La conquête spatiale est-elle écologique ? Quel est son impact sur la planète ? Faut-il continuer l’exploration spatiale du point de vue environnemental ? La recherche spatiale peut-elle contribuer à la transition écologique ? Tentons de comprendre toutes ces questions, plus que jamais d’actualité !
À l’heure où milliardaires et gouvernements se relancent dans la course à l’espace, si on prenait le temps de s’interroger sur les liens entre la conquête spatiale et l’écologie ?
La conquête spatiale pollue-t-elle beaucoup ? Faut-il arrêter d’investir dans le secteur pour réduire nos impacts environnementaux ? Ou au contraire, l’exploration spatiale est-elle la clef pour la transition durable globale ? La recherche spatiale est-elle utile du point de vue écologique ? Voilà des questions qui sont rarement abordées lorsque l’on parle de l’espace, et pourtant, elles sont importantes.
Alors qu’en est-il ? Faisons le point.
L’impact environnemental de la conquête spatiale
Pour dire les choses clairement, l’exploration spatiale, qu’elle soit le fait de milliardaires ou d’astronautes plus classiques, génère des pollutions considérables. Il faut fabriquer les engins spaciaux, et surtout, les propulser pour les envoyer dans l’espace. Et tout cela génère des consommations de ressources, d’énergie, de matériaux, et donc des émissions de gaz à effet de serre, des pollutions. Par exemple, pour un seul vol d’une dizaine de minutes, ce sont pas loin de 80 tonnes d’équivalents CO2 qui sont émises dans l’atmosphère juste pour propulser la fusée. C’est plus de 6 fois la quantité de CO2 émises par un Français sur une année entière, ou autant qu’un Indien pendant 40 ans. À ces émissions directes, il faudrait rajouter toutes les émissions indirectes (construction des fusées, des infrastructures, production des carburants…) et toutes les ressources nécessaires, ainsi que les impacts environnementaux associés. Et bien-sûr, tout ça sur des processus qui prennent parfois des années. Des années de travail et d’impacts environnementaux pour un seul vol spatial.
Alors bien-sûr, les vols spatiaux, on en fait pas tous les jours. Et ça ne concerne pas beaucoup de monde. De ce fait, la pollution liée à l’industrie spatiale reste pour l’instant très limitée comparée aux pollutions générées par le trafic automobile, la production énergétique ou même la production agricole, qui concernent, elles, tout le monde, toute l’année. L’industrie spatiale ne représente donc pas une part importante des émissions et des pollutions globales.
Questionner l’utilité de la conquête spatiale
Néanmoins, on peut s’interroger : dans un contexte où l’on doit limiter nos émissions de gaz à effet de serre et notre empreinte sur la nature en général, faut-il continuer à développer cette industrie polluante ? La réponse à cette question n’est pas forcément simple. En effet, par principe, toutes les activités humaines provoquent des impacts environnementaux, toutes les industries sont polluantes. S’il fallait arrêter toutes les industries polluantes, c’est la société et le système économique tout entier qu’il faudrait arrêter.
Si l’on se pose cette question spécifiquement concernant la conquête spatiale, c’est que cette industrie illustre parfaitement la problématique de l’équilibre entre l’utilité sociale d’une activité et les impacts environnementaux qu’elle génère. Dans une société contrainte par la pression écologique et par des ressources limitées, il n’est plus possible de « tout faire ». Il faut faire des choix : quels sont les impacts environnementaux que l’on estime justifiés (parce qu’ils permettent par exemple aux individus de vivre) et quels sont ceux que l’on estime non-justifiés (parce qu’ils ne contribuent pas forcément à l’intérêt général). Pour l’industrie spatiale, cette question se pose sérieusement : les impacts générés par le secteur valent-ils le coup ? Répondre à cette question implique de savoir, au fond, à quoi sert l’industrie spatiale.
