Le système alimentaire montre des faiblesses de plus en plus évidentes. Pauvreté, contribution au changement climatique, maladies…les coûts cachés sont estimés à au moins 15 000 milliards de dollars par an selon un récent rapport de la Food System Economics Commission (FSEC). Pourtant, un scénario beaucoup plus vertueux est possible. Il devrait même permettre de réaliser 10 milliards de bénéfices chaque année, en réduisant notamment son impact sur le climat et la santé.
15 000 milliards de dollars. C’est le coût caché lié à la santé, l’environnement et la pauvreté du système agricole productiviste, selon un rapport publié fin janvier 2024 sur la transformation du système alimentaire par la Food System Economics Commission (FSEC), une commission indépendante de recherche sur l’alimentation. Après des décennies d’amélioration, la famine, la malnutrition, l’obésité, ne cessent désormais de croître dans le monde, les écosystèmes sont détruits et la biodiversité disparaît.
Or, « ignorer les conséquences des systèmes alimentaires actuels enferme le monde dans une voie qui aggrave leurs effets négatifs de manière désastreuse », alerte la Commission dans son rapport. Pourtant, malgré les améliorations promises, ce système alimentaire ne parvient toujours pas à ses engagements.
Le coûteux scénario du business as usual
Face à ce constat, deux voies s’offrent à nous selon la commission. La première est celle du “business as usual”. Dans ce scénario, le système alimentaire continuerait à contribuer à un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre, plaçant la planète sur la voie d’un réchauffement de 2,7 °C d’ici la fin du siècle si cette tendance est poursuivie jusqu’en 2050. Un cercle vicieux, car des températures plus élevées entraînent des conditions météorologiques plus extrêmes et des dégâts plus importants sur les récoltes.
De fait, dans ce scénario, 640 millions de personnes, dont 121 millions d’enfants, pourraient souffrir de sous-alimentation, tandis que les cas d’obésité pourraient croître de 70%, mettant en danger le système sanitaire. En outre, 71 millions d’hectares de forêts naturelles seraient rasés entre 2020 et 2050 au profit de nouvelles cultures, soit 1,3 fois la taille de la France.
Un système alimentaire alternatif est possible
Mais il existe une alternative plus réjouissante. Baptisé “Food System Transformation”, ce scénario alternatif implique une transformation profonde, autant des pratiques agricoles que des modes de production et de consommation. Dans les grandes lignes, il reprend les objectifs de l’agroécologie en tirant un trait sur la ferme conventionnelle, gouvernée par l’usage des pesticides, les engrais de synthèse, la monoculture et l’élevage intensif. Au contraire, ce scénario prône la fin des monopoles et des “méga-fermes” au profit d’exploitations plus modestes et orientées vers le local.
Le scénario “Food System Transformation” implique également une transformation des modes de consommation, où les individus se tournent plutôt vers une alimentation végétale, moins liées aux produits animaux (viande, poisson, oeuf, lait…).
Dans ce contexte et selon les estimations du rapport de la FSEC, la sous-alimentation pourrait alors être éradiquée d’ici 2050, et plus de 174 millions de vies seraient sauvées d’une mort prématurée liée à une mauvaise alimentation. Ce système offrirait de surcroît une meilleure répartition des richesses : 400 millions d’agriculteurs pourraient percevoir un revenu décent.
D’un point de vue environnemental, la neutralité carbone de ce système alimentaire pourrait être atteinte dès 2040, participant ainsi à contenir le réchauffement climatique sous la barre des +1,5°C d’ici la fin du siècle si des efforts sont également fournis dans les autres secteurs d’émissions. 1,4 milliard d’hectares de terres en plus seraient protégées. Dans ce scénario, les écosystèmes seraient alors moins vulnérables aux effets du changement climatique.
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La transformation plus économique que l’inaction
Cette transformation radicale a un prix. Mais celui-ci est bien moindre que celui de notre inaction. Il ne devrait pas dépasser 0,2 à 0,4 % du Produit intérieur brut (PIB) mondial annuel entre aujourd’hui et 2050, soit 200 à 500 milliards de dollars par an. En parallèle, ces nouvelles politiques alimentaires apporteraient des bénéfices pouvant aller de 5 000 à 10 000 milliards de dollars chaque année dans le monde, en évitant des impacts négatifs sur l’environnement et notre santé.
« La transformation des systèmes alimentaires dans le monde entier offre un moyen unique de répondre aux urgences mondiales en matière de climat, de nature et de santé, tout en offrant une vie meilleure à des centaines de millions de personnes », souligne la Food system economics commission. Avec ce rapport sur le coût de l’inaction agricole, elle entend provoquer le même sursaut que celui du rapport Stern sur le coût de l’inaction climatique en son temps (2006). Avec ces chiffres en main, « les décideurs politiques ont l’occasion d’élever le niveau d’ambition », veut-elle croire. C’est pourtant la première voie, celle du retour vers un système orienté vers le productivisme, que semble prendre les gouvernements européens, dont celui de la France en réponse aux mouvements agricoles.
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