Faire baisser le montant ou la durée des allocations chômages peut-il inciter les chômeurs à retrouver plus vite un emploi ? Cela peut-il faire baisser le chômage ? Voyons ce que disent les études sur le sujet.
Dans la plupart des pays industrialisés, on observe des taux de chômage assez élevés. La lutte contre le chômage est donc devenue un enjeu politique important, et de nombreuses propositions émergent dans le débat politique pour prétendre faire baisser le chômage.
Parmi les propositions régulièrement discutées, notamment en France, la baisse des allocations chômage revient souvent. L’idée ? Baisser la durée, ou le montant des allocations chômages, de façon dégressive ou en fonction du taux de chômage national, pourrait inciter les personnes au chômage à retrouver plus rapidement un emploi. Cette idée se fonde sur l’hypothèse que l’allocation chômage serait « désincitative », que certains demandeurs d’emplois préfèreraient rester au chômage plutôt que de trouver un emploi.
Alors, que disent les études, les chiffres, les précédents historiques sur ce sujet ? A-t-on des preuves que réduire les indemnités chômage pourrait faire baisser le chômage et augmenter le taux d’emploi ?
Baisse des allocations et emploi : la fragilité des études
Avant toutes choses, il faut comprendre qu’il est difficile de répondre de façon simple à cette question. D’abord, pour des raisons méthodologiques, auxquelles sont régulièrement confrontés les travaux de recherche en économie : l’évaluation des politiques publiques est extrêmement complexe, car il est difficile d’obtenir des données fiables, pertinentes et comparables.
Prenons le cas qui nous intéresse, ici la modulation des allocations chômage (que ce soit en montant ou en durée). Pour savoir si la hausse ou la baisse des indemnités chômage, leur dégressivité ou leur raccourcissement dans le temps peut avoir un effet positif sur le taux d’emploi, il faudrait disposer de données. Ces données peuvent-être issues de précédents historiques (un pays ayant mis en place une telle réforme), de comparaisons internationales, d’expérimentations locales, sur lesquelles on effectue des analyses statistiques variée. Sauf que chacune de ces méthodes comporte des biais : les précédents historiques sont peu nombreux, et on ne peut donc pas en tirer des généralités statistiques. Les comparaisons internationales comparent des pays dont les marchés du travail, les systèmes de formation ou les systèmes de protection sociale sont différents. Impossible alors de savoir précisément ce qui provoque quoi. Les évaluations sur des populations disposant d’allocations différentes au sein d’un même pays n’offrent pas plus de garantie que les échantillons de population soient homogènes dans leurs caractéristiques sociales, géographiques ou économiques…
Le résultat des études menées dépend aussi très largement des hypothèses employées, des méthodes de calcul et de classification utilisées… Mesure-t-on le taux de chômage, ou le taux de non-emploi ? Le retour en emploi, ou le retour en emploi durable et stable ? En fonction des chiffres que l’on choisit, on obtient des résultats très différents. Il est donc difficile de trouver des résultats univoques sur le sujet dans la littérature scientifique. En tout état de cause, ces études concluent généralement que le sujet est complexe, et qu’il est difficile de généraliser à partir de leurs résultats, et que ces résultats comportent de nombreuses limites. Mais, avec ces précautions en tête, on peut toutefois tirer quelques enseignements de la littérature économique.
La baisse des allocations pourrait faire baisser le chômage, mais n’augmente pas forcément l’emploi
Globalement, la littérature économique classique semble converger sur un point : la durée et le montant des allocations chômage peuvent avoir une influence sur le taux d’emploi, ou le taux de retour à l’emploi. Ainsi, selon l’Institut des Politiques Publiques, allonger la durée des allocations chômage ferait baisser le retour à l’emploi. Le constat est partagé par d’autres études quantitatives, qui montrent que, en tendance, plus la durée d’indemnisation est longue, plus le retour à l’emploi baisse, ou est retardé. « Lorsque la durée d’indemnisation de l’assurance chômage passe de 7 à 15 mois, la durée de chômage des allocataires augmente d’environ deux mois et demi. » On pourrait être tenté d’en conclure que, oui, lorsque les individus ont accès à des allocations chômage, ils ont tendance à « profiter du système » et à rester au chômage plus longtemps, même si l’effet est relativement limité (2 mois de chômage en plus pour 8 mois d’indemnisation théorique supplémentaires).
Toutefois, quand on dépasse l’analyse « bête et méchante » des chiffres, on voit que le lien et la causalité ne sont pas si clairs que ça. Par exemple, la revue des études économétriques montre que lorsque l’on réduit la durée d’indemnisation, cela ne fait baisser que marginalement le chômage, et pas forcément parce que les allocataires retournent à l’emploi. Ainsi, « un grand nombre des sorties du chômage provient en effet de transitions vers d’autres états tels que l’inactivité, les minima sociaux ou la formation. [On observe] un doublement des taux de transitions vers l’emploi dans le mois qui précède la fin de droits tandis que l’effet sur les sorties en direction d’états alternatifs est 2 à 3 fois plus important que celui observé pour les reprises d’emploi. » En d’autres termes : quand on réduit la durée d’indemnisation, il y a moins de chômeurs, mais surtout parce qu’une grande partie d’entre eux changent de catégorie statistique. Ils ne sont plus chômeurs, mais inactifs, au RSA, ou en formation.
