Comment lutter contre le harcèlement scolaire ? Les dispositifs sont-ils efficaces ? Voyons-voir…
À l’occasion de la journée de lutte contre le harcèlement en 2018, Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse déclarait :
« La lutte contre le harcèlement à l’école est un défi majeur car le harcèlement est la négation même de notre idéal d’école : une école de la confiance où l’on vient avec bonheur, où chacun respecte autrui, où l’on cultive en pratique les valeurs de la République. Tous les enfants doivent se rendre à l’école en confiance, confiance dans leurs camarades et en eux-mêmes. C’est le sens profond de ce que j’appelle l’École de la confiance. «
L’état des lieux du harcèlement scolaire montre que les phénomènes de harcèlement sont pourtant une réalité persistante à l’école et représentent des enjeux réels pour la sécurité des enfants et adolescents. Alors, quels moyens existent pour lutter contre le phénomène ? Quels sont les leviers d’action mis en place en France pour lutter contre le harcèlement entre élèves, à l’école et en ligne ? Sont-ils efficaces ? Tentons de comprendre.
Le principe d’une scolarité sans harcèlement, inscrit dans la loi depuis 2019
En France, la dynamique de lutte contre le harcèlement scolaire semble se renforcer ces dernières années. En 2019, le gouvernement a ainsi promulgué la loi sur l’Ecole de la confiance. L’article 5 de celle-ci consacre « le droit des élèves à suivre une scolarité sans harcèlement » en l’inscrivant dans le code de l’éducation. L’enjeu étant à présent de rendre ce droit effectif.
Au-delà de sa valeur symbolique, cette disposition donne une assise légale à l’ensemble des actions de prévention menées par le ministère de l’Education et de la Jeunesse, et entend accroître la mobilisation contre le harcèlement scolaire.
Le 13 octobre 2020, le député Erwan Balanant a également remis au Premier ministre un rapport contenant 120 propositions pour lutter contre le harcèlement en milieu scolaire.
Il propose par exemple de durcir les sanctions à travers une qualification pénale des faits de harcèlement (proposition 66), ou encore une contribution financière des plateformes numériques pour encourager la lutte contre le cyber-harcèlement (proposition 100).
Mais au-delà de ces réflexions récentes, il existe un système de lutte contre le harcèlement à l’école, structuré en trois grands volets.
Former les adultes aux problématiques de harcèlement scolaire
Le premier volet de l’action de l’Etat face au harcèlement scolaire est consacré à la formation, à la fois des parents, du corps enseignant mais aussi des directeurs d’école, dans une logique d’unité du monde adulte.
Mieux former les adultes, acteurs clés pour déceler et prévenir les situations de harcèlement
Distinguer ce qui relève du harcèlement ou de simples chamailleries entre élèves est parfois délicat pour le personnel scolaire. C’est d’autant plus le cas avec les micro-violences qui peuvent cacher une véritable violence psychologique pour la victime.
Former le personnel enseignant et les directeurs d’école à la problématique du harcèlement scolaire, c’est leur permettre d’identifier ces situations le plus tôt possible. Une formation qui ne doit pas être considérée comme « une charge de plus » dans le travail routinier de l’enseignement et de l’éducation, mais bien comme « une partie intégrante de celui-ci », selon Eric Debarbieux, ancien président du Conseil scientifique des États généraux de la sécurité à l’École.
Par ailleurs, selon une étude publiée dans le Journal of adolescent health le soutien parental est aussi particulièrement important pour protéger les enfants et adolescents du harcèlement. Ce soutien passe par la formation préalable, via des guides pratiques ou des sites Internet pédagogiques et explicatifs comme le site national Non au harcèlement, visité près de 650 000 fois en 2019.
Apprendre à réagir face au harcèlement scolaire
Le rôle des parents et plus généralement des adultes est aussi d’apprendre à correctement réagir face à une situation de harcèlement, de clarifier ce qu’ils doivent dire.
