Alors que les événements météorologiques extrêmes s’intensifient sous les effets du changement climatique, les montants des dégâts s’envolent et les assureurs doivent revoir leur modèle d’affaires. Avec quel effet sur les entreprises ?
Un monde à + 4°C n’est pas assurable, affirmait il y a déjà en 2015 le PDG d’Axa, Henri de Castries. 10 ans plus tard, c’est bien la trajectoire que prend la France et à laquelle les autorités nous demandent de nous préparer. Mais avant même d’atteindre la fin du siècle, les premiers couacs se multiplient pour les particuliers et les entreprises situées dans des zones à risques climatiques comme la montée des eaux ou les feux de forêts.
En raison de leur exposition au risque, Les sables d’Olonne, sur le littoral vendéen ou Breil-sur-Roya dans les Alpes Maritimes, ont ainsi été lâchés par leur assureur. Dans le pays, ce serait près de 1500 communes qui auraient des difficultés à s’assurer, notamment en raison de catastrophes naturelles selon la Cour des comptes. Pour d’autres, c’est la prime d’assurance qui grimpe. Blendecques, une commune des Hauts de France touchée par les inondations fin 2023 et début 2024, a vu sa cotisation assurance annuelle multipliée par trois, passant de 47 000 à 142 000 euros avec une franchise de 500 000 euros.
« Ma prime d’assurance pourrait-elle augmenter du jour au lendemain ? »
Cela pourrait-il être le cas demain pour les entreprises ? Dans une étude Bpifrance Le Lab sur la perception du changement climatique par les PME et ETI parue en décembre 2024, 37 % des dirigeants interrogés disent craindre de ne plus pouvoir souscrire à des contrats d’assurance à l’avenir, du fait du changement climatique.
Un chiffre qui ne surprend pas Jean-Michel Ranchon, dirigeant de Limagne Fleurs, qui regroupe deux sociétés grossistes pour les paysagistes, jardineries et grandes surfaces situées dans la plaine de Limagne, dans le Puy de Dôme. Une grande partie de son activité est soumise aux aléas climatiques comme les sécheresses et les tempêtes, qui peuvent détruire les arbres et plantes qu’il fait pousser ou stocke à l’extérieur ou dans des serres. « En 2013, l’ancien propriétaire avait vu une partie de son stock détruit par un orage de grêle. A l’époque, l’assurance l’avait très bien dédommagé mais c’était il y a 10 ans. Que se passerait-il si la grêle venait à tomber deux fois de suite, au moment où la serre est pleine comme en octobre quand c’est la saison des chrysanthèmes ? », s’interroge le dirigeant.
Si la question de l’assurabilité de son entreprise ne « l’empêche pas de dormir aujourd’hui », il ne peut s’empêcher d’être plus pessimiste à moyen terme. « Au regard des études des climatologues qui montrent que les événements météorologiques extrêmes seront plus brusques, fréquents, violents et de moins en moins prévisibles avec le changement climatique, je ne vois pas comment cela ne pourrait pas devenir plus compliqué dans 5 à 10 ans », explique-t-il à Youmatter. Déjà, dans la région une scierie a perdu son assurance en raison de sa trop grande proximité avec une forêt à haut risque d’incendie.
Pour mieux anticiper ces risques, Jean-Michel Ranchon est donc allé voir son assureur pour savoir quelles actions de prévention celui-ci attendait pour garantir son assurabilité. « Au final, j’ai déjà mis pas mal de choses en place comme l’élagage des arbres ». Mais le coût de l’assurance pour nos plantes et nos serres reste cher (15 000€ en 2023) : nous avons donc réduit la couverture assurantielle au moment où les intempéries seraient catastrophiques pour nous », reconnaît-il. Et si aujourd’hui sa prime d’assurance n’a pas encore augmenté, son assureur l’a prevenu, c’est une question de temps. « Est-ce que ce sera une augmentation brusque après une année dramatique ou une augmentation progressive? », s’interroge-t-il.