Les multiples faces de l’économie spatiale
S’il s’agit, comme l’envisagent les milliardaires-astronautes qui se multiplient ces derniers mois, de développer le tourisme spatial, alors le secteur aura vraisemblablement une utilité sociale très limitée, en plus d’être très inégalitaire. Des entreprises comme Virgin Galactic prévoient de proposer d’ici quelques années 400 vols touristiques spatiaux par an. Des vols accessibles uniquement aux citoyens les plus riches, mais qui contrairement au tourisme classique, ne produiront pas ou peu de richesse susceptible d’être partagée par des communautés locales. Dans ce contexte, soutenir le développement d’une industrie du vol de tourisme spatial semble profondément contradictoire avec les ambitions affichées par ailleurs en matière écologique. Alors même que l’on tente aujourd’hui de réduire les vols en avion, comment pourrait-on justifier de développer des vols spatiaux, pourtant nettement plus polluants et réservés à une population encore plus restreinte ? Sur le plan éthique, comme sur le plan environnemental et sur le plan social, l’argument semble difficile à tenir.
Mais l’industrie spatiale, ce n’est pas seulement les perspectives du tourisme spatial. En théorie, l’exploration spatiale pourrait permettre de trouver de nouvelles ressources, utiles pour la Terre, et peut-être même pour la transition écologique. On pourrait trouver dans l’espace de l’hydrogène blanc, des métaux utiles, qui pourront être exploités sans détruire les écosystèmes. Potentiellement, l’industrie spatiale représente aussi des pistes pour la recherche et l’innovation. De nouveaux procédés pourraient être découverts grâce aux développement techniques des sociétés impliquées dans l’industrie spatiale, des procédés qui pourraient, qui sait, servir la transformation durable de nos systèmes économiques. On pourrait peut-être même, grâce à l’exploration spatiale, trouver de nouveaux lieux habitables pour l’Homme. En théorie. Ce sont en tout cas certains des arguments de ceux qui défendent l’intérêt de l’exploration spatiale, mais qu’en est-il en pratique ?
Exploration spatiale, évolutions technologique
Si on regarde l’histoire de l’industrie spatiale, on voit bien qu’elle est parfois liée à certains progrès scientifiques ou techniques. Le GPS, par exemple, ains que toutes les applications utiles qui en découlent, ne seraient rien sans les technologies de l’espace. Un certain nombre de technologies en lien avec la transition écologique dépendent aussi des technologies spatiales : c’est le cas par exemple de nombreuses techniques utilisées pour surveiller et mesurer les indicateurs environnementaux (température, CO2…). On constate en faisant l’analyse des retombées de l’économie spatiale, que les secteurs de l’observation terrestre, de la gestion environnementale et de la climatologie ont bénéficié des retombées (notamment techniques) de l’économie spatiale. D’une certaine manière, des technologies comme les panneaux solaires ont aussi bénéficié des efforts de recherche mis en oeuvre par les agences spatiales . Certes, les panneaux solaires ont existé indépendamment de l’industrie spatiale, mais certaines innovations ont pu être développées en partie grâce aux financements émanant de secteur de l’exploration spatiale.
Mais alors, en pratique, l’industrie spatiale peut-elle aujourd’hui encore tenir ses promesses de catalyseur de progrès et de transition durable ? C’est possible. Et les acteurs du secteurs sont les premiers à mettre en avant le lien entre l’exploration spatiale et la recherche scientifique. On peut imaginer que demain, l’économie spatiale permette des avancées en matière d’énergie propre, de recherche en matière de santé, ou de protection de la biodiversité.
Pourtant, l’analyse du secteur aujourd’hui et des projections pour les prochaines années incite vraisemblablement à adopter une position très nuancée sur ce sujet. Certes aujourd’hui, une partie des financements liés à l’exploration spatiale servent des industries liées au progrès social ou écologique. Par exemple, sur les plus de 6 milliards de budget de l’Agence Spatiale Européenne, environ 22% financent l’observation terrestre, qui sert en partie à mieux comprendre les évolutions climatiques ou les cycles du carbone. Mais la grande majorité de l’argent investi dans les programmes spatiaux internationaux alimente des usages dont l’utilité collective est plus discutable.
