Bien qu’indispensable au bien-être des populations et des écosystèmes, la réduction des particules polluantes dans l’atmosphère entraîne un effet pervers, celui d’accélérer le réchauffement climatique.
Parfois, la résolution d’un problème aggrave un autre. Et c’est encore plus vrai lorsque les enjeux sont immenses, complexes et globaux comme dans le cas de la crise environnementale. C’est en observant les données récoltées par les satellites de la NASA qu’un groupe de chercheurs internationaux a démontré dans une étude publiée dans l’Atmospheric Chemistry and Physics de l’Union européenne des géosciences que sur l’année 2019, la présence d’aérosols dans l’atmosphère a diminué de 0,5 °C la température terrestre.
Un constat conforme au 6ème rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) sur l’état de la science sur le climat. En d’autres termes, sans la pollution des aérosols, nous aurions déjà dépassé la barre des +1,5 °C, première limite fixée lors de l’Accord de Paris.
Mais ce constat ne peut amener à l’inaction. Bien au contraire. Le bien-être des écosystèmes et de la société humaine nécessite une action conjointe de réduction des aérosols et des émissions de gaz à effet de serre (GES). Sans quoi, les efforts menés dans la réduction des émissions des polluants atmosphériques seraient vains.
L’effet pervers des aérosols
Les particules émises dans l’atmosphère ont diverses origines. La grande majorité des émissions proviennent de l’activité humaine, que ce soit pour le chauffage, la production d’électricité, la mobilité, les produits du quotidien…
Le dioxyde de soufre (SO2) est par exemple produit par la combustion d’énergies fossiles, les composés organiques volatils (COV) par les industries manufacturières (peintures, encres, colles…), l’ammoniac (NH3) par les activités agricoles… Il existe aussi des émissions « naturelles », notamment lors des feux de forêt ou résultantes de l’activité volcanique. Ces événements extrêmes entraînent généralement des pics de pollution importants.
Les particules atmosphériques se doivent d’être vues comme un enjeu de santé mondial. Selon les données de l’Agence européenne pour l’environnement, près de 300 000 personnes perdent la vie prématurément dans l’UE à cause de la mauvaise qualité de l’air. Certaines maladies, comme des cancers, des maladies cardiovasculaires ou respiratoires, sont directement associées à la pollution.
Et paradoxalement, la réduction des aérosols dans l’atmosphère entraîne un effet pervers. La baisse des particules aggrave le réchauffement climatique, qui lui-même participe à une augmentation des événements climatiques extrêmes, à l’érosion de la biodiversité, à une sécheresse généralisée, à la fonte des glaces… Afin de comprendre les raisons de ce mécanisme d’exacerbation de la crise environnementale, il faut tourner son regard vers le ciel.
À l’origine du réchauffement climatique
Le réchauffement climatique est le résultat d’un échange d’énergie provenant du soleil et captée dans l’atmosphère par les GES et la surface de la Terre. L’énergie qui a rejoint la surface terrestre va être renvoyée vers l’espace par cette dernière sous forme de rayonnements infrarouges où une partie sera une fois de plus captée par les GES présents dans l’atmosphère. Plus il y aura de GES, le plus d’énergie sera absorbée. Ainsi, l’accumulation de GES dans l’atmosphère participe à une augmentation de la température sur Terre. C’est le processus qu’on vulgarise sous le nom d’effet de serre.
L’atmosphère terrestre est unique dans le système solaire. Cette enveloppe gazeuse est constituée majoritairement de diazote (N2) et le dioxygène (O2). Ils représentent respectivement 78% et 21% de l’ensemble de gaz présents. Mais ils ont une influence négligeable dans le réchauffement de la planète. La vapeur d’eau est techniquement le premier GES en termes d’absorption des rayonnements infrarouges (2/3 de l’absorption). Mais l’eau a une particularité. Elle a la capacité de passer très facilement d’un état gazeux à un état liquide ou solide, réduisant ainsi son action au niveau planétaire dans le réchauffement climatique.
Pour le reste, les GES les plus préoccupants ne sont finalement qu’à l’état de trace dans l’atmosphère, mais ils ont un rôle plus que conséquent dans le réchauffement climatique. Le dioxyde de carbone (CO2), le méthane (CH4) et le protoxyde d’azote (N2O) sont les trois GES les plus influents. Même si la terre a connu des périodes où le climat était aussi chaud, voire plus chaud qu’il ne l’est aujourd’hui, les rejets massifs de GES depuis l’avènement de la Révolution industrielle en 1830, et des activités humaines qui en découlent, ont provoqué une croissance de la température jamais observée dans un temps aussi court.