Si l’on prend le cas des victimes de sexting non consenti ou de revenge porn (partage d’images à caractère sexuel d’une personne sans son consentement), les remarques des adultes visent généralement à culpabiliser la victime, avec des phrases du type « pourquoi as-tu pris une telle photo / vidéo de toi ? », « Pourquoi l’as-tu partagée, même en privé ? », « Pourquoi as-tu été aussi imprudent(e) ? ».
Ils reproduisent ainsi sans le vouloir le même mécanisme que les harceleurs, comme l’explique Marie Quartier, responsable du réseau Orfeee (Observation, Recherche et Formation pour une Ecologie de l’Esprit à l’Ecole), dans cette vidéo.
Sensibiliser en mobilisant les élèves autour du harcèlement scolaire
Lutter contre le harcèlement, c’est aussi faire en sorte que les élèves sachent identifier le harcèlement.
Parmi les 5,6 % d’élèves en situation de multivictimation (harcèlement physique et phychologique notamment), 66 % s’estiment effectivement harcelés. « Autrement dit, un élève sur trois en situation de multivictimation ne qualifie pas son cas comme relevant du harcèlement », selon la DEPP.
Il s’agit donc de faire en sorte que les élèves soient conscients de ce qu’est le harcèlement, et qu’ils sachent comment agir s’ils sont victimes ou témoins de harcèlement. En France, outre les journées de lutte contre le harcèlement scolaire qui ont lieu chaque année le premier jeudi de novembre, deux initiatives vont dans ce sens.
Le prix « non au harcèlement »
Près de 50 000 élèves de 300 écoles ont participé au prix « non au harcèlement » lors de la précédente édition.
L’objectif : sensibiliser les jeunes à ce phénomène, et faire en sorte que chaque élève se sente concerné, qu’il s’agisse du spectateur actif, qui encourage les situations de harcèlement pour appartenir au groupe dominant, ou du spectateur passif qui ni ne participe ni s’oppose aux violences, de peur d’attirer l’attention des agresseurs.
Ils ont la possibilité de créer des vidéos ou encore des affiches comme celle-ci, réalisée par les élèves du collège Centre le Creusot (académie de Dijon).
L’initiative « Jeunes ambassadeurs » face au harcèlement
Pour prévenir le harcèlement et le cyber-harcèlement, le ministère de l’éducation nationale a également généralisé la formation des « ambassadeurs ». Ils sont aujourd’hui près de 10 000 collégiens et lycéens à être « ambassadeurs contre le harcèlement ». Pour les parents, il s’agit aussi de trouver le bon équilibre pour leurs enfants face aux écrans.
Cette sensibilisation par les pairs incite à la réflexion essentiellement auprès des potentiels témoins de violences. C’est bien souvent la peur de dénoncer, pour ne pas à son tour victime de violences qui cristallise les situations de harcèlement.
Ce contre quoi se bat le ministère à travers le slogan : « le harcèlement, pour l’arrêter, il faut en parler », valable aussi bien pour les témoins que les victimes.
D’autres initiatives locales, à l’échelle des établisssements, départements, académies, associations se développent, avec par exemple les copains vigilants, ou les veilleurs, visant essentiellement à rompre l’isolement des victimes, et mobilisant élèves et adultes.
Prendre en charge les familles et les victimes de harcèlement scolaire
Le troisième volet est celui de l’accompagnement de la victime et de sa famille.
Briser le silence : des lignes d’écoute
2 lignes d’écoute gratuites, anonymes et confidentielles sont disponibles, à la fois pour les auteurs, victimes et témoins.
Il s’agit du 3020 : un numéro d’écoute et de prise en charge pour les familles et les victimes, et du 0800 200 000 : un numéro Net Écoute dédié au cyberharcèlement.
Des psychologues ou encore des professionnels des sciences de l’éducation répondent aux jeunes, aux parents et aux professionnels qui ont à voir avec une situation de harcèlement.
Le dispositif les aide à trouver des solutions, il oriente et conseille ses interlocuteurs vers des organismes capables de les soutenir et d’agir avec eux pour que la situation cesse et faire sortir les victimes de leur isolement. Le 3020 a été sollicité 77 742 fois en 2019.
