La croissance verte est le nouveau mot d’ordre du système économique actuel. Elle cherche à allier la lutte contre le réchauffement climatique et la croissance du PIB. Mais pour le moment, la croissante verte est loin de faire ses preuves.
La croissance sera l’un des thèmes de la prochaine COP28 qui se déroulera à Dubaï au début du mois de décembre 2023. Une croissance d’une couleur verte pour cette COP, qui sera l’occasion pour les pays de présenter leur premier rapport d’étape sur les réussites et les échecs de leur plan de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) sur leur territoire national.
L’objectif pour la grande majorité des pays et des dirigeants politiques est de montrer la possibilité d’allier la croissance du Produit intérieur brut (PIB), un indicateur considéré comme le garant de la bonne santé économique d’un pays, avec les engagements pris par ces derniers en matière de protection de l’environnement. C’est ce qui est appelé le « découplage ».
Car jusqu’à présent, la croissance économique était intimement liée aux émissions de gaz à effet de serre, une des variables à l’origine de la crise environnementale. Dorénavant, il ne reste aux pays qu’à prouver que la croissance est possible dans une société respectueuse de l’environnement. C’est justement l’objet d’une récente étude publiée en 2023 dans The Lancet Planet Health.
Elle s’intéresse à une dizaine de pays qui ont réussi à réduire leurs émissions de CO2 tout en augmentant leur PIB, et compare ainsi les évolutions du découplage avec leurs engagements pris lors de l’Accord de Paris, il y a de cela 8 ans en 2015 lors de la COP21, afin d’éviter une escalade incontrôlée de la crise écologique. Les pays signataires ont pour mission d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050 dans le but de rester sous la barre du +1,5 °C par rapport aux températures moyennes comprises entre 1850 et 1900 d’ici la fin du siècle.
Est-ce que la croissance verte existe ?
L’étude du Lancet menée par l’économiste Jefim Vogel de l’Université de Leeds (Royaume-Uni) et l’anthropologue et économiste de la décroissance Jason Hickel démontre pourtant que le compte n’y est pas. Les résultats sont même très loin des objectifs fixés lors de l’Accord de Paris. Avec la tendance actuelle de découplage, il faudrait en moyenne 220 ans pour réduire les émissions de 95%, en émettant 27 fois les émissions nécessaires pour atteindre le seuil des +1,5°C. Pour respecter cet objectif, il est indispensable d’ici 2025 de multiplier par 10 le découplage actuel.
Pour arriver à ces résultats, les chercheurs ont observé le découplage de pays développés à haut revenu qui ont engagé une transformation écologique de leur économie. Sur 36 pays évalués, seuls 11 d’entre eux, dont la France, l’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni pour ne citer qu’eux, ont réussi un découplage absolu entre leurs émissions de GES et leur PIB sur la période 2013 – 2019. Une période choisie afin de limiter l’influence de la crise des « subprimes » sur les données et qui permet de ne pas compter l’année 2020 où, à cause de la Covid19, les émissions de GES ont été drastiquement réduites à cause de l’arrêt de nombreuses activités humaines dans le monde.
Le découplage est possible grâce à différentes stratégies de baisse des émissions de GES, comme permettre la transition des moteurs thermiques vers des batteries électriques, limiter au maximum l’usage des énergies fossiles pour les industries, réduire la taille des cheptels dans les exploitations agricoles… Une transformation globale de l’économie qui demande beaucoup d’efforts, de ressources et de financements pour réussir un découplage complet et atteindre cette neutralité carbone tant attendue. Seulement, l’horloge tourne et les pays tardent à respecter leurs engagements.
Le Royaume-Uni possède une empreinte carbone par habitant plutôt faible pour les pays développés (7,72 tonnes eq CO2 par habitant et par an en 2019) et a connu un découplage relativement rapide sur la période donnée de 5,3 % par an. Il faudrait pourtant que la Grande-Bretagne multiplie par trois son découplage actuel d’ici 2025, et par 5 d’ici 2030 pour rentrer dans ses objectifs de décarbonation.
Pour la France, les émissions sur le territoire font partie des plus faibles des 11 avec 6,46 t eq CO2 par habitant et par année, mais elle n’a connu sur la période 2013 – 2019 qu’un découplage de 2,9 % par an.
Et le schéma se répète pour les 9 autres pays qui ne parviennent pas à réduire convenablement leurs émissions de GES, remettant ainsi en question l’efficacité de la croissance verte dans la lutte contre le réchauffement climatique.
La croissance verte va-t-elle réussir son pari ?
Aujourd’hui nous sommes loin de la neutralité carbone à l’échelle globale. L’Organisation des Nations unies annonçait dans un rapport de novembre 2023 que la tendance actuelle suivie par les pays du globe amenait la Terre sur une hausse de 2,5 °C à 2,9 °C d’ici la fin du siècle.
Et malgré les efforts réalisés dans certains secteurs polluants, les émissions importées – celles issues des biens importés sur un territoire – éloignent manifestement de nombreux pays, dont la France, de leurs objectifs de réduction des émissions de GES. En 2022, les émissions de CO2 de la France n’avaient pas bougé par rapport aux valeurs de 2021.
En outre, Contexte, le média spécialisé dans les politiques publiques françaises et européennes, titrait dans un article du 20 novembre 2023 : « La France encore loin d’avoir trouvé le chemin de la neutralité carbone ». Selon un document interne de la Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) dévoilé par les journalistes de Contexte, la dégradation globale de l’environnement, et notamment « la chute du puits forestier » minent déjà les politiques de décarbonation de la France.
Aujourd’hui, la croissance verte s’appuie en grande partie sur des technologies en développement, voire encore inexistantes, pour réussir ce jeu d’équilibriste entre maintien de la croissance économique et maintien des écosystèmes.
Reste à savoir si ces technologies d’adaptation au réchauffement climatique seront prêtes à temps et opérationnelles pour faire face à la crise à laquelle font face les sociétés humaines. Elles devront à la fois permettre le découplage entre la croissance du PIB et les émissions de CO2, et le découplage moins connu entre la croissance du PIB et la destruction des écosystèmes.
Photo de Karsten Würth sur Unsplash