Il s’agit presque là d’une tautologie : la baisse de la durée des allocations chômage fait baisser le chômage, tout simplement parce que lorsque les chômeurs ne sont plus indemnisés, ils ne sont plus considérés comme au chômage… Mais cela ne fait pas forcément augmenter l’emploi, car cela pousse surtout les allocataires vers d’autres formes de non emploi.
La « générosité » des indemnités chômage en question
Concernant la baisse du montant des allocations chômage : la théorie économique classique voudrait que des allocations élevées incitent les chômeurs à ne pas chercher d’emploi. Pourtant, une étude menée par le Centre des Politiques Économiques de l’Université d’Evry concluait clairement « qu’une réduction des montants d’indemnisation n’augmenterait guère le retour à l’emploi des chômeurs. » L’étude n’explicite pas le « pourquoi », et se contente d’en faire le constat statistique. Mais on peut spéculer : ce qui détermine le plus la capacité d’un chômeur à retrouver un emploi est sans doute plus l’état du marché du travail sur son territoire, sa qualification, sa situation personnelle, que le montant de son indemnité.
Par ailleurs, certains économistes estiment que la générosité et la durée d’indemnisation sont des facteurs contribuant à un meilleur retour en emploi. Lorsque les demandeurs d’emploi sont mieux indemnisés et plus longtemps, ils parviennent en théorie à retrouver des emplois plus stables, mieux rémunérés, plus qualitatifs. Tout simplement parce que l’indemnité leur donne le temps et les ressources pour chercher un emploi correspondant à leurs besoins. À l’inverse, lorsqu’un demandeur d’emploi est mal indemnisé, ou pas assez longtemps, il a tendance à accepter des emplois plus précaires, correspondant moins à ses qualifications. « Réduire la générosité de l’indemnisation pourrait bien conduire à une diminution de l’effort de recherche d’emploi, consécutif à un appauvrissement des chômeurs. D’autre part, elle permet aux chômeurs de rejeter les propositions d’emploi de piètre qualité. »
Certains chercheurs estiment même, pour cette raison, que la générosité des allocations chômage participe à une hausse de la productivité du système économique : les salariés trouvent des emplois qui correspondent mieux à leurs qualifications, cela réduit le turn-over, diminue les coûts pour les entreprises, etc. En pratique, on ne retrouve pas toujours cet effet dans les études statistiques lorsqu’on tente de mesurer l’effet direct d’une baisse ou d’une hausse des indemnités, mais ces différences de résultats peuvent s’expliquer par les complexités méthodologiques du sujet.
Toujours est-il que les grandes institutions d’analyse des politiques économiques ne recommandent pas vraiment de baisser la durée ou le montant des allocations chômages. Elles ne recommandent pas non plus de les rendre dégressives, à l’image de l’Office Français de la Conjoncture Économique, qui publiait en 2016 une note d’analyse intitulée sobrement « Dégressivité des allocations chômages : une réforme ni nécessaire ni efficace. » On ne peut pas être plus clair.
Le mythe des « chômeurs assistés »
En fait, il faut comprendre que l’idée de réduire les allocations chômages se fonde sur un mythe. Celui que les chômeurs indemnisés seraient « incités » à rester au chômage. Or les données montrent que les chômeurs, indemnisés ou non, cherchent des emplois de façon active, et que bien souvent, ils acceptent des postes, même précaires. S’il existe probablement certains chômeurs qui « profitent du système », ils sont visiblement très marginaux puisque les données montrent au contraire que la plupart des personnes inscrits à Pôle Emploi cherchent des emplois et signent des contrats. Souvent en activité réduite, en interim, mal payés, certes, mais ils cherchent.
L’OFCE explicite ainsi : « Les données publiques ne permettent pas d’affirmer que les chômeurs indemnisés recherchent moins activement et acceptent moins souvent un emploi que les autres. […] Les
chômeurs sont donc actifs dans leur recherche d’emploi et peu sélectifs à l’égard des offres. » L’organisme conclut que « l’aléa moral » (c’est-à-dire, concrètement le fait que des chômeurs profiteraient du système pour rester au chômage) est « infime« .
