Trajectoire. Pour atteindre la neutralité carbone en 2050 comme le fixe le Green Deal, la commission européenne vient de proposer un nouveau jalon pour 2040. A cette date, les émissions de gaz à effet de serre nettes devront être réduites de 90% par rapport à 1990. Ce cap doit permettre aux Etats et secteurs d’activité de mieux planifier leur décarbonation. Mais cet objectif qui peut paraître ambitieux dans un contexte où les politiques environnementales de l’Union sont contestées, reste à mettre en œuvre.
– 55% d’émissions de gaz à effet de serre nettes en 2030 par rapport à 1990, -90% en 2040 et zéro émission nette pour 2050. Voilà la trajectoire proposée par la Commission européenne pour décarboner l’Union. Celle-ci avait 6 mois à compter du premier bilan mondial de l’accord de Paris, dévoilé lors de la COP28, pour préciser son objectif intermédiaire à 2040. Le jalon est important pour donner de la crédibilité à l’objectif de neutralité carbone fixé par le Green Deal.
Il doit aussi envoyer « des signaux importants sur la manière d’investir et de planifier efficacement à plus long terme » et « renforcer la résilience de l’Union face aux crises futures« , explique la Commission. L’Europe est en effet aux avants postes du réchauffement climatique : la hausse de la température moyenne de ces cinq dernières années y est de 2,2°C par rapport à l’ère préindustrielle. C’est plus que le réchauffement observé au niveau global (+1,5°C en 2023). Et « rien qu’au cours des cinq dernières années, les dommages économiques liés au climat en Europe sont estimés à 170 milliards d’euros », assure la Commission. La décarbonation doit aussi permettre à l’Union de réduire sa dépendance aux importations de combustibles fossiles, qui représentaient plus de 4 % du PIB en 2022.
Une proposition ambitieuse ?
La proposition de la Commission pour 2040 apparaît comme ambitieuse au vu des fortes tensions que suscitent en ce moment chaque nouvelle stratégie ou mesure environnementale au sein de l’Union. Mais elle est à nuancer car il s’agit de réduction d’émissions nettes, en intégrant 400 MtCO2-eq CO2 de séquestration carbone naturelle et artificielle, et non brute, qui aurait demandé de passer de quelque 3 300 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an (2022) à moins 500 MtCO2-eq CO2 en 2040. Par ailleurs, pour être compatible avec une trajectoire d’1,5°C, il aurait fallu atteindre la neutralité carbone dès 2040, souligne le Réseau Action climat. Outre l’ambition, la question est celle des moyens car l’Union n’est déjà pas en ligne avec les objectifs du Green Deal : la réduction des émissions de GES nettes ne devrait être que de 49% à 51% d’ici 2030, selon le conseil scientifique consultatif européen sur le changement climatique. Pour espérer atteindre les objectifs 2030, il faudrait donc multiplier le rythme actuel de réduction par deux.
Préalable requis pour l’atteinte de ces objectifs : la mise en œuvre intégrale de la législation existante visant à réduire les émissions d’au moins 55 % d’ici à 2030 (fit for 55). Pour aller plus loin, la Commission mise sur un Pacte vert industriel avec une « décarbonation quasi totale de l’électricité » à partir de 2035. Toutes les solutions énergétiques zéro et à faible émission de carbone seront nécessaires pour y arriver et assurer l’accès à une énergie décarbonée suffisante et abordable, assure la Commission qui cite notamment le nucléaire (via les petits réacteurs modulaires) et le stockage et captage du CO2. La consommation d’énergie liée au combustibles fossiles est également appelée à baisser de 80% entre 2040 et 2021.
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Le captage et stockage du carbone au centre de la stratégie
Le transport devra aussi faire sa révolution puisque le secteur devra baisser ses émissions de 80% par rapport à 2015. Quant au secteur agricole, sa contribution est présentée sous l’angle de la séquestration de carbone alors que les puits de carbone naturels que sont les sols et forêts sont mal en point. Et alors que le secteur pèse 11% des émissions de GES européennes, aucun objectif chiffré de réduction n’est mentionné. Un flou qui s’explique par les mouvements agricoles qui se multiplient en Europe. Seulement, pour le Bureau européen de l’environnement, c’est le signe de « nouveaux retards et concessions » qui nuiront in fine a l’agriculture, la sécurité alimentaire et la politique climatique européenne.
La Commission ne se contente pas des puits de carbone naturels. Elle table aussi sur le captage et stockage anthropique, qui a également été mis en avant dans l’accord signé à la COP28 de Dubaï. D’ici 2040, 280 millions de tonnes devraient ainsi être éliminées chaque année par ces techniques qui restent pourtant encore peu mâtures et extrêmement coûteuses. Le captage ciblera les secteurs difficiles à réduire, comme le ciment ou l’acier, précise la commission. Mais sans convaincre les associations environnementales.
Celles-ci estiment également que le plan proposé comporte des manques : aucun objectif d’élimination progressive des combustibles fossiles à l’échelle de l’UE n’a été inclus, déplorent plusieurs ONG. Et la sobriété, pourtant primordiale, est un « levier encore inexploité par l’Union européenne », estime le RAC dans une note de position. Quant à la Fabrique écologique, elle souligne le besoin d’un « acte 2 du Pacte vert » structurant pour assurer une mise en oeuvre effective et de changer de méthode en travaillant notamment sur les questions de démocratie, de justice sociale et de financement.
La transition juste comme condition sine qua non
Ces trois derniers sujets sont liés. Car les investissements requis s’annoncent massifs. Sur la période 2031-2050, ils pourraient atteindre chaque année 660 Md€ dans l’énergie et 870 milliards dans les transports. Mais l’inaction serait plus chère encore : un réchauffement plus élevé dû à l’absence de mesures pourrait grever le PIB d’environ 7% d’ici la fin du siècle sans parler des incidences sur la santé humaine et l’environnement… Pour assurer le financement, la Commission mise notamment sur le prix et le marché du carbone pour « encourager les investissements dans les technologies vertes » et engendrer des recettes destinées à financer les mesures climatiques et de soutien social. Elle annonce notamment mettre en place un groupe de travail spécifique chargé d’élaborer une approche mondiale sur le sujet.
Alors que la politique environnementale de l’Union est mise à mal par la montée des populistes et des contestations sociales comme celle des agriculteurs, la Commission insiste aussi sur l’importance du dialogue avec les secteurs concernés. Celui-ci devrait être structuré et renforcé dans les prochains mois, notamment autour des questions d’emploi, de mobilité et d’investissement. Elle précise aussi que « l’équité, la solidarité et les politiques sociales doivent rester au coeur de la transition« . Mais rien n’est dit sur des mesures fiscales structurelles pesant sur les populations les plus aisées ou les activités les plus polluantes, regrette La Fabrique écologique.
Reste enfin à ce que cette trajectoire soit transformée en proposition législative validée par le Parlement et le Conseil, ce qui est loin d’être gagné car cela ne devrait avoir lieu qu’après les élections européennes. Les objectifs 2050 et 2030 sont, eux, inscrits dans le texte du Green Deal.
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Photo : Commission européenne