Enjeu. Les pays de l’Union européenne se sont engagés à atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050. Mais à moins de 6 ans des premières échéances, le gouvernement français n’a pas encore donné un cap clair quant au visage que prendra son mix énergétique, brique cruciale pour la décarbonation. Face au nucléaire que le gouvernement souhaite relancer, les énergies renouvelables semblent laissées de côté. 

Atteindre la neutralité carbone. C’est l’objectif du Green Deal européen pour 2050 que l’Union européenne doit désormais mettre en oeuvre. Pour ce faire, dans sa communication sur la trajectoire 2040, la Commission plaide pour le développement de toutes les énergies bas-carbone : l’éolien, l’hydroélectrique, l’hydrogène mais aussi le nucléaire. Longuement délaissé au niveau européen, l’atome reprend en effet sa place dans la stratégie climatique européenne, poussée depuis plusieurs mois déjà par la France qui défend une « énergie décarbonée » au sens large. 

Celle-ci a ainsi obtenu des concessions ouvrant la porte au nucléaire dans la stratégie de décarbonation de l’UE et y compris dans la directive RED III sur les énergies renouvelables (via la production d’hydrogène notamment). En marge du texte législatif, un texte écrit de la Commission précise ainsi que « d’autres sources d’énergies sans fossile que les énergies renouvelables contribuent à atteindre la neutralité climatique d’ici 2050« . Et l’Union vient de lancer une alliance industrielle pour développer les petits réacteurs nucléaires (SMR).

Pourtant, au niveau français, le gouvernement est embourbé dans la constitution de son mix énergétique pour les prochaines décennies. En janvier, l’ex-ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier Runacher, tablait sur 60% d’énergie décarbonée dans notre consommation d’ici 2035 en pariant notamment sur la relance du nucléaire. Mais la loi Souveraineté, censée organiser pour les 15 prochaines années le mix énergétique, et engager une décarbonation sérieuse de la production d’énergie prend du retard. L’avant-projet de la loi, prévu pour juillet 2023 n’a finalement été présenté par le gouvernement qu’à la fin de l’année 2023, tronqué de la plupart des objectifs quantifiés liés aux énergies renouvelables. Une disparition dénoncée par les ONG environnementales membres du Conseil national de la transition écologique (CNTE) qui regrettent dans un communiqué que la loi souveraineté a “perdu sa boussole”.

Pour aller plus loin : La Commission européenne précise sa feuille de route pour 2040

Un flou préjudiciable à la transition énergétique

Ce flou sur la trajectoire du mix devient cependant un “problème” en particulier pour les professionnels de l’énergie qui doivent être en mesure de se projeter afin de déclencher un véritable plan industriel, estime Anna Creti, professeure d’économie à l’Université de Paris Dauphine-PSL.  

Il est difficile d’être cohérent pour organiser une baisse de la consommation d’énergie et une électrification des usages sans savoir comment l’énergie bas-carbone doit être produite dans le détail”, rappelle la professeure lors d’un webinaire organisé par l’association Expertises Climat sur la planification énergétique. 

On veut massivement électrifier tous les usages, avec l’idée d’accroître la consommation finale d’énergie de 10 à 15 TWh par an, soit l’équivalent de la production d’un EPR chaque année mais qu’on en lance 6, 8 ou 20, ils n’arriveront sur le réseau au mieux à partir de 2035”, abonde Andreas Rüdinger, coordinateur sur la transition énergétique française pour l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), lors du webinaire. Dans ce cadre, les énergies renouvelables seront indispensables dans les prochaines décennies pour assurer la décarbonation du mix énergétique, selon le chercheur.

Mais il faudra alors que la France double sa production d’EnR électrique d’ici 8 ans, et double sa production de chaleur renouvelable sur la même période pour raccrocher aux objectifs de décarbonation, estime-t-il.  

La France en dehors des clous sur les EnR

D’autant plus que la France souffre déjà d’un retard conséquent dans le déploiement des EnR sur les objectifs fixés par l’Europe. Si le développement des énergies renouvelables a connu une forte accélération depuis 2021 sur le territoire, celui-ci reste bien en deçà de la progression nécessaire au respect des objectifs fixé par l’Europe à la France d’avoir au moins 40% de part renouvelable dans la consommation d’électricité du pays d’ici 2030. Le pays vient en effet tout juste de dépasser les 28 %, selon le Baromètre 2023 des énergies renouvelables électriques en France, présenté fin janvier par l’organisme indépendant Observer’ER, la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et l’Agence de la transition écologique (Ademe). 

Dans ce cadre, la France fait figure de cancre de l’Union. L’Hexagone était le seul État membre de l’UE à ne pas avoir atteint ses objectifs de renouvelables pour 2020, retard qu’elle rattrape encore difficilement. Tous ses voisins européens affichent de bien meilleurs résultats. 52 % de la consommation finale d’électricité en 2022 provient des EnR en Allemagne, un peu plus de 50% pour l’Espagne et 61 % pour le Portugal. 

Je suis bien conscient du chemin que l’on a fait depuis 20 ou 30 ans en matière d’énergies renouvelables, notamment électriques dans notre pays, du boom de la consommation électrique et de l’industrialisation, des initiatives des collectivités locales…, reconnaît Vincent Jacques le Seigneur président d’Observ’Er, l’Observatoire des énergies renouvelables lors de la présentation officielle du Baromètre, mais pour autant, les derniers signaux politiques affichés par le gouvernement me laissent inquiet”. 


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