D’un autre côté, certains processus participent à réduire la température terrestre. L’absorption du CO2 par les végétaux et les océans est un des mécanismes naturels de refroidissement les plus essentiels. Les surfaces blanches, comme les glaces de l’Antarctique ou les nuages, permettent également une réduction de la température par le réfléchissement des rayons solaires. C’est ce qu’on appelle l’effet d’albédo. Or, une présence accrue d’aérosols dans l’atmosphère participe à modifier l’albédo des nuages.
Lorsque les particules polluantes rejoignent les nuages
Les aérosols sont très importants pour la formation des nuages parce qu’ils servent de « noyau de condensation » (NCN) ou de « noyaux glaçogènes », un endroit où la vapeur d’eau présente dans l’air peut se déposer. Les aérosols d’origine naturelle (sulfates, sels marins, poussières…) sont habituellement les socles de formations des nuages. Un processus bien rôdé mais complètement déstabilisé par l’ajout massif de nouveaux aérosols par les activités humaines.
Cela va avoir pour effet, dans un premier temps, de conduire à des formations nuageuses composées de gouttes plus nombreuses et plus petites, modifiant l’albédo des nuages. Ils renvoient ainsi plus les rayons du soleil avant qu’ils ne frappent la surface de la Terre et permet de réduire la température.
Les petites gouttes d’eau mettent aussi plus de temps à atteindre une taille assez importante pour tomber sous forme de pluie. La taille des nuages et leur durée dans l’atmosphère augmentent donc par la même occasion.
D’autres effets indirects des aérosols sont observés en dehors de la formation des nuages. Ils concernent notamment les répercussions des aérosols sur les cycles biogéochimiques. La modification des nuages peut transformer le climat dans une région ou ajouter plus de nutriments et/ou de polluants dans les écosystèmes, par exemple lors des pluies acides.
La réduction des polluants atmosphériques est donc sans équivoque sur le bien-être des humains et des écosystèmes. La tendance des émissions est à la baisse dans la plupart des régions du monde. Un bénéfice pour tous mais qui cache encore sa part d’inégalité face aux risques inhérents de pollution aux aérosols.
Souffrir de la qualité de l’air
Selon les données recueillies par les scientifiques de l’étude, les émissions d’aérosols sont à la baisse dans trois régions majeures dans le monde, l’Amérique du Nord, l’Europe et l’Asie de l’Est. Les chercheurs en ont déduit que depuis les années 2000, la décroissance de la quantité d’aérosols dans l’atmosphère a pu représenter jusqu’à 50 % de la hausse de la température provoquée par le CO2.
L’Europe et l’Amérique du Nord, comme fer de lance de la société thermo-industrielle, ont été historiquement les grands pollueurs mondiaux. Mais depuis les années 1980 – 1990, les données indiquent que ces régions ont connu une forte diminution des émissions. La Chine elle-aussi, après avoir connu une hausse massive de ses émissions jusqu’en 2010, voit ses émissions maintenant baisser sur son territoire.
Cette décroissance dans ces régions s’explique essentiellement par un renforcement des mesures de protection de la qualité de l’air et de lutte contre la pollution, mais également par une exportation des pollutions dans les pays en voie de développement au détriment des populations locales, mais au bénéfice des populations les plus aisées, profitant du confort de ne pas être victime du mal de la pollution.
La qualité de l’air cache somme toute des inégalités sociales.
Le risque de maladies, voire de mort, imputable à la qualité de l’air reste très disparate selon les régions du globe. Les industries les plus polluantes restent cantonnées dans les pays en voie de développement où les conditions de travail et la sécurité sont bien plus faibles qu’en Occident. Comme en Inde où près de 1,67 million de morts seraient attribuables à la pollution de l’air en 2019 selon une enquête du Lancet.
Mais ces inégalités se retrouvent aussi à l’intérieur des territoires, comme en France, où les populations les plus pauvres sont généralement contraintes d’habiter proche de zones sensibles (industries dangereuses) et/ou polluées comme le démontre ce rapport de l’Agence européenne pour l’environnement. Et cela est sans compter l’âge, les handicaps et les maladies qui rendent plus vulnérables certaines populations…
Cette vulnérabilité face au risque dépasse finalement la qualité de l’air. Les nuisances sonores, la pollution lumineuses, l’accès à une alimentation saine, la vulnérabilité face aux pollutions ou aux événements extrêmes sont autant de facteurs délétères pour la santé mentale et physique. Le traitement des enjeux environnementaux doit se faire en connaissance de cause des inégalités subies par les populations. De nombreux travaux de recherche, des rapports institutionnels, des militants écologiques alertent déjà sur le manque de considération des injustices climatiques dans le monde. Des efforts sont faits dans ce sens, mais à un rythme encore trop lent pour rattraper le retard pris dans la lutte environnementale.