La conquête spatiale au service de l’écologie ? Pas sûr
Selon le Science and Technology Policy Institute, près d’un quart du financement spatial va vers des applications militaires. 40% du budget du secteur alimente les industries des télécommunications et la galaxie des objets « connectés » par satellites, des télévisions aux téléphones en passant par les radios. Une part significative alimente le secteur de la navigation par satellites… pour le secteur automobile, l’un des plus polluants de la planète.
Globalement, il est donc plutôt faux de dire qu’aujourd’hui, l’économie spatiale sert principalement des industries d’intérêt général, la transition écologique ou la recherche scientifique fondamentale sur nos grands enjeux collectifs comme la santé. Les quelques centaines de milliards d’euros qui constituent actuellement l’économie spatiale servent plus la défense, la télévision par satellite et les GPS de nos voitures que l’observation du climat ou les smart-grids énergétiques.
Et dans l’avenir alors ? Une chose est sûre, l’industrie spatiale est amenée à se développer. Elle affiche déjà une croissance deux fois supérieure à la celle de l’ensemble de l’économie, et pourrait atteindre, selon les estimations, d’un à plusieurs milliers de milliards d’euros d’ici 2050. Mais les projections ne vont pas forcément dans le sens d’une réorientation du secteur vers des objectifs de développement durable.
Selon les données d’Euroconsult, dans les 10 prochaines années, le secteur devrait surtout continuer à se développer dans deux domaines. D’abord, le perfectionnement des systèmes de transports spatiaux, à savoir le développement de systèmes de lancement et de fusées plus perfectionnées, réutilisables. Objectif : développer en masse l’infrastructure de satellites en orbite terrestre basse, en particulier pour les télécommunications, mais aussi pourquoi pas, le tourisme et le transport. Ensuite, l’économie spatiale devrait se tourner vers la Lune et l’orbite haute : 40% des missions planifiées pour la prochaine décennie visent l’exploration lunaire. Dans ces deux secteurs, on imagine pas forcément à priori de grande révolution dans le domaine de la transition durable.
Prévoir le développement de l’économie de l’espace
Dans le secteur du transport spatial, les projections s’orientent vers la massification du déploiement de satellites de communication, afin de généraliser de nouveaux réseaux de communication à haut-débit pour les zones qui ne pourront être raccordées à la fibre ou aux réseaux mobiles terrestre. Dans l’absolu, ces nouvelles technologies de communication pourraient servir l’intérêt général : s’ils permettent de raccorder aux réseaux des populations isolées, ou de faciliter la recherche de pointe dans des zones éloignées, pour éventuellement mieux les protéger, par exemple. Mais s’il s’agit, comme avec la 5G aujourd’hui, de vouloir étendre toujours plus loin les connexions à haut débit, dans l’idée que l’on puisse regarder des clips en HD au sommet de l’Himalaya, quitte à engager dans le même mouvement de nouvelles destructions de zones naturelles et de biodiversité, il n’est pas certain que cela serve vraiment les intérêts écologiques et sociaux du plus grand nombre.
C’est la même chose dans le domaine de l’exploration spatiale et lunaire. Si l’objectif est de construire d’ici la fin du siècle de véritables parcs d’attraction touristiques dans l’espace ou sur la Lune, l’équation écologique n’est pas exactement la même que s’il s’agit de développer la production spatiale d’énergie solaire, relativement bas carbone. Tout dépend de l’objectif que servira l’exploration spatiale.
