Le magazine télévisé Thalassa, spécialisé sur l’actualité de la mer, a lâché une véritable petite bombe politique dernièrement, avec son interview de la Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal. Cet entretien se plaçait juste après une enquête sur un scandale environnemental vieux de 50 ans, le déversement de boues rouges issus du procédé de traitement du minerai de bauxite pour produire de l’aluminium. Riches en métaux lourds et très acides, ces boues sont rejetées en plein coeur du Parc National des Calanques, en Méditerranée, impactant l’environnement marin à divers degrés. Si l’enquête de Thalasssa s’avère complète et très documentée, la réponse de la Ministre de l’Environnement, qui renvoi la responsabilité du renouvellement de l’autorisation de rejet en milieu marin sur le Premier Ministre, la conduite de la préfecture ainsi que la nature de ces rejets méritent quelques éclaircissements pour déterminer qui est responsable d’une pollution d’une telle ampleur.
Un scandale politique autant qu’environnemental, qui dure depuis 50 ans
Pour bien comprendre cette histoire il nous faut remonter 50 ans en arrière, en 1966. A cette époque le site de Gardanne était la propriété de Pechiney et démarre le traitement du minerai de bauxite pour en faire de l’alumine, donnant ensuite de l’aluminium industriel.
Le procédé Bayer, utilisé pour traiter la bauxite et utilisé pour la première fois au monde à Gardanne, produit environ deux tonnes de boues rouges pour une tonne d’alumine. Le soucis est que ces boues sont très riches en métaux lourds (arsenic, mercure, titane, fer…) et donc très polluantes, limitant les possibilités pour leur retraitement. Le moyen le plus utilisé dans le monde est donc le stockage dans de gigantesques piscines. Mais à Gardanne les ingénieurs vont avoir une autre idée : construire une canalisation de plus de 50 Km de long, qui déversera ces boues rouges à 350 mètres de fond à 7 Km au large de Cassis. Jusqu’en 2015, c’est 20 millions de tonnes qui ont ainsi été déversées au fond de la mer… à la parfaite connaissance des services de l’Etat.
Tout change le 28 Décembre 2015 : l’entreprise Valteo qui exploite l’usine, entre temps revendue par son précédent propriétaire, Rio Tinto, au fond de pension américain HIG en 2012, doit cesser ses rejets au 1er Janvier 2016. Ayant prévu cette échéance, l’entreprise propose de conserver tous les emplois du site mais à la condition de ne rejeter qu’un liquide incolore issu d’un investissement de 30 millions d’euros dans un process industriel censé rendre plus propres ses effluents. La préfecture renouvelle donc l’autorisation, alors qu’elle n’était plus censée le faire, après avoir reçu l’avis favorable du Conseil supérieur de prévention des risques technologiques (CSPRT), rattaché… à la Ministre de l’Environnement, Ségolène Royal.
C’est cette autorisation et les rejets qui en découlent (sans mauvais jeu de mots) qui cristallisent aujourd’hui toute l’attention des associations de défense de l’environnement.
Une réponse de la Préfecture et une démarche trouble de l’exploitant
Valtéo, l’exploitant du site, a donc fait valoir sa position d’employeur de 400 personnes ainsi qu’une maîtrise des effluents pour obtenir cette autorisation. Outre le fait que ce premier point ressemble beaucoup à un chantage à l’emploi, l’exploitant du site de Gardanne est il aussi propre avec son nouveau process qu’il le prétend ? La réponse est non, et c’est le communiqué de la préfecture lui même qui l’annonce.
Ainsi la préfecture a tenu à rappeler dans ce communiqué de presse toute l’attention qu’elle porte aux pratiques de cette usine, et notamment la mise en demeure de l’exploitant en Juin, vis à vis d’un taux anormalement élevé de métaux lourds (mercure en particulier) et du non respect de critères physico-chimiques (DBO5 et pH). Ces mesures s’appuient sur l’auto surveillance de l’exploitant ainsi que sur les mesures de la Dreal (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement).
Altéo risque gros : le Code de l’Environnement prévoit la suspension de l’activité polluante et une amende si la pollution persiste. La décision du Préfet sera connue peu après une ultime réunion de suivi fin Septembre.
