces dernières années devraient disparaitre de toute communication autour des produits des marques européennes, que ce soit dans les publicités, sur les étiquettes ou les sites internet. C’est en tout cas l’objectif affiché pour 2026 de la directive européenne destinée à « donner aux consommateurs les moyens d’agir en faveur de la transition verte ». Il était temps : selon une étude européenne, 53,3 % des 150 déclarations environnementales évaluées en 2020 par la Commission étaient trompeuses ou infondées. Rien qu’en France, un quart des 1100 établissements contrôlés par la DGGCRF en 2023 sur des produits non alimentaires et services mettaient en avant des « allégations globalisantes, non justifiées, imprécises, ambiguës ou même contraires aux dispositions légales » susceptibles de tromper le consommateur.
Un encadrement européen des allégations et labels
Le nouveau texte va donc interdire les allégations selon lesquelles un produit a un impact « neutre en carbone, réduit ou positif sur l’environnement » grâce à des systèmes de compensation des émissions. La crédibilité et l’efficacité de ces mécanismes sont en effet mis en cause par plusieurs études et enquêtes. En France, jusqu’à présent l’allégation de neutralité carbone restait possible – y compris grâce à la compensation. Cependant, la loi Climat et résilience avait posé des conditions strictes* et ce terrain de communication était déjà très glissant puisque la neutralité carbone n’a de sens qu’à l’échelle globale (voir l’avis de l’Ademe). Mais le texte européen signe enfin son « arrêt de mort » pour tous les produits, assure l’avocate Clémentine Baldon qui représente plusieurs associations dans leurs actions judiciaires concernant l’utilisation d’allégations environnementales trompeuses.
Fin de partie aussi pour les labels autoproclamés ou fantaisistes. Ceux-ci ont proliféré ces dernières années. Il en existe 230 différents sur le marché de l’Union européenne et plus de 450 au niveau mondial, selon la Commission européenne. Le nouveau texte n’autorisera plus que ceux fondés sur des systèmes de certification officiels ou établis par des autorités publiques. Les garanties sur l’usage ou la réparabilité du produit seront également davantage encadrées : la mention sur la durée de vie d’un produit devra porter sur les conditions réelles d’utilisation (ex : X heures pour une batterie, X cycles de lavages pour une machine à laver) et un label harmonisé distinguera les produits ayant une période de garantie prolongée. Enfin, les incitations à remplacer les consommables comme les cartouches d’encres seront interdites.
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Un renversement de la charge de la preuve
Le texte doit encore obtenir la validation du Conseil européen (qui s’était déjà accordé sur le fond avec le Parlement) et être transposé par les Etats. Mais pour le Bureau européen des Unions de consommateurs (BEUC), la directive va « apporter des changements importants dans le paysage juridique ». Beaucoup la considère comme la plus ambitieuse au monde. En effet, alors que « c’est en principe aux associations de démontrer qu’une allégation est trompeuse, ce qui peut être long et complexe, le texte va en quelque sorte inverser la charge de la preuve, en la faisant peser sur les entreprises si elles ont recours aux allégations mentionnées dans le texte », précise de son côté Clémentine Baldon à Youmatter.
« Les investissements des entreprises dans des projets de protection du climat sont les bienvenus et, bien entendu, ils peuvent toujours être communiqués », tient cependant à préciser Anna Cavazzini, eurodéputée écologiste et présidente de la commission du Marché intérieur et de la protection des consommateurs (IMCO) du Parlement européen à The Guardian. Mais « les entreprises ne pourront plus tromper les gens en disant que les bouteilles en plastique sont acceptables parce que l’entreprise a planté des arbres quelque part — ou dire que quelque chose est durable sans expliquer comment », précise Biljana Borzan, la députée croate qui portait le texte pour le Parlement européen. Les méthodologies qui seront autorisées pour permettre aux entreprises de justifier ces allégations devraient être précisées dans une autre directive baptisée « Green Claims ». Mais les débats sont vifs, notamment sur les limites de l’analyse du cycle de vie, et l’adoption de cette directive d’ici les élections européennes de juin est encore incertaine.