Et le problème est bien là. Aujourd’hui, le développement de la « New Space Economy » est principalement mené par des organisations privées (de Virgin Galactic à Starlink en passant par Blue Origin) dont les objectifs ne sont pas toujours transparents, mais en tout cas peu probablement philanthropes. Difficile de prévoir exactement comment évoluera l’économie spatiale, mais dans la communication de ces acteurs privés, c’est bien la commercialisation massive de l’espace et de ses ressource que l’on lit entre les lignes : tourisme spatial, exploitation minière de masse, télécommunications et big data, surveillance. On imagine bien que l’objectif premier de ces investissements massifs dans l’industrie spatiale, c’est le développement de nouveaux marchés, de nouveaux besoins, et pas le respect des limites planétaires ou la protection de la biodiversité.
Bien au contraire, le développement de ces marchés devrait engendrer une pression toujours plus forte sur les ressources et les espaces naturels et toujours plus de pollutions. Pour construire des lanceurs, des fusées et des satellites ou trouver les ressources énergétiques pour les envoyer dans l’espace, ce sont forcément des ressources terrestres qu’il faudra utiliser. Par définition, à court et moyen terme l’exploration de l’espace se fera donc forcément aux dépens de la préservation de ce qu’il reste à protéger sur Terre. À minima, cela incite donc à penser que si l’on veut une industrie spatiale soutenable, il faudra la réglementer fortement pour orienter ses développements vers des objectifs d’intérêt général, limiter l’exploitation irraisonnée des ressources spatiales, et éviter une catastrophe écologique, dans l’espace et sur Terre.
Mais quand on voit à quel point il est difficile de réglementer l’exploitation du peu de zones sauvages que compte encore la Terre, on se dit que ce n’est pas gagné pour le monde spatial qui juridiquement, n’est le territoire d’aucun gouvernement.
Espace, recherche scientifique et transition durable
Reste à savoir si l’économie spatiale peut éventuellement, indirectement, contribuer au progrès écologique et social. En attirant les financements vers la recherche spatiale, ne pourrait-on pas finir par inventer des technologies utiles à la transition écologique ?
Après tout, c’est ce qu’il s’est passé avec la Formule 1 et l’efficacité énergétique des moteurs de voiture. La Formule 1 est tout sauf une industrie écologique, et pourtant, elle a tout de même permis, grâce à des investissements élevés, des avancées majeures en matière de performance des moteurs automobiles. Avancées qui permettent aujourd’hui de généraliser des moteurs plus économes en énergie et moins émetteurs de CO2 et de particules fines.
L’industrie spatiale peut-elle accoucher, même par accident, de telles innovations positives ? Voilà une question à laquelle il est bien difficile de répondre, car on ne peut le prévoir. C’est le principe même de ce que l’on appelle la sérendipité en sciences : parfois, l’exploration ou la recherche permettent de faire des découvertes inattendues, qui se révèlent utiles sur le plan social ou scientifique. Il est toujours possible que les fonds massifs investis dans l’exploration spatiale amènent un jour à trouver de nouvelles formes d’énergie plus propres, via l’exploitation de gisements d’hydrogène ou d’autres matériaux dans l’espace, ou qu’ils permettent le développement de traitements médicaux de pointe, grâce au travail en micro-gravité ou bien d’autres choses encore.
C’est possible, en théorie. Mais en pratique, l’argument de la sérendipité ou de la découverte par accident est difficile à défendre dans le cadre d’une analyse écologique de l’exploration spatiale. En effet, la crise écologique restreint fortement les ressources dont nous disposons collectivement. Nous avons peu de temps, peu d’énergie, peu de ressources, qu’il faut répartir entre nos différents besoins : alimentation, mobilité, habitat… Dans ce contexte, peut-on vraiment défendre l’idée investir des milliers de milliards d’euros, des millions de tonnes de matériaux et des dizaines de GWh d’énergie dans des projets spatiaux, en espérant qu’un jour, peut-être, ils aboutiront à des découvertes scientifiques d’intérêt ? Pas sûr.
