Dans les prochaines semaines, les dernières centrales nucléaires allemandes encore en activité vont fermer. Mais la transition énergétique du pays est encore loin d’être terminée.
En mars 2011, Angela Merkel, alors chancelière allemande, annonçait, suite à la catastrophe de Fukushima, la sortie progressive du nucléaire en Allemagne avant 2022. Le pays, qui produisait alors près d’un quart de son électricité grâce à l’atome, s’engageait dans un chantier gigantesque pour remplacer en quelques années la trentaine de centrales nucléaires du pays par d’autres sources de production, si possible bas carbone.
Plus d’une décennie plus tard, et après des débats sans fin (des deux côtés du Rhin, d’ailleurs), et quelques reports, la sortie du nucléaire allemand sera réellement effective mi avril 2023. Les trois dernières centrales encore en fonctionnement devraient en effet fermer, pour un démantèlement qui sera amorcé en 2024. Clap de fin pour la production d’électricité nucléaire allemande, donc, mais pas pour la transition énergétique du pays, qui est encore loin d’être achevée, ni pour les questions économiques, techniques, et écologiques liées à cette sortie du nucléaire.
Les trois dernières centrales allemandes fermées mi avril
Trois centrales sont encore en activité dans le pays en ce début d’année 2023 : Isar-2 en Bavière, Emsland en Basse-Saxe, et Neckarwestheim 2 dans le Bade Wurtemberg. Les autorités allemandes avaient décidé, au second semestre 2022, de prolonger de quelques mois ces centrales, notamment à cause de la crise énergétique européenne suite à l’invasion de l’Ukraine. La situation énergétique difficile, et les difficultés sur le réseau électrique français avaient incité les allemands à garder cette soupape de sécurité dans la production électrique durant l’hiver, afin de s’assurer un approvisionnement régulier.
Cette fois, pas de report envisagé à priori : mi avril, les trois centrales fermeront bien. D’une puissance d’environ 1400 MW chacune (soit près de 50% de plus que celle de Fessenheim), elles représentent environ 5% de la production électrique nationale. Ces trois dernières centrales suivront alors le même chemin que la trentaine d’autres déjà fermées depuis plusieurs décennies.
Voir aussi : Combien de CO2 émet l’électricité française ?
De nombreuses questions en suspens sur la fermeture des centrales allemandes
Mais l’histoire nucléaire allemande ne s’arrêtera pas pour autant mi-avril. La fermeture devrait se faire progressivement, avec d’abord un arrêt des productions, puis des travaux préparatoires seront effetués en vue d’un démantèlement qui devrait débuter en 2024. Ce dernier devrait d’ailleurs prendre plusieurs années. Les précédents en Allemagne montrent qu’un démantèlement complet peut prendre plusieurs décennies : à la centrale de Rheinsberg, l’une des premières centrales allemandes, mise à l’arrêt en 1990, le terrain devrait être rendu à la nature après 2030. Pour les centrales les plus récentes, comme les trois centrales d’Isar-2, Emsland, et Neckarwestheim 2 (construites à la fin des années 1980) le processus devrait être plus rapide, mais il pourrait durer environ 15 ans.
Autre question, celle du coût : à Isar-2, on estime le démantèlement à environ 2.2 milliards d’euros, par exemple. Mais dans la plupart des centrales en cours de démantèlement, les coûts ont dépassé les prévisions. Sans surprise. On a donc pas fini d’entendre parler du parc nucléaire allemand, même s’il ne produira plus rien dans les faits.
Quant aux salariés ? Ce sont plusieurs centaines d’employés sur chaque site qui vont devoir changer de métier. La plupart bénéficieront de nouveaux contrats au sein des sites, notamment pour les travaux préparatoires au démantèlement, et ce, au moins jusqu’en 2029. Mais il faudra à terme penser à la reconversion de ces emplois directs, et des emplois indirects dans les territoires concernés.
Le réseau électrique allemand post-nucléaire
Reste aussi à résoudre la problématique de la transition énergétique allemande, qui dépend pour pratiquement 50% des énergies fossiles, notamment le charbon et le gaz. Certes, la fermeture de ces centrales ne changera pas fondamentalement la face du mix électrique allemand, mais il faudra tout de même trouver par quoi remplacer ces 5% de la production électrique.
Dans la continuité des politiques mises en place dans son Energiewende, l’Allemagne mise notamment sur le développement continu des énergies renouvelables, notamment les éoliennes et les panneaux solaires. Mais dans un contexte de tension sur les réseaux électriques européens, la mise à l’arrêt de sources de production électriques pilotables comme le nucléaire soulève des questions. Il faudra piloter finement l’interconnexion avec les différents pays européens pour éviter le risque de tensions sur le réseau dans une Allemagne post-nucléaire.
Or, c’est justement cette question qui avait poussé les autorités à repousser la mise à l’arrêt de ses derniers réacteurs fin 2022. Le réseau électrique en Europe de l’Ouest était sous tension : la Norvège envisageait de réduire ses exportations (dont l’Allemagne bénéficie largement), les Pays-Bas était sur le point de redémarrer des centrales à charbon, et le réseau français était fragilisé par les maintenances effectuées sur ses propres centrales nucléaires. Difficile dans ce contexte de fermer trois sites de production pilotables. Le vice-chancelier allemand et Ministre de l’Économie et du Climat, Robert Habeck avait alors justifié sa décision de prolonger les 3 centrales par la « situation française, plus mauvaise que prévue ». Paradoxe donc : la fermeture des centrales nucléaires allemandes dépend du bon état de fonctionnement des centrales nucléaires françaises.
Nucléaire allemand : de possibles redémarrages ?
En tout cas, la fermeture devrait cette fois être définitive. Même si déjà, en Allemagne, certains posent la question d’un possible redémarrage des centrales, en cas de coup dur sur le réseau. Du côté des exploitants de la centrale Isar-2, on a déjà prévenu qu’un redémarrage serait envisageable si les décisions politiques le demandent, du moins pendant quelques mois. Mais une fois le démantèlement lancé, il n’y aura plus de retour en arrière.
Une telle hypothèse est de toute manière peu probable. La prolongation décidée fin 2022 avait été prise dans un contexte de tension intense sur le réseau, qui n’est plus vraiment d’actualité aujourd’hui (ou du moins pas dans les proportions de 2022). Les politiques et gestionnaires du réseau en Allemagne tablent sur l’interconnexion et le déploiement des énergies renouvelables pour éviter de devoir en arriver là.
Une fois ces trois dernières centrales fermées, il restera à l’Allemagne à s’attaquer au sujet du démantèlement, du traitement des déchets, et surtout, de la sortie du charbon, qui constitue encore un tiers du mix électrique.