La démarche de l’exploitant reste trouble : fin Juin le directeur des opérations d’Altéo, Eric Duchenne, déclarait à l’AFP « Notre installation est performante, nous ne rejetons plus de boues rouges et la concentration en métaux (dans les effluents) est en moyenne en deçà des seuils fixés ». Certes il n’y a plus de boues rouges déversées sur les fonds marins, mais le liquide rejeté reste très polluant selon les propres analyses des services de l’Etat, en étant supérieur aux taux légaux en vigueur sur plusieurs paramètres.
Ce qui est surprenant c’est que l’usine ne peut, depuis le 1er Janvier, respecter des taux de rejet de polluants pourtant dérogatoires : dans l’état normal des choses Altéo ne devait plus rejeter aucun polluant en Méditerranée, avant d’obtenir cette dérogation pour 6 ans avec des taux pour certains polluants au dessus des normes sanitaires.
Le nouveau procédé mis en place était censé garantir ces taux limités de pollution ; on s’aperçoit aujourd’hui que ce n’est pas le cas. Où est le respect du principe de précaution pourtant fondamental en droit de l’environnement ? Où sont les études prouvant l’efficacité de ce nouveau procédé de traitement des boues rouges ?
Que va-t-il se passer pour les fonds marins touchés par les boues rouges ?
Rappelons-le : l’usine de Gardanne rejetait ses boues en plein coeur du Parc National des Calanques. Ce Parc National a été créé en 2012, pour reconnaître l’extraordinaire biodiversité présente sur place ainsi que sa fragilité devant les impacts de l’Homme.
Les rejets de l’usine Altéo étaient connus depuis le début et se prévalaient d’une antériorité sur les règles du coeur du Parc, qui prévoit d’éliminer toute activité polluante pour l’environnement, en concertation avec les acteurs locaux. Acteurs locaux qui d’ailleurs, sont très remontés contre ces rejets qui impactent en particulier les pêcheurs.
Dans ces conditions on reconnaît que la seule présence du Parc Naturel n’a pas permis de stopper l’émission de boues rouges. Mais suite à cette réunion de fin Septembre, qui verra vraisemblablement l’interdiction de tout rejets en mer de la part de l’usine si ceux ci ne respectent pas les taux de polluants prévus, Altéo risque bien plus gros. L’usine est en effet responsable d’une pollution immense (2000 Km² de boues rouges en 50 ans !) en plein coeur d’un parc Naturel.
Dans ces conditions l’Etat peut très bien se retourner contre l’exploitant et demander… Une dépollution de la zone touchée. Inutile de dire que dans ce cas de figure et devant les sommes qui devraient être engagées, Altéo se retournerait sûrement contre l’Etat qui l’a autorisé pendant 50 ans à polluer cette zone sous marine.
Autre possibilité intéressante : la jurisprudence issue du cas de la marée noire de l’Erika pourrait s’appliquer et amener à reconnaître un préjudice écologique dans le cadre des boues rouges. Ce préjudice engagerait une somme très importante pour l’exploitant et permettrait l’indemnisation des pêcheurs touchés dans leur activité par cette pollution, en plus d’une éventuelle dépollution du site de rejet aux frais de l’exploitant.
Elle enverrait également un message très fort à destination de toutes les activités entraînant des rejets en milieu marin : vous êtes responsables des pollutions entraînées par ces rejets, vous, exploitants, devez les assumer. Mais devant le rôle ambigu de l’Etat depuis 50 ans dans ce dossier, il y a fort à parier que cette dernière option ne soit jamais utilisée.
Alors, qui est responsable de la pollution aux boues rouges présente en plein coeur du Parc Naturel des Calanques ? L’Etat, Altéo, ou le propriétaire de l’usine il y a 50 ans, quand les rejets ont commencé ? Un peu des trois. En effet si l’on peut penser qu’il y a 50 ans on ne connaissait pas très bien l’ampleur des rejets et leurs impacts, ce n’est plus le cas maintenant et depuis un certain nombre d’années. Dans ces conditions le principe de précaution aurait dû au minimum jouer, et l’Etat ne pouvait pas fermer les yeux en renouvelant l’autorisation, y compris à des taux supérieurs à ceux de la législation en vigueur, comme c’est le cas depuis début 2016.
Ainsi l’Etat a sa part de responsabilité, que ce soit la Ministre de l’environnement actuelle, le Premier Ministre ou les précédents, et l’exploitant va se retrouver à payer les pots cassés d’une pollution bien encombrante.