Et si le futur ne pouvait pas être high tech ? C’est en tout cas ce que défendent les partisans de la « Low-Tech ».
L’écologie serait-elle atteinte de schizophrénie ? Quand on regarde le rapport qu’entretiennent les écologistes avec la question de la technologie, on peut légitimement se poser la question. Entre partisans d’une écologie high-tech d’un côté et des décroissants de l’autre, prêt à renoncer à toute technologie moderne, l’écologie semble enfermée dans un débat sans fin sur les qualités écologiques ou non de la technologie. Et au milieux de tout ça, est apparu un concept pour le moins intéressant : les low-tech. Zoom sur ceux pour qui le futur écologique sera nécessairement Low-Tech.
Technologie et écologie : du high-tech au low-tech
Au sein de la pensée écologique, il y a d’un côté ceux qui assument une position clairement « high tech » : selon eux, la résolution des problèmes écologiques passera nécessairement par de nouvelles technologies. Ils en sont sûrs : le futur écologique sera fait de technologies de pointe, allant de la robotique à l’intelligence artificielle en passant par les objets connectés. Il n’y a qu’à regarder les actualités liées à l’écologie pour se rendre compte que ce mouvement est profondément ancré dans l’imaginaire collectif : Hyperloop serait l’alternative écologique du transport du futur, des turbines dernier cri aideront à produire de l’énergie pour des villes intelligentes et ultra connectées, des voitures autonomes toutes électriques circuleront sur les routes (solaires) sans chauffeur grâce à l’intelligence artificielle, des centrales au thorium dernière génération créeront assez d’énergie pour alimenter cette machinerie bien huilée.
D’un autre côté, il y a des écologistes un peu plus sceptiques, pour qui les technologies sont au contraire une épine dans le pied de l’écologie. Pour eux, la technologie pollue, elle détruit des ressources naturelles. Il n’y aurait donc pas de salut dans la technologie pour une société qui se prétendrait écologique. Ils dénoncent ainsi les énergies fossiles, le nucléaire, et globalement les excès de la technologie et les ravages qu’elle cause aux ressources naturelles. Sur la base des travaux de Jacques Ellul (La société technicienne), de Gunther Anders (L’Obsolescence de l’Homme), de Hans Jonas (Le Principe de Responsabilité) ou encore de Bertrand Charbonneau (Le système et le chaos) s’est développé une pensée assez critique de la technologie, qui donne aujourd’hui naissance au mouvement des Low-Tech.
High-tech et dépendance à la technologie
Mais alors que reprochent ces penseurs à la technologie ? C’est pourtant la technologie qui nous a permis jusqu’à aujourd’hui, entre autre, les progrès de la médecine, la connaissance du corps humain et du vivant en général, la découverte de nouvelles sources d’énergie et notamment les renouvelables. C’est grâce à la technologie qu’aujourd’hui nous bénéficions d’une existence plus simple et d’une qualité de vie bien meilleure qu’autrefois.
En fait, ce que reprochent les tenants des Low-Tech à la technologie, c’est deux chose : d’abord le fait qu’elle se soit érigée en système indépassable, et ensuite le fait qu’elle soit devenue une sorte de pyramide si complexe qu’il est désormais difficile, voire impossible d’en maîtriser les externalités.
L’aspect systémique de la technologie est particulièrement simple à observer : désormais toute notre vie dépend de la technologie. Pour nous déplacer, pour nous informer, pour des gestes aussi simple que la cuisine ou le bricolage, nous dépendons désormais de technologies complexes : la voiture, internet, des appareils électro-ménagers. Il suffit d’observer les difficultés que l’on a à vivre lors d’une simple coupure de courant pour comprendre à quel point nous sommes devenus dépendants la technologie. Mais cela va même au-delà, il semble que notre utilisation systématique d’outil technologiques nous fasse perdre nos capacités les plus naturelles. Des chercheurs ont ainsi montré qu’avec la généralisation de la voiture, nous avions perdu notre capacité naturelle à marcher correctement ou à courir avec la bonne posture. D’autres ont montré qu’à force de se reposer sur les technologies GPS, notre sens de l’orientation diminuait. Ou encore que l’utilisation massive des smartphones nous faisait perdre la mémoire.
Quand la high-tech devient trop complexe et incontrôlable
Quant à la complexité de la technologie, elle est peut-être un peu plus difficile à voir au premier abord. En tant que consommateur, nous n’observons que la partie émergée des technologies que nous utilisons au quotidien. Et pour le moins, elles semblent plutôt nous faciliter la vie. Mais derrière ces technologies que nous considérons désormais comme évidentes se cachent des complexités extrêmes. Un smartphone, c’est des milliers de composants, fabriqués à partir de ressources que l’on doit extraire partout dans le monde et assembler dans des ateliers situés partout dans le monde. Un panneau solaire dont le fonctionnement semble si évident (il suffit de capter l’énergie du soleil !) cache en fait des quantités énormes de ressources et de processus industriels. Derrière Internet (ce réseau auquel il semble si simple de se connecter) se cachent des milliers de data-centers, d’ordinateurs et de technologie de pointe, elles même constituées de milliers de circuits imprimés fabriqués à partir de ressources rares. Cette complexité cachée se retrouve dans toutes les « technologies », et c’est justement là que se situe le point essentiel sur le plan écologique.
