Les dirigeants d’entreprise comprennent-ils les enjeux d’un monde en pleine mutations ? Sont-ils formés aux défis de transition qui s’annoncent ? Pas sûr.
Quand on parle du rôle du dirigeant d’entreprise, plusieurs idées reviennent régulièrement : le dirigeant serait celui qui est capable d’amener son entreprise sur le chemin de la performance globale, celui qui prend les décisions stratégiques, celui qui oriente la transformation de l’organisation, celui qui fait évoluer l’entreprise pour lui permettre de relever les défis d’un monde en pleine évolution.
Mais les dirigeants sont-ils suffisamment formés et informés pour remplir réellement ce rôle ? Pas si sûr. Si l’on regarde quelques sondages ou études ces dernières années, on voit que les dirigeants sont presque toujours en décalage avec les réalités du monde contemporain. Ils ne comprennent pas bien les enjeux d’un monde complexe, qui mute vite. Ils sont mal formés. Et s’il était temps de former les leaders des entreprises d’aujourd’hui aux enjeux du monde de demain ? Décryptage.
Voir aussi : Transition écologique : quel rôle pour les entreprises ?
CEO et dirigeants : une méconnaissance des enjeux stratégiques pour demain
Régulièrement, cabinets de conseil et organisations diverses s’intéressent à ce que pensent les CEO, les dirigeants d’entreprise. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces derniers semblent avoir des difficultés à bien comprendre les défis que le monde va devoir relever dans l’avenir.
Prenons un exemple simple : le numérique. Sans aucun doute, la transition numérique est l’un des grands enjeux qui façonne aujourd’hui et continuera de façonner demain la façon dont les organisations opèrent sur les marchés. Pourtant, il a fallu des années pour que les dirigeants se saisissent de cette question. Dans les années 2000, les Chief Information Officer s’arrachaient les cheveux pour faire comprendre les réalités des enjeux du numérique à leurs CEO. De même, les community managers savent bien le temps qu’il a fallu pour faire comprendre aux leaders business l’intérêt d’adopter une stratégie de communication sur les réseaux sociaux. Autant d’enjeux qui apparaissent aujourd’hui comme des évidences, et qui pourtant ont mis du temps à rentrer dans la culture des dirigeants.
Aujourd’hui le schéma se répète sur d’autres enjeux : le climat et l’environnement par exemple. Cela fait presque 30 ans que la communauté scientifique place la menace climatique et environnementale parmi les plus grands risques pour l’avenir de nos sociétés et de notre économie. Depuis des années, on sait que le réchauffement climatique provoquera des tensions sur les chaînes d’approvisionnement de nombreux matériaux, qu’il affectera la résilience des infrastructures, qu’il menacera les conditions de notre développement, et que, bien évidemment, tout cela provoquera des phénomènes de crises économiques et financières, de ralentissement global. On sait aussi, et ce depuis près de 10 ans, que la perte de la biodiversité et la destruction des écosystèmes peut provoquer de graves crises sanitaires. Sur Youmatter, on parlait déjà il y a près de 5 ans des liens entre crise écologique et risques pandémiques.
Pourtant, si l’on regarde ce que pensent les CEO de ces enjeux, on constate, année après année, qu’ils ne s’en soucient pas, ou très peu. Le réchauffement climatique ou la crise écologique ne font même pas partie des préoccupations majeures des CEO d’après le sondage mené chaque année par PwC. Ce qui les inquiète le plus ? D’être trop encadrés par les régulations. Et ce, alors même que le World Economic Forum place en tête des risques stratégiques mondiaux des risques environnementaux.
Même cette année, en 2020, après une crise pandémique majeure, après avoir passé l’année à parler du monde de demain, de résilience, les dirigeants ne placent toujours pas les risques environnementaux dans leurs préoccupations majeures.
