En 2022, les émissions de CO2 ne baissent pas en France, et augmentent même dans le secteur énergétique et dans les transports. Décryptage.
En matière climatique 2022 avait toutes les raisons d’être l’année des prises de conscience. Avec les tensions sur les marchés des énergies fossiles, les catastrophes climatiques en série qui ont ravagé la France, la prise de conscience (enfin) de la nécessité de la sobriété et de la fin de l’abondance, la France avait toutes les cartes en main pour passer à l’action et faire enfin baisser ses émissions de CO2.
Pourtant, les données (qui ne sont pas encore consolidées) montrent déjà que ce n’est pas le cas. En 2022, les émissions de CO2 dans le pays stagnent. Alors que l’on devrait d’ores et déjà voire des baisses de près de 5% chaque année, 2022 sera proche de zéro. Faisons un point sur ces chiffres.
2022 : des émissions de CO2 qui stagnent en France
C’est le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (CITEPA) qui est chargé en France, chaque année, de faire le bilan des émissions polluantes dans le pays, et notamment des émissions de CO2. Régulièrement au cours de l’année, ses bilans permettent de faire le point sur les avancées en matière de lutte contre le réchauffement climatique. En décembre 2022, le CITEPA a publié son bilan pour les 3 premiers trimestres 2022 et le constant est sans appel : nos émissions ne baissent pas.
Sur les 9 premiers mois de l’année, les émissions territoriales de la France (c’est-à-dire les émissions réalisées sur le territoire, sans compter les émissions liées aux importations) sont au même niveau qu’en 2021, ou plus précisément, à -0.3%. C’est donc 15 fois moins que l’objectif que la France s’est fixée via la Stratégie Nationale Bas Carbone, recalculée à partir des objectifs fixés en Europe avec le plan Fit for 55. Bref, on est loin du compte.
CO2 : une hausse des émissions liées à l’énergie et aux transports
Derrière cette stagnation se cache en fait des dynamiques variées selon les secteurs. En effet, certains secteurs sont plutôt « bons élèves » et affichent des baisses relativement prononcées. C’est le cas notamment du secteur industriel, qui a vu ses émissions baisser d’environ 5% sur l’année 2022 par rapport à 2021. Les émissions du secteur résidentiel et tertiaire (c’est-à-dire les émissions liées aux bâtiments d’habitation et de commerce) baissent également, de 11%.
Mais dans d’autres secteurs, c’est l’inverse. Le secteur de l’énergie a par exemple vu ses émissions augmenter en 2022, de près de 12%. Le secteur des transports voit également ses émissions augmenter de près de 4%. Quant au secteur agricole et à celui du traitement des déchets, ils stagnent purement et simplement.
Des dynamiques conjoncturelles expliquent les variations des émissions
Ces dynamiques dans les différents secteurs sont le reflet de la conjoncture économique, géopolitique et même météorologique de l’année. Par exemple, dans le secteur industriel, la baisse des émissions s’explique en partie par la stagnation (voire la baisse) de la production, et par les contraintes posées par la crise énergétique. Forcée de s’adapter à un contexte énergétique très dur, les entreprises industrielles sont parvenues à baisser leur consommation de gaz, et ont été marquées par plusieurs mois de baisse significative de leur production. Dans le secteur résidentiel et tertiaire, le contexte météorologique favorable (avec un hiver et un printemps très doux) a permis de réduire les consommations énergétiques de bâtiments.
À l’inverse, dans le secteur énergétique, les difficultés de la filière nucléaire et le contexte énergétique global ont obligé la France à recourir plus souvent et plus intensément aux énergies fossiles pour sa production électrique, faisant ainsi augmenter les émissions du secteur. Le secteur des transports suit quant à lui la dynamique qui est la sienne depuis plusieurs années : la dépendance à la voiture individuelle reste très élevée, et la transition vers des véhicules de plus en plus lourds et polluants ne permet pas de faire baisser les émissions du secteur, et ce, malgré la percée des véhicules bas carbone comme les voitures électriques.
Bien-sûr, ces tendances conjoncturelles ne portent que les 9 premiers mois de l’année. Mais compte tenu du contexte, les chiffres ne devraient pas être significativement meilleurs pour le dernier trimestre 2022. La météo froide, couplée à une tension continue sur les systèmes énergétiques ne devraient pas permettre des baisses significatives des émissions de gaz à effet de serre.
Le manquent d’action climatique structurelle
Les baisses et les hausses observées sont donc le résultat de phénomènes conjoncturels, et cela montre que la France n’a pour l’instant pas de stratégie pertinente pour faire baisser ses émissions dans l’ensemble des secteurs.
En matière énergétique, le sous-investissement depuis des années (que ce soit dans les énergies renouvelables, dans la réhabilitation du parc nucléaire, ou dans les nouvelles énergies – biomasse…) rend le secteur fragile, et dépendant du gaz notamment pour gérer les pics de consommation. Les politiques de mobilité durable sont encore insuffisantes, et il manque des politiques urbaines ambitieuses pour sortir de la dépendance à la voiture individuelle (et donc aux énergies fossiles).
Pour voir de vraies baisses durables des émissions, à la hauteur des objectifs climatiques de la France, il faudrait des investissements publics beaucoup plus conséquents, à la fois dans la transformation écologique de l’industrie, dans la transition énergétique et les mobilités durables. Il faudrait aussi investir durablement dans la réhabilitation énergétique des bâtiments. Plus largement, il faudrait aussi s’engager dans une réduction des gaspillages et des surconsommations, et agir pour réduire les émissions importées (non prises en compte dans ces chiffres). Bref, autant de sujets sur lesquels la France est chroniquement en retard.
Dans ce contexte, pas étonnant que la France ait perdu 11 places dans le classement des pays les plus engagés dans leur transition climatique. Elle se place désormais à la 28ème place, derrière l’Indonésie ou la Colombie, et surtout loin derrière la moyenne européenne, et notamment les pays du Nord de l’Europe.
Photo de Ioana Baciu sur Unsplash