Accompagner la victime et les parents : les phrases à dire
Cet accompagnement doit se faire à la fois auprès de la victime mais aussi de son ou ses parents, par les personnels des établissements scolaires notamment.
Les parents peuvent se sentir coupables de ne pas avoir su protéger leur enfant, de ne pas avoir vu suffisamment tôt sa souffrance.
Quant à l’enfant harcelé, il éprouve généralement de la culpabilité, non seulement vis-à-vis du fait de mettre ses proches dans une situation de détresse, mais aussi vis-à-vis de sa propre situation, persuadé que c’est de sa faute s’il a été harcelé.
Il s’agit donc de déculpabiliser la victime, de l’inciter à parler des violences dont elle souffre et de trouver les mots justes. Il s’agit alors de privilégier des formules déculpabilisant la victime, d’insister sur le fait que les coupables, ce sont bien les agresseurs, qu’elle n’est en aucun cas responsable de ce qui lui arrive. Insister aussi sur la possibilité et l’importance de se faire soutenir psychologiquement :
- « Tu n’as rien fait de mal./Votre enfant n’a rien fait de mal. »
- « Nous sommes entièrement de ton/votre côté. »
- « Il n’y a pas de honte à avoir. »
Le rôle des référents harcèlements
Les référents harcèlement scolaire, constitués en réseau de plus de 300 personnes au niveau de l’académie ou du département, aident à la prise en charge des situations de harcèlement scolaire.
Ce sont des professionels aux profils variés : proviseurs de vie scolaire, inspecteurs, médecins… Ils sont déclarés à la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) car ils ont connaissance des données personnelles sur les élèves et leur famille.
Ils font en sorte qu’il n’y ait aucune situation de harcèlement qui reste sans solution. Ces situations sont portées à leur connaissance par le le 3020 qui leur transfère parfois une situation de harcèlement compliquée à gérer, mais aussi par courrier, par mail…
Ils accompagnent la famille et aident l’établissement scolaire à résoudre la situation.
Se donner les moyens d’assurer un environnement éducatif inclusif et propice à l’apprentissage
Peu d’études mesurent précisément les phénomènes de harcèlement à l’école aujourd’hui. Toutefois, on constate une très légère baisse des situations de harcèlement à l’école, mais une augmentation du cyber-harcèlement. Il s’agit d’adopter une approche systémique face à ce problème.
Afin de garantir aux élèves les meilleures chances de réussite, il faut assurer un environnement où il peuvent se sentir en sécurité, dans un cadre éducatif ferme et juste.
Les parents, enseignants et directeurs d’école doivent veiller à préserver un climat propice aux études et à l’épanouissement personnel des élèves. On doit apprendre aux élèves la tolérance, l’altérité, et finalement faire évoluer les mentalités pour tendre vers une société plus inclusive.
Du phénomène de harcèlement scolaire découle donc une responsabilité collective : prévenir ces violences à travers des plans d’action, des guides, des journées de sensibilisation, des supports pédagogiques plus inclusifs, etc, mais aussi alerter lorsqu’on est victime ou témoin d’une situation de harcèlement.
Aujourd’hui, les dispositifs existants intègrent ces problématiques pour mieux lutter contre le harcèlement. Mais il reste à savoir si des moyens suffisants sont alloués pour les mettre en oeuvre. Une étude menée en 2015 par le Laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques de Sciences Po montrait ainsi que les dispositifs de médiation contre le harcèlement scolaire n’avaient d’effet significatif que lorsqu’ils étaient menés par des médiateurs formés et expérimentés… Ce qui est coûteux en fonds et en personnels.
Difficile d’imaginer mettre en oeuvre une politique efficace de lutte contre le harcèlement sans mettre à disposition des acteurs de terrain les ressources humaines et financières requises. Dans un contexte où les acteurs de terrain dénoncent depuis longtemps la baisse des moyens pour l’école, ce sera un défi immense à relever.