Par ailleurs, historiquement, en France, les données de la DARES indiquent plutôt que les chômeurs les mieux indemnisés retournent plus facilement vers l’emploi. Bien-sûr, ce résultat indique sans doute que les demandeurs d’emplois plus qualifiés, mieux formés (et donc mieux indemnisés car sortant de postes à plus hauts salaires) ont plus de chances de retrouver un emploi. Mais cela montre aussi qu’on ne dispose pas de données indiquant que les chômeurs moins bien indemnisés retourneraient plus vite ou mieux à l’emploi.
En résumé, rien n’indique que les chômeurs profitent du système, ou que baisser ou réduire la durée de leurs allocations les inciterait à retrouver plus vite un emploi, encore moins un emploi durable et de qualité.
Chômage et allocations : voir le problème dans son ensemble
Cela étant dit, penser que le problème du chômage peut se résoudre en se contentant de moduler l’allocation chômage relève d’une vision extrêmement limitée des enjeux. SI le chômage persiste, et ce, alors même que des entreprises ont des postes à pourvoir, c’est surtout parce qu’il existe des blocages structurels qui verrouillent le marché du travail.
Il suffit d’analyser plus finement les données sur le chômage pour comprendre que ce qui explique les difficultés de recrutement et de retour à l’emploi tient plus à des facteurs comme le manque de formation ou de mobilité, la spécificité des territoires, ou la précarité, qu’à la taille ou la durée des allocations.
Par exemple, en regardant les données de l’INSEE, on voit que le taux de chômage est pratiquement trois fois plus élevé dans les populations sans diplôme que dans celles qui disposent au moins d’un BAC+2. Cela laisse entendre que les demandeurs d’emplois subissent avant tout un problème de manque de formation et de qualification. Baisser les allocations n’y changera rien.
De même, on voit que que les taux de chômage peuvent sensiblement varier d’une région à l’autre, du simple au quadruple, avec des zones d’emplois affichant aux alentours de 4% de chômage et des zones à près de 14-15%. Si le problème du chômage n’était qu’un problème d’allocation désincitative, on s’attendrait à ce que les chômeurs désincités de travailler soient présents à peu près de façon homogène sur le territoire. Ou alors, cela signifierait que les « assistés » se sont spontanément regroupés dans les mêmes régions : le Sud-Est, le Nord, l’Aube… Pas forcément convaincant, surtout quand on voit qu’entre deux territoires voisins, on peut trouver des différences très significatives dans les taux de chômage : +40% de chômage entre le Sud-Est de la Normandie et le Nord-Ouest du Centre-Val de Loire.
Ces différences montrent que le chômage est une problématique très territorialisée : certaines zones attirent plus d’activité que d’autres, pour des raisons géographiques, structurelles, socio-économiques. Les populations dans différentes zones n’ont pas les mêmes caractéristiques sociales et économiques, pas les mêmes niveaux de formation. Ils n’ont pas toujours la capacité d’être mobiles sur le territoire (pas de voiture ou de permis de conduire, pas de transports en commun), ce qui les empêche d’accéder à certains emplois. Les économistes plaident de plus en plus pour une approche du chômage par le territoire, problématique à laquelle ne répondrait pas une baisse des allocations.
Tout cela montre que pour agir sur le chômage, il vaut mieux agir sur les programmes de formation initiale et continue, donner les moyens aux demandeurs d’emplois d’être plus mobiles, favoriser le dynamisme économique des territoires aux forts taux de chômage… Mais aussi lutter contre la précarité et la pauvreté, qui sont bien souvent des freins à la formation, à la recherche d’emploi, à la mobilité, etc.
Des effets néfastes de la réduction des allocations chômage
Le chômage étant une problématique complexe et multifactorielle, la manipulation des indemnités chômage (notamment à la baisse) peut donc avoir des effets pervers. Par exemple, la proposition actuellement en discussion en France, de baisser les indemnités chômage lorsque le taux de chômage est bas, pourrait accentuer les difficultés de certains territoires en matière d’emploi. Ainsi, dans les zones les plus exposées au chômage (celles où le chômage frôle les 15%), on pourrait se retrouver avec une indemnité chômage diminuée si le chômage baisse au niveau national, et ce, même s’il peut augmenter dans les zones défavorisées. Double peine donc pour les territoires enclavés, moins dynamiques, ou ceux qui subissent des problèmes structurels.
La manipulation des indemnités chômage est donc un outil de politique économique délicat, dont il est difficile de prévoir les effets. Les considérations à l’emporte pièce sur les effets désincitatifs des indemnités chômage ne correspondent pas vraiment à la réalité complexe du chômage. Sans compter qu’entre un quart et près de la moitié des chômeurs éligibles ne demandent pas leurs indemnités chômage, volontairement ou par manque d’informations.
Surtout, si l’objectif est de faire baisser le chômage, la recherche et les expériences de terrain semblent plutôt montrer qu’il faut investir, notamment dans la formation, la mobilité, le dynamisme des territoires, l’accompagnement dans le parcours d’emploi. Bref, dans une politique sociale, à l’inverse de ce qui est mis en place en ce moment.