D’une part, parce qu’il n’est pas certain (loin s’en faut) que ces découvertes hypothétiques émergent dans les temps pour éviter une crise climatique dramatique ou une extinction massive de la biodiversité, si elles émergent un jour. D’autre part, car tout cet argent et toutes ces ressources pourraient certainement être employées dès aujourd’hui pour des projets écologiques, sociaux ou sanitaires, avec des technologies qui existent déjà (énergies renouvelables, mobilité durable, transition vers une alimentation durable…). Par exemple, dans les faits, il est plus simple (techniquement, économiquement comme sur le plan écologique) de développer l’hydrogène vert ou la mobilité électrique sur terre que d’imaginer exploiter l’hydrogène spatial, en tout cas sur l’échelle de temps qui nous intéresse pour répondre à la crise climatique.
Surtout, d’une manière générale, l’idée qu’il faudrait utiliser l’essor de telle ou telle industrie comme catalyseur de la recherche scientifique d’intérêt général relève surtout d’une dépolitisation profonde de la question du progrès social. Après tout, si l’on souhaite réellement faire des découvertes scientifiques en lien avec la transition écologique, inutile d’attendre que tel ou tel milliardaire décide d’investir dans un secteur qui n’a rien à voir en priant très fort pour que cela aboutisse à quelque chose d’utile pour tous : on pourrait tout simplement décider collectivement d’allouer directement de l’argent à la recherche dans ce domaine. Soit de l’argent public, soit de l’argent privé, grâce à des politiques incitatives et des réglementations plus fortes. Et si par malchance, on constatait alors que l’argent n’arrive pas pour financer ces initiatives d’intérêt général, il serait encore temps de se demander s’il est légitime que notre système économique collectif mette tant d’argent dans les poches de ceux qui n’ont visiblement pas envie de le dépenser pour la collectivité.
En résumé, l’exploration spatiale peut certes, théoriquement, aboutir à des innovations utiles sur le plan écologique ou social. Mais dans les faits, la tendance ne plaide pas vraiment pour l’émergence d’une économie spatiale au service de la transition durable dans les prochaines années. Et si l’on adopte une posture probabiliste, il ressort qu’il est peu probable que l’exploration spatiale accélère significativement l’émergence de technologies durables, alors qu’il est certain que son développement mènera à l’accélération de la pression écologique, au détriment de la transition vers une économie plus sobre, qui est réellement la seule solution pour la transition écologique globale.
Que reste-t-il alors pour défendre l’exploration spatiale ? La croissance ? Certes, puisque la valeur générée par secteur pourrait être multipliée par 10 d’ici 30 ans à peine. Mais qui sait comment sera répartie cette valeur ? Si elle bénéficiera à l’économie de façon juste et équitable ? Vus les protagonistes actuels de l’aventure spatiale, plus connus pour leur capacité à accumuler les richesses qu’à la redistribuer, on peut se poser la question.
L’exploration spatiale : seule solution pour l’Homme ?
Le dernier enjeu qui entoure les thématiques de l’exploration spatiale et de la transition écologique est celui de la colonisation. Puisque la crise écologique est déjà bien amorcée et que ses conséquences sont déjà significatives, partir vers une autre planète n’est-il pas la seule solution pour préserver l’Humanité, comme l’insinuent certains ? Et à plus long terme, ne faudra-t-il pas quitter notre système solaire pour préserver l’espèce ?
Pour soutenir cette ambition colonisatrice dans les prochaines décennies, c’est Mars qui est visée, et d’ailleurs, Euroconsult prévoit que d’ici 2030, au moins 11 missions spatiales s’aventurent sur la planète rouge. Sans compter les 20 missions qui visent plus loin : le Deep Space.
Il faut ici admettre que si l’on raisonne à l’échéance de plus d’un milliard d’années, il est certain que la Terre deviendra invivable pour l’Homme, ne serait-ce qu’à cause de l’évolution de l’intensité solaire, et plus tard, de la disparition de notre astre. Si l’humanité veut échapper à cela, elle devra, évidemment, trouver une solution pour quitter la Terre, solution qui passera vraisemblablement par l’exploration spatiale.