Une augmentation des primes de 130 à 200 % sur 30 ans
Depuis le 1er janvier 2025 et après 25 ans de stabilité, le taux de la cotisation relative à la couverture des catastrophes naturelles (dit régime CAT NAT) est déjà passé de 12 à 20 % sur les contrats d’assurance de dommages aux biens pour les habitations et professionnels, en raison de l’augmentation du nombre de catastrophes naturelles et leur intensité. Et ce n’est qu’un début car le régime est menacé par un déséquilibre structurel qui va aller croissant avec l’adaptation au changement climatique.
D’ici 2040, le régime « Cat Nat » ne dégagera plus assez de réserves pour couvrir les seuls épisodes de sécheresse selon la Caisse centrale de réassurance (CCR). Et les sinistres liés aux catastrophes naturelles pourraient augmenter de 2 à 5 fois dans les départements les plus touchés, conduisant à une augmentation des primes de 130 à 200 % sur 30 ans pour couvrir ces pertes, note l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) dans son second exercice de stress-test climatique publié en mai 2024.
Mais cela « va au delà d’une assurance plus chère, on est dans un changement de paradigme du risque », soulignait ainsi Adrien Couret, directeur général d’Aéma Groupe et membre de l’Institut des Actuaires, lors d’une table ronde sur le thème « Pourra-t-on s’assurer dans 20 ans » de la REF2024 du Medef.
Demain un désengagement des territoires à risque ?
En France, le régime CAT NAT créé par la loi du 13 juillet 1982 a instauré une couverture obligatoire. Un régime protecteur qui reste peu développé dans le monde mais qui permet aux entreprises, particuliers et collectivités françaises d’être indemnisées dans des conditions uniformes en cas de dommages à leurs biens suite à un événement déclaré « catastrophe naturelle » par les pouvoirs publics comme les inondations, les tempêtes, la sécheresse, les mouvements de terrain ou les séismes.
« L’exposition toujours plus forte des entreprises aux risques climatiques risque d’entraîner une hausse des primes d’assurance, le désengagement partiel des compagnies sur les aléas ayant le plus de chances d’advenir et le déséquilibre du régime d’indemnisation des catastrophes naturelles (Cat Nat) », précise Bpifrance. Pour y remédier, au-delà de la hausse des primes, des assureurs pourraient aussi décider de durcir les critères de leur politique de souscription. Ce qui pourrait se traduire par des situations non couvertes, ou, dans certaines zones à risque où les coûts explosent et la rentabilité diminue, par un désengagement des assureurs de certains territoires.
Des retraits explicites ou implicites
Pour l’instant, le système mutualisé français fait que nous n’en sommes pas là. Mais on note déjà des des « retraits implicites » via « l’augmentation déraisonnable des primes d’assurance » qui peuvent toucher également les entreprises et les ménages alors même que les immeubles d’entreprises sont souvent moins exposés aux aléas couverts par le régime CatNat, en particulier s’agissant du
phénomène de RGA. A terme l’augmentation pourrait ainsi devenir insoutenable, provoquant une diminution du taux d’assurance. On observe aussi « des retraits explicites » avec des assureurs qui résilient des contrats et retirent leur offre de souscription dans certaines zones bien identifiées, notamment au moyen d’outils de cartographie très précis mais non rendus publics, note le livre blanc Agéa sur les enjeux assurantiels liés au climat.
Dans les modèles assurantiels fondés sur la liberté de marché, qui se traduisent par une liberté de souscription de l’assuré et une tarification des risques en fonction de l’exposition climatique, la multiplication des dégâts causés par des inondations, feux et autres sécheresses, « peuvent générer un phénomène de non-assurance de nombreux ménages, collectivités et entreprises avec une instabilité de l’offre assurantielle », note le rapport Langreney-Le Cozannet-Merad sur l’adaptation du système assurantiel français face au changement climatique.
