Nous ne sommes pas assez payés et cela affecte négativement les entreprises et l’économie ! C’est en tout cas ce que concluent plusieurs études qui préconisent d’augmenter les salaires. Et si augmenter la justice des rémunérations était un des aspects de la responsabilité des entreprises ?

Sommes nous payés assez ? Sommes nous trop payés ? Serions-nous plus productifs si nous étions mieux payés ? Les employeurs peuvent-ils mieux payer leurs salariés ? Le salaire est-il un frein à la compétitivité des entreprises ?

Autant de questions qui agitent les réflexions sur les liens entre salaire, productivité, compétitivité et croissance. Mais alors, qu’en est-il vraiment ? Quel est le lien entre salaire et productivité des salariés ? Des hauts salaires causent-ils des baisses de compétitivité pour les entreprises ? Comment intégrer le paramètre salaire dans une stratégie RH, RSE et business qui soit à la fois juste pour les salariés, efficace pour l’entreprise, et responsable ? Plusieurs études se sont penchées sur la question, et on peut en tirer une conclusion assez intéressante : et si on augmentait les salaires pour améliorer la productivité des entreprises ?

Un meilleur salaire pour une meilleure productivité des salariés ?

Et si un meilleur salaire signifiait des salariés plus productifs ? C’est en tout cas ce que suggèrent de nombreuses études internationales. Selon elles, un salarié mieux payé serait plus motivé au travail et donc plus productif. Dès 1986, George Akerlof (qui obtiendra en 2001 le Prix Nobel d’Economie) et Janet Yellen (qui deviendra en 2014 Présidente de la FED – la Réserve Fédérale Américaine), proposaient une théorie des « salaires efficients » (theory of efficiency wages), indiquant qu’augmenter les salaires pouvait avoir sur certains marchés des conséquences positives sur la productivité et la compétitivité des entreprises.

Suite à cette théorie, de nombreuses études se sont attachées à démontrer que des salaires plus élevés pouvaient augmenter la productivité des salariés. Ainsi, dès les années 1990, David Levine (1992), a analysé un échantillon de compagnies industrielles issues du Fortune 500 et démontré qu’augmenter les salaires des ouvriers permettait d’améliorer leur productivité de façon suffisante pour que le gain de productivité compense les dépenses engendrées par la hausse des salaires. Un autre chercheur (Holzer (1990)) a également analysé des données nationales (aux Etats-Unis) mettant en évidence qu’une hausse des salaires permettait d’améliorer la productivité et de diminuer les coûts d’embauche et de turn-over.

D’une manière générale, la majorité des études portant sur ce point s’accordent à dire qu’un salarié mieux payé travaille plus dur et mieux. Une étude menée en 2006 confirme qu’une augmentation des salaires de 17% est associée à une hausse de la productivité de 12%. Outre l’effet psychologique (la motivation), cette hausse de la productivité pourrait être du à plusieurs facteurs divers : un meilleur salaire est souvent associé à une meilleure santé, une meilleure alimentation, une meilleure capacité à pratiquer un sport… Tout cela contribue à la productivité générale des salariés.

salaires augmentation productivité motivationAugmenter les salaires pour diminuer le turn-over et les coûts à l’embauche

L’autre facteur à considérer, c’est que de meilleurs salaires signifient souvent une meilleure stabilité de l’entreprise. On ne compte plus les études qui montrent qu’un salaire plus élevé diminue le turn-over des employés et donc les coûts d’embauche. Pour une entreprise, recruter un salarié a un coût : il faut passer du temps à chercher le bon salarié, lui faire passer des entretiens, puis réaliser toutes les démarches administratives liées à son embauche, le former, l’intégrer aux équipes, sans compter le temps qu’un poste peut rester vacant entre 2 recrutements… Tout cela non seulement prend du temps mais coûte de l’argent : environ 4 000 dollars par poste dans une grande entreprise. De ce fait, une entreprise a tout intérêt à ce que ses employés soient fidèles et démissionnent le moins possible.

Et c’est possible, en augmentant les salaires. La plupart des études (Reich et al (2003)Dube et al. (2007)Fairris et al. (2005)) s’accordent à dire qu’un salaire minimum plus élevé dans une entreprise ou dans une ville entraîne une réduction du turn-over de 36 à 95%. Un meilleur salaire incite les salariés à rester dans une entreprise et cela peut compenser d’autres conditions de travail moins favorables comme un temps de transport important ou des horaires décalés. Même pour des emplois traditionnellement précaires, les résultats sont là : l’augmentation du salaire minimum a San Fransisco en 2004 aurait permis d’augmenter de 3.5 mois la durée moyenne des contrats dans la restauration rapide… Enfin, une étude de 2006 menée par l’Université d’Harvard montre que de meilleurs salaires sont aussi associés à une diminution des vols dans une grande enseigne de retail (en plus d’avoir diminué le turn-over et amélioré la productivité), résultat confirmé par Cappelli et Chauvin (1991) qui avaient, eux, observé une diminution des sanctions disciplinaires dans les usines où le salaire était plus élevé.

Augmentation des salaires et bonheur au travail : une variable sous estimée ?

Enfin, plusieurs études montrent qu’un salarié plus heureux est plus efficace au travail. Plus productif, plus motivé, il prend moins de congés maladie, il travaille mieux avec ses équipes. Et les opportunités de carrière et le salaire sont 2 des 3 facteurs principaux affectant le bonheur au travail selon un sondage mené par Aon. Un salaire trop bas serait donc synonyme d’une moindre motivation et d’un bonheur au travail moins élevé. Et en effet, une étude récente montrait que les salariés qui se disaient « heureux » étaient 12% plus productifs que les salariés moyens, et que les salariés malheureux étaient eux 10% moins productifs.