Cela dit, on parle ici du très, très long terme. Et dans les faits, nous avons d’ici là le temps de rendre la Terre inhabitable plusieurs fois, par exemple, si l’on conserve les mêmes trajectoires de réchauffement climatique ou d’effondrement du vivant. En termes de maintien de nos conditions de survie, à très court terme, c’est bien sur ces crises écologiques qu’il faut agir, bien avant de se préoccuper de l’effondrement de notre soleil.
De même, si l’objectif est de quitter la Terre pour éviter la catastrophe écologique en cours, le compte n’y est pas non plus. En effet, il semble aujourd’hui improbable que l’on puisse envoyer ne serait-ce qu’un équipage sur Mars avant 2030, voire plus tard. Il faudra sans doute attendre le milieu du siècle pour y envoyer des missions réellement opérationnelles, et toujours inhabitées. On ne commencera à parler d’une éventuelle « colonisation » que des dizaines, peut-être des centaines d’années plus tard. Les barrières à surmonter sont énormes : temps de voyage, radiations, conditions sur place, mais aussi, barrières techniques, financières… D’ici là, les conséquences du réchauffement climatique, de la crise de la biodiversité et de la pollution globale auront eu le temps de rendre la Terre nettement moins propice à la vie humaine.
Il sera alors trop tard pour l’écrasante majorité de la population qui n’aura pas le loisir de pouvoir participer à cette éventuelle colonisation, si tant est qu’elle soit un jour possible. D’autant que, si elle s’avérait possible, cette colonisation impliquerait l’usage massif de ressources et d’énergie, dont on manquerait alors probablement sur Terre. Bref, l’idée de quitter la Terre a peut-être du sens à long terme, mais à court terme, la démarche semble à la fois illusoire et contre-productive, tant elle implique de poursuivre un extractivisme destructeur qui ne ferait qu’accélérer la crise écologique actuelle.
Prioriser, hiérarchiser les besoins
La problématique de l’exploration spatiale illustre donc bien l’enjeu majeur que nous devons relever dans les prochaines décennies pour faire face à la crise écologique : celui de la sobriété. Fondamentalement, nous devons réapprendre à hiérarchiser et prioriser nos besoins. Avec des ressources limitées et face à l’urgence écologique, il est aujourd’hui impératif de bien choisir les défis que nous devons relever.
Clairement, l’exploration spatiale ne semble pas aujourd’hui constituer un enjeu prioritaire pour l’intérêt général ou pour la transition durable. Au mieux, elle contribuera à alimenter dans les prochaines années de nouveaux marchés énergivores dans les telecoms ou le tourisme, des marchés perpétuant un modèle économique fondé sur le « toujours plus » au détriment de la nécessaire transition vers la sobriété écologique.
Le fait que la conquête spatiale mobilise aujourd’hui autant d’énergie (physique, médiatique et politique), autant de financements, autant d’attention n’est qu’un énième symptôme de notre incapacité collective à faire la hiérarchie de nos priorités, alors même que les enjeux écologiques ne sont toujours pas suffisamment pris en compte dans nos institutions politiques, sociales et économiques.
Les impacts écologiques associés à l’exploration spatiale ne sont certes aujourd’hui pas gigantesques, mais ils sont très rarement questionnés, ou mis en parallèle avec l’utilité sociale du secteur. Rien n’est donc fait pour encadrer ces impacts, les réguler, ou pour inscrire le secteur dans une logique de transition durable globale. En l’état, la conquête spatiale ressemble donc plus à l’exportation toujours plus loin de nos capacités destructrices qu’à une aventure collective positive et raisonnable d’exploration de l’inconnu. En quelque sorte, un mythe d’Icare où les étoiles remplaceraient le soleil.