Dirigeants : un défaut de connaissance
Comment expliquer ce décalage ? La racine est probablement un manque profond de connaissance. C’est en tout cas ce que suggèrent différentes études récentes. Par exemple, selon le récent rapport de l’ONU au sujet des Objectifs du Développement Durable, la majorité des CEO ne voient pas encore bien le lien entre les questions de durabilité et la stratégie de leur organisation. La majorité des citoyens ont encore du mal à faire le lien entre climat et économie (dans un sens comme dans l’autre) et à ce titre, les dirigeants ne semblent pas faire exception.
La majorité des dirigeants d’entreprise en France estiment que la menace climatique n’est pas si grave, qu’elle sera limitée d’ici la fin du siècle. Cette croyance est évidement en totale opposition avec le consensus scientifique sur le sujet, avec les conclusions des rapports du GIEC.
Et ce n’est pas forcément étonnant : au sein du CAC40, les dirigeants ont en moyenne 60 ans. Leur formation date d’une époque où les enjeux étaient bien différents de ceux d’aujourd’hui. À l’époque, les grandes écoles dont ils sont issus ne parlaient pas du climat, d’intelligence artificielle, de biodiversité, de management « bienveillant » ou encore des défis sociaux et économiques modernes. Il est donc assez logique que les dirigeants, bien souvent préoccupés par des enjeux de court terme, n’aient pas le niveau de connaissance requis sur les enjeux de notre époque. : sur l’intensité carbone des différentes sources d’énergie, sur les évolutions technologiques majeures en cours, ou sur les nouveaux modes de consommation.
Le résultat, c’est que seuls 24% des CEO sont au centre des efforts de transition au sein de leur entreprise, et ce malgré les bonnes volontés affichées dans les différents sondages sur le sujet. Les analyses de matérialité et l’anticipation des risques, l’économie circulaire, l’innovation produit ou les aspects opérationnels de la transformation technologique sont bien loin des préoccupations des dirigeants au quotidien. Les sondages le montrent : seuls 7% des CEO placent la gestion des risques dans leurs priorités principales. 8% à peine évoquent l’innovation, 14% à peine l’amélioration des produits.
On ne s’étonnera donc pas du retard pris par les entreprises sur l’enjeux de la transition managériale, de la gestion des impacts environnementaux, ou de la croissance inclusive.
La nécessité de la formation des CEO
Il semble qu’il y a aujourd’hui urgence pour les dirigeants à se former sur les enjeux de demain. Il faut qu’ils prennent le temps de comprendre en profondeur les ordres de grandeur liés aux enjeux du développement durable, aux défis de la transformation du système économique en général, ou aux logiques environnementales.
Il est nécessaire qu’ils se forment aux enjeux de la responsabilité sociale des entreprises : qu’est-ce qu’un reporting ou une déclaration de performance extra-financière, que contiennent-il, à quoi servent-ils ? Quels sont les enjeux identifiés dans l’analyse de matérialité de leur entreprise ? Qu’est-ce qu’une transition fondée sur a méthode « science based target » ? Et à quoi ressemblerait une telle transition dans leur entreprise ? Aujourd’hui, ces enjeux ne sont connus que de rares experts de la RSE et du développement durable au sein des entreprises. Mais ces préoccupations doivent aussi (et peut-être avant tout) être les préoccupations des instances dirigeantes, des conseils d’administration et des dirigeants.
Si le rôle du dirigeant d’entreprise est bien de prendre les décisions stratégiques pour l’avenir de son organisation, la connaissance des macro-tendances et des enjeux émergents sont alors une obligation professionnelle. La formation est ainsi une étape obligée. Mais pour que les dirigeants se forment, encore faudrait-ils qu’ils aient conscience de ce besoin. Or aujourd’hui, moins de 8% des dirigeants estiment manquer de connaissances sur les enjeux transversaux de transition. Il y a donc un énorme travail de prise de conscience à faire.
Photo par Dane Deaner sur Unsplash