Quelles sanctions pour les entreprises ?
Les sanctions seront fonction des législations nationales, lors de leur transposition et seront intégrées dans la directive existante sur les pratiques commerciales déloyales (UCPD). Aujourd’hui, en France, les allégations environnementales trop vagues entrent déjà dans le cadre des pratiques commerciales trompeuses et peuvent donc faire l’objet de poursuites pénales, civiles ou administratives. Au pénal, les amendes peuvent théoriquement aller jusqu’à 1,5 million d’euros, 10% du chiffre d’affaires et deux ans d’emprisonnement. C’est la voie qu’a choisi Zéro Waste en attaquant Adidas et New Balance. Quant au civil, plusieurs affaires sont en cours, notamment celle de Greenpeace/Notre Affaire à Tous/Les Amis de la Terre contre TotalEnergies sur sa trajectoire de neutralité carbone 2050. Elle a été jugée recevable en mai 2023. Problème : ces démarches sont souvent longues et coûteuses pour les plaignants. Des sanctions administratives peuvent également être prises par la DGCCRF. Elles peuvent aller d’un avertissement au signalement au parquet des pratiques les plus graves. C’est ce qu’à déjà fait l’autorité de la répression des fraudes lors de son enquête de 2023 sur les allégations environnementales des produits non alimentaires.
Au niveau européen, la directive européenne existante sur les pratiques déloyales a déjà permis à des associations de consommateurs de porter des affaires en justice comme celle du BEUC contre 17 compagnies aériennes comme Air France, KLM ou Ryanair au motif que celles-ci mentionnaient que le trafic pouvait être “durable”, “écoresponsable” et “vert” dans leur publicité ou à travers des offres de compensation carbone. Toutefois, avec le nouveau texte, il sera « plus facile pour les associations de consommateurs d’intenter des actions, car les nouvelles règles s’attaqueront plus explicitement au blanchiment écologique », précise à Youmatter Patrycja Gautier, chef d’équipe pour les droits des consommateurs du BEUC.
En savoir plus : une norme internationale pour mieux encadrer la « neutralité carbone » des entreprises
Un risque de réputation déjà important
Au-delà de l’UE, l’allégation de « neutralité carbone » est également en sursis. Une norme d’application volontaire ISO 14068, est en cours d’élaboration pour encadrer les crédits carbone et l’allégation de neutralité carbone. Et les actions en justice se multiplient déjà contre les entreprises sur ce sujet. Selon le Grantham Research Institute sur le changement climatique, entre 2015 et 2022, plus de 80 entreprises ont été poursuivies en justice pour avoir fait de fausses déclarations sur leurs actions climatiques ou ne pas avoir tenu leurs promesses en la matière. Evian (Danone) vient d’en faire les frais. Des consommateurs américains ont intenté une class action contre la marque d’eau en bouteille française en expliquant qu’ils ne l’auraient pas acheté s’ils avaient su que le processus de fabrication de Danone émettait du CO2 ou entraînait d’autres formes de pollution. Face au risque de réputation, plusieurs marques comme Nespresso ont retiré la mention de neutralité carbone qui figurait sur leur produit ou leur site internet.
En attendant, pour aider les entreprises à communiquer de façon responsable, le Conseil national de la consommation a publié un guide pratique à leur intention. S’il n’a pas de valeur réglementaire, « il constitue un document de référence qui décrit l’état du droit et qui fixe des lignes directrices au regard des connaissances scientifiques du moment pour le recours à des allégations environnementales ».
*Un décret de la loi Climat et résilience demande de rendre public le bilan des émissions de GES sur l’ensemble du cycle de vie du produit ainsi que la trajectoire des émissions prévues et les modalités de compensations résiduelles pour pouvoir communiquer sur la neutralité carbone.
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