Chaque semaine, Youmatter décrypte l’actualité en chiffre. Cette semaine, on se penche sur les liens entre entreprises et biodiversité en montrant comment la dégradation de la nature, causée en grande partie par nos activités économiques (agriculture, pêche, industries extractives, artificialisation des sols, pollutions et changement climatique…), fait aussi peser un risque sur notre économie.

La dégradation de la nature est un cas pratique de double matérialité. D’un côté, les activités des entreprises conduisent à détruire la biodiversité. Mais de l’autre, l’effondrement en cours affecte aussi les performances des entreprises…et des investisseurs. C’est ce que montre très bien une note de la Banque centrale européenne. 

L’impact des entreprises et banques sur la biodiversité

D’un côté, les entreprises de la zone euro ont un impact local équivalent à la perte d’environ 365 millions d’hectares d’habitat naturel du fait de la conversion des terres déjà observée et de la perte potentielle de biodiversité au cours des 100 prochaines années en raison du changement climatique. Mais il faut aussi ajouter les impacts liés à la chaîne d’approvisionnement de ces entreprises en dehors de la zone euros. Il faut donc ajouter 217 millions d’hectares d’habitats naturels. Résultat : l’impact européen et mondial combiné équivaut à la perte de 582 millions d’hectares de zones naturelles vierges dans le monde, soit l’équivalent en taille de près de 60 % de l’Europe continentale.

L’impact négatif sur la biodiversité financé par les banques de la zone euro est lui très concentré. Les 10 banques ayant l’impact le plus important sur la nature sont responsables du financement d’environ 40 % de la perte de biodiversité mondiale causée par les entreprises de la zone euro. Cette part atteint environ 90 % pour les 100 banques ayant l’impact le plus important (sur les 2 500 incluses dans l’étude). Les législations en cours sur la biodiversité (déforestation importées, loi sur la restauration de la nature…) pourraient donc faire peser sur elles un risque fort de transition, note la BCE. 

L’impact de la dégradation de la nature sur les entreprises et les banques

Cette dégradation a un effet boomerang sur l’économie. Car toujours selon la BCE, sur les 4,2 millions d’entreprises (SNF-sociétés non financières) de la zone euro, « 72 % dépendent de manière critique des services écosystémiques et seraient confrontées à des problèmes économiques importants en raison de la dégradation des écosystèmes », soit 2,88 millions d’entreprises. 

Les pertes les plus importantes se produiraient en Allemagne en raison de la forte dépendance de ses principaux secteurs économiques à la biodiversité. Mais si certaines régions ou secteurs sont plus impactés que d’autres, comme pour le climat, la majorité des entreprises peuvent être affectées par des risques physiques (aigus ou chroniques, comme les incendies de forêt, les marées noires, les parasites ou la dégradation des sols) ainsi que des risques de transition (réglementations, changement de préférences des consommateurs…qui peuvent jouer sur la réputation et/ou des actions judiciaires). 

Ce sont aussi près de 75 % des prêts de la zone euro qui sont accordés à des entreprises dépendant de manière critique d’au moins un service écosystémique. Les portefeuilles de prêts pourraient être fortement affectés si la dégradation de l’environnement continue à suivre les tendances actuelles. Le risque le plus élevé pour les banques de la zone euro est lié à une combinaison du changement climatique et de la dégradation de la biodiversité, notamment à travers l’approvisionnement en eau (risque de sécheresse croissant entre 2030 et 2040). C’est d’autant plus vrai dans le sud de l’Europe.  

Et demain ?

Si le monde suit sa trajectoire d’émissions actuelle et continue d’exercer une pression importante sur la biodiversité, les pertes pour les banques de la zone euro pourraient être en moyenne près de trois fois supérieures à ce qu’elles seraient dans le cadre d’un scénario d’avenir aligné sur Paris et économe en ressources. 

Ce type d’études se multiplient au niveau des Etats européens (France, Pays Bas, Irlande et Lituanie notamment). A chaque fois avec la même conclusion sur les risques financiers importants liés à la dégradation de la nature. Même en raisonnant de façon purement économique, protéger la biodiversité n’est donc pas une option. Et pourtant, moins de 1 % des entreprises dans le monde ont mesuré leur dépendance à la biodiversité selon le dernier benchmark de la World Benchmarking Alliance (WBA)

En savoir + : 5% des entreprises analysées évaluent leur impact et moins de 1% ont procédé à une évaluation de leur dépendance à l’égard de la nature

Illustration : Canva