Car plus un système économique et social repose sur des technologies complexes, plus ce système a besoin d’énergie et de ressources (et souvent des ressources difficile d’accès). Pour le comprendre, prenons un exemple simple : monter une mayonnaise. Monter une mayonnaise à la main ne nécessite qu’un bras et un fouet et quelques minutes d’effort. En revanche, monter une mayonnaise avec un batteur électrique nécessite un appareillage constitué de circuits électriques, une prise de courant, donc une production électrique. Et monter une mayonnaise avec un robot de cuisine complexe rajoute encore à tout cela de l’électronique et des technologies micro-informatiques. Chaque fois que l’on a ajouté un élément technologique, on a ajouté de la complexité, de l’énergie consommée et des ressources. Et comme les principes de la thermodynamique nous contraignent, il se trouve qu’à chaque fois que nous ajoutons de la complexité à un système, son rendement énergétique diminue (il lui faut plus d’énergie pour accomplir la même tâche). On perd donc en efficacité, alors même que nous avons l’impression du contraire : il faut beaucoup plus de travail humain, de ressources et d’énergie pour monter une mayonnaise avec un robot de cuisine qu’avec un simple fouet.
La conviction de ceux qui s’opposent à la High Tech c’est que le système technologique est devenu si important dans notre vie, si complexe et gourmand en ressource et en énergie que nous ne sommes plus capables d’en assumer les externalités négatives, en particulier sur le plan écologique. Ainsi, même lorsque nous développons des technologies dans le but de répondre à un enjeu écologique, c’est presque toujours en créant ailleurs un autre problème écologique. Par exemple, les énergies renouvelables comme les panneaux solaires résolvent (en partie) le problème de nos émissions de CO2… Mais elles créent par ailleurs le problème de l’extraction des ressources nécessaires à la fabrication des dits panneaux solaires (extraction dont on sait qu’elle n’est ni soutenable à long terme, ni bonne pour l’environnement). En résumé, nous n’avons fait que déplacer le problème.
Vers un futur Low-Tech et vers une innovation plus sobre
C’est pour cette raison qu’aujourd’hui, dans le sillage de la pensée d’Ellul ou de Jonas, s’est développée l’idée que le futur ne pourrait pas être « High-Tech ». Tout simplement car au bout d’un moment, les besoins énormes de la technologie se heurteront à une limite physique : le manque de ressources, le manque d’énergie, le réchauffement climatique… Et si jusqu’à aujourd’hui nous avons plus ou moins réussi à « repousser » le problème, cela ne durera pas éternellement. On sait par exemple que pour passer aux énergies renouvelables, il faudra du lithium. Et les réserves de lithium ne sont pas éternelles. Et même si l’on développe des batteries alternatives (au sodium par exemple), il faudra toujours exploiter des ressources naturelles, qui sont limitées. Or puisqu’avec la technologie, nos besoins en ressource et en énergie augmentent, l’innovation semble vouée à terme à ralentir ou à changer d’échelle. Peut-être en adoptant une posture plus « Low-Tech ». C’est le type de pensée que développe par exemple Philippe Bihouix, un des penseurs les plus importants de la Low-Tech en France.
Pour autant, ces constats n’amènent pas forcément à rejeter en bloc toute idée de progrès technique ou d’innovation. Simplement, les partisans de la Low-Tech estiment qu’une grande partie de nos besoins peuvent être satisfaits sans avoir recours à des technologies très développées. Le mouvement des Low-Tech s’est d’abord développé autour de Ernst Friedrich Schumacher et de son ouvrage « Small Is Beautiful – une société à la mesure de l’homme » qui préconisait une technologie « à taille humaine » et une vie moins dépendante des complexités techniques. En résumé, il préconisait une technologie qui opère un retour à l’essentiel et se débarrasse du superflu.
La philosophie des low-tech, c’est d’utiliser des matériaux renouvelables comme le bois ou les matières animales ou végétales, pour fabriquer des outils et des techniques simples capables de répondre à nos besoins. C’est aussi une idée : pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? L’exemple le plus simple de la Low-Tech est sans doute le vélo : il est une innovation qui permet de se déplacer au quotidien beaucoup plus rapidement et facilement qu’à pied… Mais il est très simple et ne nécessite que peu de ressources ou d’énergie, contrairement par exemple à la voiture. Mais il existe des dizaines d’autres exemples : les voitures à pédales, des éoliennes domestiques en bois, des fours solaires, des méthodes d’architecture permettant de créer des habitations « passives » en bois, ou encore les techniques issues de la permaculture. Ce sont toutes des « innovations » permettant de faire autant avec moins d’énergie et moins de ressources. Les Low-Tech prônent aussi la réhabilitation des métiers manuels et des savoir-faire pratiques comme la maçonnerie, la forge, le tissage, la menuiserie, dans le but de retrouver des productions moins dépendantes des technologies, mais aussi plus durables (humainement et économiquement) et plus qualitatives.
Ainsi, la Low-Tech c’est le retour à une certaine forme de simplicité, qui interroge nos besoins : avons nous vraiment besoin d’un téléphone qui fasse tout à notre place ? Avons-nous vraiment besoin d’autant d’appareils électriques ? Avons-nous vraiment besoin de 400 chaînes de télévision ? Avons-nous vraiment besoin de prendre la voiture pour faire 3 km ? Et en interrogeant nos besoins, elle propose des solutions plus simples, plus souples, moins complexes, et surtout plus écologiques, soutenables.
Alors, le futur sera-t-il Low-Tech ? En tout cas, l’idée d’un retour à l’essentiel est partagée par beaucoup. Sans doute finira-t-on par y venir, volontairement, ou contraints par les limites physiques que nous imposent les ressources que nous exploitons.