Quand on sait que plus d’un français sur deux se dit insatisfait de son salaire, on peut imaginer qu’augmenter les salaires joue beaucoup sur leur qualité de vie au travail et donc leur productivité. Cela est particulièrement vrai pour les très bas salaires, puisqu’une petite augmentation peut significativement améliorer leur qualité de vie (diminuer le stress, améliorer la concentration…).

inegalites salaires productivite rse
Salaire, productivité et compétitivité : une question de transparence et de justice plus que de montant

En revanche, il ne s’agit pas pour un employeur d’augmenter aveuglément les salaires de tous ses employés en espérant améliorer sa productivité. Cela aurait probablement l’effet inverse. En matière de salaire, le plus important semble être la transparence et la justice. Dans les entreprises, de fortes inégalités de salaire entre les salariés les mieux pays et les moins bien payés semble être un facteur décisif de perte de motivation pour les salariés (notamment les moins bien payés, bien sûr). Ainsi, les entreprises où les salariés sont beaucoup moins bien payés que les cadres dirigeants souffrent plus de grèves, de conflits internes et de blocages au niveau du management. Au contraire, les compagnies où les inégalités de salaires sont plus faibles voient souvent leurs employés plus motivés, plus productifs et moins enclins à lancer des actions contre le management ou leurs employeurs.

Une étude comportementale avait d’ailleurs montré que si dans une compagnie, deux équipes travaillant sur les mêmes tâches étaient payés différemment, l’équipe la moins bien payé voyait sa productivité baisser jusqu’à 52%. La question du salaire est donc fondamentalement une question de justice : si les écarts de salaires dans une entreprise semblent justes, et sont expliqués de façon transparente, la motivation des salariés augmente ! La transparence dans ce domaine a d’ailleurs un effet très positif sur la cohésion des équipes et sur l’efficacité du management.

Augmenter les salaires pour augmenter la productivité, ce n’est donc pas seulement mettre un salaire minimum à 2000 euros. C’est augmenter les salaires des ouvriers les moins bien payés, et surtout diminuer les écarts entre les salariés dans les entreprises de façon transparente, pour une rémunération plus juste. Et la RSE c’est aussi ça : être capable de gérer les rémunérations de manière responsable, juste et transparente, pour optimiser la productivité des salariés et leur qualité de vie.

En 2000, le salaire des 5% de salariés les plus riches était 5.5 fois supérieur à celui des 10% les moins bien payés. 15 ans plus tard en 2015, ce ratio était passé à plus de 7. On peut donc dire que pour l’instant, on est plutôt dans la mauvaise direction : les salariés les plus riches sont de plus en plus riches alors que les salariés moyens stagnent. Et si les entreprises adoptaient une politique de rémunération plus juste, qui leur rapporterait de l’argent et relancerait probablement l’économie ?

 

C’est une vision de long terme qu’il faut adopter sur cette question, qui a donc toute sa place dans la stratégie de responsabilité sociale des entreprises : il faut une RSE des salaires et des rémunérations.

 

[box]Sources :

David Levine, Can Wage Increases Pay For Themselves? Tests with a Productive FunctionThe Economic Journal Vol. 102, No. 414 (Sep., 1992), pp. 1102-1115

Harry Holzer, THE DETERMINANTS OF EMPLOYEE PRODUCTIVITY AND EARNINCS: SOME NEW EVIDENCE, National Bureau of Economic Research, 1990

Alexandre Mas, PAY, REFERENCE POINTS, AND POLICE PERFORMANCE, The Quarterly Journal of Economics, 2006

Michael Reich et al, LIVING WAGES AND ECONOMIC PERFORMANCE THE SAN FRANCISCO AIRPORT MODEL, Institute of Industrial Relations University of California, Berkeley Berkeley, CA 94720-5555, 2003

Arindrajit Dube et al, The Economic Effects of a Citywide Minimum Wage), Industrial & Labor Relations Review Volume 60, Issue 4 2007

David Fairris et al. The Impact of the Los Angeles Living Wage Ordinance on Workers and Businesses, Examining the evidence, 2005

Wayne F. Cascio, The High Cost of Low Wages, Harvard Business Review, 2006

Cappelli et Chauvin, An Interplant of the Efficiency Wages hypothesis, 1991

Aon Thought Leadership, 2016 Trends in Global Employee Engagement Report, 2016 report.

Andrew J Oswald, Eugenio Proto and Daniel Sgroi ‘Happiness and Productivity, Warwick University, 2014

Étude Monster / OpinionWay , SALAIRES : PLUS D’UN FRANÇAIS SUR DEUX MÉCONTENT DE SA RÉMUNÉRATION, 2014

High Pay Center, The High Cost of High Pay: Unequal workplaces suffer more strikes and higher staff turnover, published by the High Pay Centre on Monday 20th January 2014.

Emily Breza, Supreet Kaur, Yogita Shamdasani, THE MORALE EFFECTS OF PAY INEQUALITY, Août 2015

Gretchen R. Vogelgesanga, Hannes Leroyb, Bruce J. Avoliod, The mediating effects of leader integrity with transparency in communication and work engagement/performance, The Leadership Quarterly Volume 24, Issue 3, June 2013, Pages 405–413

Economic Policy Institute, Wage Inequality Continued its 35 year rise in 2015, Briefing Paper 421,  2016

[/box]