Les fonds d’investissement « durables » le sont-ils vraiment ? Les résultats ne sont guère concluants selon une récente étude sur l’Article 9 de la SFDR.
L’Europe déploie depuis quelques années tout un arsenal opérationnel pour encadrer, et accompagner le secteur de la finance dans sa transition écologique. Taxonomie verte, CSRD, SFDR, ces outils s’articulent autour d’un principe commun, pousser les entreprises à la transparence et pousser les gestionnaires d’actifs à favoriser les investissements « durables », socialement plus responsables, plus vertueux, plus écologiques…
En 2019, le Parlement et le Conseil européen adoptaient la « Sustainable Finance Disclosure Regulation » (SFDR), afin d’améliorer la transparence des investissements durables sur les marchés, et ainsi réduire les risques d’investir dans des projets qui se peignent en vert sans vraiment l’être.
La SFDR différencie trois catégories de fonds qu’elle classe parmi les Articles 6, 8 et 9, qui attestent d’une prise en considération crescendo d’objectifs sociaux et /ou environnementaux. L’Article 9 concerne ainsi la plus haute distinction européenne pour les prestataires de services d’investissement (PSI) et des professionnels de la gestion d’actifs. On appelle les fonds présents dans l’Article 9 les « Dark Green » ou « super-verts » en français.
Approfondir sur la réglementation SFDR : La SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) c’est quoi ?
La réglementation, entrée en vigueur en 2021, suscite déjà de grands débats, notamment celle d’accueillir au sein de l’Article 9 des fonds investissant dans des activités polluantes. Dans une étude publiée en mars 2023 intitulée « How Green is « Dark Green » ? » les chercheurs en finance de l’Université de Zurich, Marc Chesney et Adrien-Paul Lambillon, se sont penchés sur ces fonds labellisés Article 9 et sur les entreprises financées. De nombreux actifs inclus dans l’Article 9, la catégorie de fonds les plus durables en théorie, ne le sont pas vraiment.
Greenwashing : les « super-verts » sont-ils vraiment « verts » ?
Les chercheurs suisses se sont penchés sur une base de données regroupant 290 fonds d’actions publiques et près de 4500 actions mondiales labellisés Article 9.
Ils ont ainsi démontré que les gestionnaires des fonds d’investissement favorisaient les grandes multinationales capables de déployer beaucoup de ressources pour leurs stratégies d’entreprises, au détriment d’entreprises de moins grande envergure peut-être plus responsables.
De nombreux fonds s’intéressent plus aux objectifs fixés par les entreprises et/ou aux bons scores ESG, dont le but est d’attester de leurs qualités sociales et environnementales, qu’à leurs réels engagements. Un biais important puisque cela vient impacter directement l’essence même de l’Article 9 qui est censé lutter contre le greenwashing.
Si les entreprises s’appliquent à cocher les critères de l’ESG, nombre d’entre-elles labellisées Article 9 ne respecteraient pas les principes du Pacte mondial des Nations Unies ou les principes directeurs pour les entreprises multinationales de l’OCDE, deux listes de recommandations pour promouvoir des pratiques écologiques dans les entreprises. Pire, certains fonds super-verts investiraient dans des compagnies liées aux énergies fossiles, au secteur aérien ou à l’armement.
Une situation paradoxale déjà relevée en 2022 grâce à l’enquête « the Great Green Investment Investigation », auquel le journal Le Monde et une dizaine de partenaires européens ont participé. Selon leurs informations, 386 fonds super-verts auraient investi dans des actifs gris.
La présence de telles entreprises dans la catégorie la plus exigeante de la réglementation européenne est l’objet de nombreux débats sur la scène de la finance durable depuis la mise en vigueur de la SFDR. Même si l’outil de transparence est encore jeune et continue de se construire au niveau européen, l’un des principaux problèmes posés par la SFDR concerne un élément présent depuis le début. Qu’est-ce qu’un investissement « durable » ? Et pour le moment, la définition donnée par l’Europe demeure très imprécise.
L’article 9 de la SFDR, une définition trop évasive
La réglementation SFDR considère que les fonds Article 9 sont des fonds durables ambitieux prenant en compte les critères ESG lors du processus de sélection des « investissements durables ».
Des investissements que la SFDR définit comme des investissements qui contribuent à un objectif environnemental et/ou social, tout en respectant le principe de « ne pas causer de préjudice » (Do No Significant Harm) à tout autre objectif de cette nature. Le tout en s’assurant que les entreprises financées démontrent une bonne gouvernance en interne.
Fin 2022, près de 40% des fonds Article 9 ont été déclassés vers l’Article 8, soit 307 fonds représentant près de 175 milliards d’euros. L’Article 8 prend en compte certains critères sociaux et/ou environnementaux sans assurer le principe de « ne pas causer de préjudice », et l’Article 6, le moins ambitieux représente tous les autres placements non durables et qui ne tiennent pas compte des critères ESG. Un déclassement massif causé par l’entrée en vigueur le 1er mars 2023 de nouvelles normes techniques pour la SFRD
Mais la définition donnée par l’Europe reste encore bien trop évasive pour écarter pleinement les entreprises les plus polluantes puisqu’aucun critère n’atteste du caractère durable d’un actif. En outre, comme l’a annoncé la Commission européenne dans une lettre du 14 avril 2023, elle ne précisera pas sa définition d’un investissement durable. Une décision qui laisse un champ d’action assez large pour le secteur financier, qui aura le loisir de définir lui-même ce qu’ils considèrent comme des actifs « durables ».
Approfondir : SFDR, CSRD, l’Europe recule sur les exigences de durabilité pour les entreprises
Photo de Marco, Plexels