Le jeudi, on traite l’actualité RSE en chiffres. Cette semaine on se penche sur la façon dont le changement climatique pèse sur l’économie française avec une nouvelle méthodologie de l’INSEE qui publie des comptes nationaux ajustés des émissions de CO2 du pays. On connaissait déjà ce type de méthode pour les entreprises (avec l’indice vérité 40 d’Axylia) mais c’est une première au niveau des comptes publics. 10 enseignements à retenir.

C’est une première, l’INSEE vient de publier des comptes nationaux « augmentés » pour la France, c’est-à-dire intégrant les coûts induits par les émissions de gaz à effet de serre (GES). Et ce que l’on peut en retenir, encore une fois, c’est que notre modèle économique n’est pas soutenable et qu’il faut accélérer d’urgence la décarbonation nationale et mondiale. 

Comme ces indicateurs sont encore en construction et sont soumis à de fortes incertitudes, les chiffres doivent plutôt être pris comme des ordres de grandeur, précise d’emblée l’institution de statistiques. Ils ne prennent pas non plus en compte (pour des questions méthodologiques mais c’est bien dommage), les problématiques de biodiversité ou de pollution par exemple. 

Voici cependant les 10 premiers enseignements tirés de ce travail prospectif inédit :  

1) 403 Mt CO2 éq en 2023

En 2023, la France a émis de par son activité économique 403 Mt CO2 éq (en baisse de 31% par rapport à 1990) tandis que son empreinte carbone (prenant en compte les importations) s’est élevée à 644 Mt CO2 éq. Cela est à comparer aux 53 Gt CO2 éq mondiales. On peut se dire que c’est peu mais c’est déjà beaucoup trop et il faut voir que si on prend la moyenne de l’empreinte carbone française, celle-ci baisse peu depuis 1990 en raison de la hausse des importations qui sont en moyenne 5 fois plus émettrices que la production nationale. 

2) 2 types de coûts climatiques

Ces émissions entraînent 2 types de coûts : des coûts associés aux dommages climatiques (baisse de la productivité, de l’emploi et de la valeur des actifs) et à l’adaptation mais aussi des coûts induits de décarbonation de l’économie. 

3) Des émissions qui dégradent notre « capital climatique »

Les émissions de GES dégradent notre « capital climatique » et donc les services économiques que le climat rend aux branches qui en dépendent. Mais elles épuisent aussi notre « budget carbone » alloué aux agents économiques.

4) Une baisse de 57 Mds € des actifs de l’économie française

Sur la base d’un prix  d’environ 154 €/t CO2 éq en 2023 (valeur d’action climat défini par la Commission Quinet), les émissions carbone font baisser la valeur des actifs de l’économie de 57 milliards d’euros en 2023 en diminuant le budget carbone et en rendant ainsi les politiques d’atténuation futures plus contraignantes. 

5) Un PIN ajusté 4,1 % inférieur par rapport au PIN usuel

Au total, le coût cumulé des dommages et des politiques d’atténuation induites par les émissions françaises se monterait à 94 milliards d’euros en 2023. Ainsi le produit intérieur net ajusté (PINA) des émissions de GES se monterait en 2023 à 2 200 milliards d’euros, plus faible de 4,1 % par rapport au PIN usuel (environ 100 milliards d’euros). Et cela ne prend pas en compte les dommages sur la santé et la mortalité. Dans ce cas, la différence est de -5,5 % par rapport au PIN usuel

6) Une épargne nette ajustée négative

L’épargne nette nationale ajustée est négative sur les années récentes et le reste en 2023. Or, elle « mesure la valeur du produit courant légué aux générations futures », souligne l’INSEE. Un tel signal illustre donc « l’appauvrissement de l’économie dans sa globalité en tenant compte de l’épuisement des ressources carbone » et « indique une dégradation des conditions de vie futures non compensée par l’augmentation de la richesse purement économique du pays et donc que l’activité économique, dans son fonctionnement actuel, n’est pas soutenable », précise la note d’analyse. 

7) La croissance en volume du produit net ajusté inférieure à celle du produit net usuel

Compte tenu du recul des émissions résidentes, en 2023, la croissance en volume du produit net ajusté est cependant supérieure de 0,3 point à celle du produit net usuel.

8) De moindres dommages sociaux quand les émissions baissent

Bonne nouvelle : en 2023, le cumul des émissions réalisées depuis 2018 était inférieur de 123 Mt CO2 eq par rapport au cumul des cibles d’émissions de la Stratégie Nationale bas Carbone (SNBC). Cette avance permet de moindres dommages évalués à 21 Mds € (coût social). Mais attention : cela ne prend en compte que les émissions de GES ayant lieu sur le territoire français, or comme vu plus haut, les importations augmentent et sont plus carbonées. 

9) 929 Mds € pour décarboner l’économie

Le coût actualisé total restant pour décarboner l’économie est estimé à 929 milliards d’euros.

10) Une « responsabilité climatique » de 7 000 Mds €

La « responsabilité climatique » rétrospective de la France peut être évaluée à 7 000 milliards d’euros (cumul des empreintes carbone depuis 1850 par la France est estimé à 40,5 Gt CO2 éq  valorisé au coût social du carbone).

Ca, c’est pour la France et pour 2023. Mais si l’on en croit les prédictions du NGFS, un réseau mondial qui réunit les banques centrales et superviseurs engagés à mieux prendre en compte les risques environnementaux, c’est jusqu’à 15% du PIB de la zone qui sera perdu en 2050 à cause de la crise climatique. Une évaluation deux à quatre fois plus importantes que les estimations précédentes.

Illustration : Canva