Enjeux. Avec le changement climatique, les événements météorologiques extrêmes vont se multiplier. Canicules, sécheresses, inondations, ont déjà des conséquences très concrètes sur les entreprises. Et celles-ci vont s’exacerber. C’est donc dès maintenant qu’il faut intégrer les risques climatiques dans sa stratégie pour les éviter, les réduire ou s’y adapter. La preuve par l’exemple.
Des conditions de travail dégradées
En 2022, la chaleur a provoqué la perte de 490 milliards d’heures de travail dans le monde, notamment dans les pays aux niveaux de revenus faibles. Un chiffre en hausse de presque 42 % par rapport à la période 1991-2000, selon une étude de 114 chercheurs de 52 institutions de recherche (OMS, OMM…) parue dans la revue britannique The Lancet. L’étude en conclut que ces pertes d’heures de travail, dues aux journées écourtées, les malaises et les risques en termes de sécurité, représentent un manque à gagner de 863 milliards de dollars sur 2022. Parmi les secteurs les plus à risque : l’agriculture, le BTP, le tourisme mais aussi la restauration. D’ici 2030, 2% des heures de travail seront perdues dans le monde du fait de températures insoutenables, soit l’équivalent de près de 80 millions d’emplois à temps plein, selon l’OIT.
En 2022, en France sept personnes sont officiellement décédées des suites de la canicule sur leur lieu de travail. Mais la manière de compter et la difficulté à estimer les conséquences des températures extrêmes laissent penser que ce chiffre est sous-estimé, estime Médiapart. Et le risque va aller grandissant. Entre 14% et 36% des travailleurs sont exposés à des fortes chaleurs (49% en Outre mer) selon une note d’analyse de France Stratégie.
Une altération de la chaine logistique
Inondations, sécheresses, tempêtes ou fortes chaleurs…Les événements météorologiques extrêmes qui vont se renforcer avec le changement climatique peuvent peser sur la continuité de l’activité des entreprises. “Toutes nos infrastructures logistiques, que ce soit des routes, des ponts, des rails, des ports, des aéroports…sont météo sensibles”, rappelle ainsi Théo Girard, consultant senior chez Carbone 4 dans un webinar sur “Les entreprises face aux risques physiques liés à la dérive climatique”. Ainsi, en 2023, la chaîne d’approvisionnement des entreprises s’est vue à plusieurs reprises grippée par les restrictions drastiques de circulation mises en place dans le canal de Panama pour cause de sécheresse sévère. C’est loin d’être anecdotique : chaque année, la voie navigable permet le transit de près de 250 milliards d’euros de marchandises selon Bloomberg. Alors que 5% du commerce mondial maritime emprunte cette voie, la réduction du nombre de passage des bateaux a fait exploser les délais de livraison de certaines entreprises et renchérit leur coût.
Là encore, la France n’est pas épargnée: entre 2022 (l’année la plus chaude jamais enregistrée dans l’Hexagone) et 2021, la SNCF a constaté une hausse de 600% des incidents dus à des aléas climatiques. Si l’on prend l’exemple des fortes chaleurs, elles ont été responsables de 20% de suppressions des trains. Et 10 000 heures de retard ont été imputées aux intempéries.
Une dégradation de la production, avec un coût financier à la clé
Retards voire ruptures dans la chaîne d’approvisionnement, difficulté à travailler ou baisse de la productivité voire de la production, erreurs, baisse de la qualité, hausse du prix des matières premières, les conséquences du changement climatique ont un impact sonnant et trébuchant sur les finances de l’entreprise. En 2022, des inondations dévastatrices en Afrique du Sud ont engendré près d’1 milliard de dollars de dommages à l’usine Toyota de Prospection. En cause : la destruction de 4300 véhicules, 3 mois d’arrêt de la production ayant conduit à une perte de production de 45 000 véhicules, ou encore le besoin de renouveler plus de 100 000 équipements endommagés.
En France, le prix des matières premières agricoles a flambé en 2022 sous l’effet de la sécheresse. Cela s’est notamment vu sur les oléagineux qui ont vu leur prix augmenter de près de 40% entre 2022 et 2021, selon le Haut Conseil pour le climat. Plus globalement, d’après le gouvernement, si rien n’est fait pour s’adapter aux risques climatiques, la France pourrait perdre d’ici 2030 entre deux et cinq points de PIB.
Un risque juridique et réputationnel
Ne pas prendre en compte les risques climatiques peut conduire à des drames et à des poursuites judiciaires. La justice américaine a ainsi déclaré PG&E, le principal distributeur d’électricité et de gaz californien, comme coupable des dizaines de méga-incendies qui se sont déclarés en 2017 sur son territoire, notamment en raison du manque d’entretien de ses installations électriques. Ruinée par les dommages réclamés (30 milliards de dollars) et la perte de 90% de sa valeur en bourse, l’entreprise a été renflouée par l’Etat californien. Si elle a échappé de peu à la faillite, sa réputation est durablement entachée. Plus d’une centaine de personnes sont en effet mortes dans ces incendies et plusieurs milliers d’autres ont perdu leur maison. Le scénario s’est rejoué en 2023 à Hawaï, où le comté de Maui a été ravagé par des mégafeux. Là encore la compagnie locale d’électricité, Hawaïan Electric fait l’objet d’une action judiciaire de la part de la collectivité pour manque d’entretien et négligences. Plus d’une centaine de personnes ont péri dans ces incendies.
L’action ou l’inaction des entreprises en matière de changement climatique et plus largement écologique est devenu un critère de sélection des candidats sur le marché de l’emploi, souligne également Carbone 4. En France, selon une étude de l’Apec de 2023, 56 % des cadres peineraient à se projeter dans une entreprise qui ne fait pas d’effort pour réduire son impact environnemental. Selon une enquête du collectif d’étudiants de grandes écoles, Pour un réveil écologique, si les conditions de travail et de rémunération restent prioritaires dans le choix de l’entreprise où ils espèrent travailler, la dimension environnementale est un critère fort pour près de 80% d’entre eux.
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Pour certains secteurs, la pérennité du modèle d’affaires en sursis
Certains secteurs sont particulièrement affectés par le changement climatique et pourraient disparaître à terme. Une note de France Stratégie sur le coût de l’inaction climatique met en avant celui du tourisme de ski qui « a été et demeure pionnier dans l’analyse des risques climatiques« . Une étude publiée en 2019 dans The Cryosphere sur les conséquences du changement climatique dans les Pyrénées montre qu’à +2°C de réchauffement global, la moitié des stations de France et d’Espagne ne pourraient plus fonctionner selon les critère actuels d’exploitation, même à l’aide de neige artificielle.
Mais d’autres secteurs, comme l’agriculture ou la viticulture, sont aussi en sursis, du moins en partie. Dans son rapport sur l’adaptation, Carbone 4 relaie l’inquiétude de certains acteurs de l’agro-alimentaire : « faudra-t-il relocaliser certaines productions ? cesser d’investir dans d’autres » ?
Problème : « malgré la matérialité de ce risque physique lié au changement climatique, celui-ci n’est pas toujours identifié et quand il l’est il est peu ou mal gouverné », souligne Théo Girard. Qui souligne à la fois le manque de culture du risque et de moyens humains mis en oeuvre pour y faire face.
Photo : US department of Agriculture / Flikr