Tendance. Pour ses presque 5 ans d’existence, la qualité de société à mission a été adoptée par quelque 1 500 entreprises, de toutes tailles et de tous secteurs. Une dynamique continue, qui essaime jusque dans les plus grandes entreprises, note l’Observatoire des sociétés à mission. Mais pour pouvoir transformer durablement l’essai et infuser plus largement leurs valeurs dans l’économie française, ces entreprises pionnières vont encore devoir surmonter plusieurs défis.
1 500 entreprises, représentant près d’un million de salariés, dans tous les pans de l’économie et répartis dans tout l’Hexagone. La qualité de société à mission (SàM) peut s’enorgueillir d’une croissance à deux chiffres récurrente (+34% en 2023) depuis sa création en 2019 par la loi Pacte. Celle-ci permet aux entreprises qui l’adoptent de manière volontaire, de définir une raison d’être avec des objectifs environnementaux et sociaux dans ses statuts. Une démarche loin d’être cosmétique puisqu’elle oblige alors l’entreprise à réaliser un suivi de sa mission avec un comité spécifique et de le faire certifier par un OTI.
Les ETI, grandes entreprises et sociétés cotées trouvent leur place
Les premières années, la démarche était presque uniquement portée par les petites entreprises. Mais aujourd’hui, la part des grandes entreprises et ETI engagées dans cette voie devient « significative », souligne Valérie Brisac, la directrice générale de la Communauté des Entreprises à Mission (CEM) lors de la présentation du septième baromètre des sociétés à mission.
Avec l’arrivée d’Enedis, Groupe Coopératif ou Teract, les grandes entreprises représentent désormais 2% des sociétés à mission, en augmentation de 33% en 2023 . Les ETI représentent même 8%, en hausse de 47% en 2023. C’est bien plus que la part de ces entités dans l’économie française (0,2%). Et la pionnière Danone est désormais rejointe par une dizaine d’entreprises cotées. Une société à mission – Arverne Group qui réalise des forages géothermiques notamment- à même franchi le pas de cotation en bourse en 2023, après avoir obtenu la qualité de SàM en 2022.
Cette dynamique est « assez normale » selon Vivien Pertusot, fondateur de la société de conseil La Machine à Sens. D’autant que la SàM a été « pensée par la recherche académique pour les grandes entreprises, en réaction à la financiarisation de l’économie », rappelle-t-il. « Plus agiles et ouvertes à l’expérimentation », les petites structures « ont en quelque sorte essuyé les plâtres, d’autant que les plus grandes craignaient au départ un risque juridique qui s’est éloigné », souligne le consultant spécialisé sur la société à mission. Même si l’épisode Faber en a quand même refroidi quelques uns.
La société à mission, voie de salut pour un secteur médico-social en crise ?
Autre fait notable, en 2023, le secteur médico-social fait une belle percée dans le monde des sociétés à mission. On note notamment l’arrivée notamment de deux entreprises cotées, Clariane (ex-Korian) et LNA Santé, et d’une ETI, Santé Cie. Une réponse à une double crise : celle du scandale des Ehpad – qui a notamment touché Korian – mais aussi celle du Covid. Celles-ci « ont remis la question du sens au cœur des préoccupations d’un secteur sous pression », estime ainsi Vivien Pertusot.
De quoi suspecter certains acteurs dans la tourmente de redorer leur image à bon compte. Mais Séverine Duhr, la directrice Stratégie & Performance de Santé Cie, la SàM a surtout une vertu structurante pour tenir ses ambitions. En faisant de la mission son plan stratégique, l’ETI spécialisé dans les soins ambulatoires et de proximité, a ainsi pu structurer sa démarche avec des moyens et des indicateurs de suivi forts, tout en fédérant davantage ses collaborateurs, estime-t-elle. Même son de cloche du côté de Deuxiemeavis.fr . « Quand nous n’avions pas encore un modèle d’affaires bien établi, certaines mutuelles voulaient faire passer notre offre en surcomplémentaire », se rappelle sa co-fondatrice et présidente, Pauline D’Orgeval. « Nous avons tenu bon pour rester cohérent avec notre mission. Désormais, nous avons 80 partenaires, et tous offrent le deuxième avis médical sans surcoût », se réjouit-elle lors du webinar de présentation du baromètre.
En savoir + : Qu’est ce qu’une société à mission ?
Notoriété et crédibilité, le grand défi des sociétés à mission
Cinq ans après leur mise en place, les sociétés à mission doivent pourtant encore gagner en maturité, en notoriété et en crédibilité. Après l’engouement médiatique des débuts, porté par la nouveauté et des pionniers charismatiques, le soufflet est retombé. « Au niveau gouvernemental, plus personne ne porte le sujet et trop peu de sociétés à mission prennent la parole pour créer un effet d’entrainement de plus grande ampleur », déplore ainsi Vivien Pertusot. Cette augmentation de visibilité, c’est notamment l’un des objectifs du deuxième congrès français et européen des sociétés à mission qui se tiendra le 16 mai à Paris.
Par ailleurs, le modèle en lui-même reste « assez fragile » car « il repose essentiellement sur des promesses », reconnait le consultant. La formulation des missions par exemple, a encore « une marge de progression ». De fait, « on ne voit pas nécessairement immédiatement la manière dont elles engagent les entreprises qui les écrivent », reconnait Kevin Levillain, chercheur (Mines Paris) spécialiste du sujet dans Les Echos. Selon une étude de KPMG, 25% des missions n’ont aucun lien direct avec l’activité des entreprises. Et « il n’existe aucun organisme de contrôle de la robustesse de la mission », souligne Vivien Pertusot.
Reste aussi à savoir comment l’intention de départ est suivie de fait. C’est le rôle du comité de mission, organe de gouvernance inédit dans les autres pays ayant mis en place des sociétés à mission, rappelle Kevin Levillain. Mais aussi de la certification par l’OTI, l’organisme de tiers indépendant. Or, celle-ci, bien que devant obligatoirement être publiée sur le site internet des entreprises, est encore loin d’être systématiquement affichée par les 500 sociétés qui auraient dû le faire à date. Et la certification reste encore sujette à interprétation.
Revers de la médaille de la flexibilité de la qualité de société à mission, « la déclinaison opérationnelle de la mission se fait sans corpus méthodologique », regrette ainsi Vivien Pertusot. Qui appelle à un partage à plus grande échelle des bonnes pratiques. Un nouveau souffle à donner pour les 5 ans de la société à mission ?
Les sociétés à mission en chiffres :
1490 sociétés à mission en décembre 2023
645 sont situées en Ile de France, 168 en région Auvergne-Rhône-Alpes et 103 en Nouvelle Aquitaine
905 000 salariés représentés
79% sont des entreprises de moins de 50 salariés
79% opèrent dans le secteur des services
Le top 3 des activités est constitué par les télécoms et la high tech (212 sociétés). Viennent ensuite les cabinets de conseil (198) et les banques, sociétés de gestion et assurance (107)
Illustration : Canva