Des pertes d’exploitation indirectes et non couvertes
Déjà, les entreprises ont le sentiment que le régime CatNat bénéficie significativement plus aux particuliers qu’aux professionnels, note un rapport sénatorial. Par exemple, le régime Cat Nat ne couvre aujourd’hui que les pertes d’exploitation d’une entreprise si elles sont directement liées à son activité et à son appareil productif, avec une franchise de trois jours ouvrés. Ce qui pose évidemment de gros problèmes aux entreprises concernées. Par exemple, si une entreprise voit ses machines sous l’eau, elle sera indemnisée. Mais si elle ne peut pas expédier ses produits en raison de routes inondées, elle ne bénéficiera d’aucune indemnité. En Espagne, lors des inondations de Valence, le constructeur ferroviaire suisse Stadler a perdu l’équivalent de 10% de sa production annuelle… sans que son site ne soit directement touché, rapporte Thibault Laconde, fondateur de l’application Callendar sur LinkedIn. Tout simplement parce que certains des fournisseurs dont dépend le site ont été touchés et qu’une trentaine ont été contraints de cesser leurs livraisons après l’inondation ou la destruction de leurs propres installations.
A l’inverse, alors qu’en 2022, la quasi-totalité des départements hexagonaux ont connu des arrêtés préfectoraux de restriction de l’usage de l’eau, les filières fortement dépendantes à la ressource en eau (chimie, énergie, bois, agriculture, etc.) ont connu des pertes d’exploitation liées à ces restrictions. Mais en l’absence de dommages matériels directs et de réglementation claire et uniforme sur la question, beaucoup d’entreprises n’ont pu faire valoir ces pertes d’exploitation auprès de leur assureur et être indemnisées.
Le changement climatique, responsable d’une hausse massive du montant des sinistres
D’ici 2050, la sinistralité liée aux catastrophes naturelles devrait augmenter de 50 %, avec une concentration des bâtiments accrue de 15 % dans les zones à risque en France. En parallèle, le montant des sinistres dus aux événements climatiques pourrait atteindre 143 Md€ en cumulé entre 2020 et 2050, soit une augmentation de 93 % par rapport à la période de 1989 à 2019, selon un rapport France Assureurs sur le futur des assurances en 2050. La croissance serait plus forte pour la sécheresse (+ 215 %) que pour les inondations (+ 87 %) et les tempêtes (+ 46 %). Au niveau mondial, 1/3 des pertes assurées liées à des phénomènes météorologiques dans le monde sont déjà attribuables au dérèglement climatique, soit 600 milliards de dollars en quasi vingt ans révèle Insure our Future.
Agriculture, photovoltaïque…des secteurs qui peinent déjà à s’assurer
Par ailleurs, deux secteurs sont particulièrement à risque. La filière agricole d’abord. Celle-ci est très exposée au changement climatique, mais faiblement protégée, avec uniquement 17 % de la surface agricole utile assurée en 2022 sur l’ensemble du territoire. Les acteurs de la filière agricole et les assureurs attendent les implications de la réforme de l’assurance agricole mise en place depuis 2023.
De façon plus surprenante, la filière photovoltaïque pourtant indispensable dans la transition écologique, est également en difficulté : les constructeurs de panneaux photovoltaïques ont du mal à souscrire une assurance responsabilité civile professionnelle car une partie des éléments dont le silicium provient de Chine, avec des « normes de conception relatives » ; les installateurs de panneaux photovoltaïques rencontrent des difficultés pour souscrire une assurance responsabilité civile décennale car la formation obligatoire à suivre est insuffisante; les exploitants de panneaux photovoltaïques (entreprises ou ménages) ont du mal à assurer leur équipement, car il fait grimper le prix de l’assurance multirisque du bâtiment (risque d’incendie, moindre étanchéité…).
Quid des énergies fossiles ?
Dans le bâtiment, les nouveaux matériaux bas carbone (béton de chanvre, isolants en paille, plaques en fibres de cellulose, etc. Les matériaux biosourcés et les matériaux réemployés) importants pour réduire l’impact climatique du secteur du bâtiment, posent aussi des problèmes d’assurabilité par manque de recul sur leur viabilité et leur efficacité.
Ce n’est en revanche pas encore le cas pour les énergies fossiles, en grande partie responsables du changement climatique, souligne Reclaim finance dans le dernier Insurance scorecard 2024. Mais c’est peut-être une question de temps. En effet, l’EIOPA, l’autorité européenne de surveillance du secteur de l’assurance qui, fin 2024, a recommandé un traitement prudentiel spécifique aux actifs fossiles, en raison du risque de transition qui pèsent sur eux.
Illustration générée par IA