Une révision de plusieurs textes phares du Green Deal sont attendues par la voie d’une loi dite « omnibus » qui sera dévoilée le 26 février, dans le cadre du Clean Industry Deal européen. En attendant, les lobbies patronaux sont à pied d’œuvre pour faire valoir leur liste au Père Noël sur un nombre croissant de textes. Avec l’oreille attentive des gouvernements comme celui de la France dont une note publiée par Politico dévoile les intentions. Youmatter fait le point sur ces demandes et leur inspiration.
La simplification demandée par le rapport Draghi devrait trouver une traduction inespérée dans les prochaines semaines. La loi omnibus annoncée par la présidente de la Commission Ursula Von Der Leyen, qui devait respecter l’esprit du Green Deal mais qui a finalement ouvert la boîte de Pandore. Les différents lobbies, au premier titre desquels le patronat, ont multiplié les demandes d’allègements et de reports sur les trois réglementations initialement visées – la directive sur le reporting de durabilité (CSRD), le devoir de vigilance (CS3D) et la taxonomie verte – mais aussi des législations connexes (REACH, marché carbone, taxe carbone aux frontières, greenwashing, déchets, travail forcé…). Business Europe, le Medef européen, propose ainsi pas moins de 68 « charges » urgentes à détricoter dans 11 domaines (économie circulaire, énergie et climat, consommation, finance durable, reporting financier..) Résultat, c’est désormais une « flotte omnibus » qui devrait finalement conduire à une « simplification massive » des normes, notamment environnementales, « pesant » sur les entreprises, selon les dernières déclarations européennes.
Des demandes entendues et portées par les gouvernements français et allemands notamment. Ceux-ci portent désormais officiellement un allégement de la CSRD pour les PME et ETI et un report sine die de la directive sur le devoir de vigilance.
Une plongée dans l’incertitude pour les entreprises
Au-delà des réglementations visées, c’est même la logique européenne qui semble remise en cause. Comme le souligne une note des autorités françaises dévoilée par Politico, « l’action de l’UE doit se limiter à ce qui est strictement nécessaire pour atteindre ses objectifs », avec pour guide les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Pour beaucoup d’observateurs, ces reculs peuvent notamment s’expliquer par un contexte de concurrence acharnée avec les entreprises chinoises et américaines et un détricotage des normes ESG entamé par le président américain dès les premiers jours de son mandat.
Ces reculs pourraient cependant pénaliser les entreprises européennes qui se voient plongées dans un grand flou et une insécurité juridique. Car si la directive sur le devoir de vigilance n’avait pas encore été transposée, plus de la moitié des Etats membres ont ou sont en train de transposer la CSRD. La France ayant été la plus allante à traduire le texte dans sa législation nationale (en 2023, il y a un siècle), les grandes entreprises françaises planchent en effet depuis des mois sur leur reporting CSRD pour l’exercice 2024 ou 2025 pour celles concernées dans un second temps. « Ces rétropédalages créent beaucoup d’incertitudes pour les entreprises qui ne sont pas au même niveau de maturité. Et même si ce n’est pas la majorité, certaines entreprises vont en profiter pour faire un pas de côté », souligne ainsi Marie Hebras, fondatrice de Fletchr un cabinet qui développe des solutions logicielles RSE pour accompagner les entreprises, notamment sur la CSRD.
Voyons donc un premier aperçu des demandes de révision des autorités françaises éclairées par les demandes des grandes entreprises dont le cap semble en grande partie guider le gouvernement.
« Simplifier » ou alléger les obligations des entreprises
Simplifier, c’est le mantra de la présidence polonaise pour les six prochains mois. Et ce vœu devrait être exaucé si l’on en croit le vice-président exécutif de la Commission européenne, chargé de la prospérité et de la stratégie industrielle, Stéphane Séjourné qui a annoncé un « choc de simplification massif » le 20 janvier sur France Inter. Voici quelques pistes sur la table.
– Une nouvelle catégorie d’entreprises pour élargir les simplifications aux ETI
C’est une demande de longue date de la part des acteurs économiques (voir notre article concernant le devoir de vigilance). Elle va en partie trouver sa traduction par une nouvelle catégorie d’entreprises, spécialement créée pour les ETI. De quoi leur permettre d’avoir des obligations allégées pour l’ensemble des normes. Cette catégorie s’appliquerait aux entreprises de 250 à 1500 salariés dont le chiffre d’affaires n’excède pas 1,5 Md € ou le total du bilan 2 Mds €, positionnant les small mid-caps « au-delà des PME actuelles et en dessous des grandes entreprises », demande le gouvernement français dans une note dévoilée par Politico. Cette demande apparaît actée par la Commission selon le document provisoire sur la « boussole de compétitivité », qui doit guider son travail pour les cinq prochaines années et publié par Contexte ce vendredi. Dès le mois prochain, celle-ci devrait permettre « jusqu’à 31 000 entreprises dans l’UE » de bénéficier d’une « simplification réglementaire adaptée, dans le même esprit que les PME ». Pour Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement Impact France, c’est un « retour en arrière ».
– Des reporting simplifiés, en particulier pour les PME et ETI
Dans leur note, les autorités françaises disent vouloir « considérablement » alléger les « charges de rapportage pour les entreprises », et réduire « drastiquement » le nombre d’indicateurs et en les ciblant sur les objectifs climatiques. Ce qui va à rebours de la vision systémique de la CSRD. Devant les forces économiques, le ministre de l’Economie a plaidé pour « simplifier la CSRD pour les PME et ETI ». La note des autorités françaises propose notamment que celle-ci soit modifiée pour « permettre de manière permanente aux ETI d’appliquer les normes des PME cotées ». Normes qui doivent également être revues pour coller au plus près de la norme volontaire pour les PME…Là encore la demande semble entendue par la Commission qui assure vouloir prendre « les mesures nécessaires pour atteindre l’objectif de réduire de 25 % les obligations de déclaration pour les entreprises et de 35 % pour les PME ».
– Revoir les plans de transitions climatique
La note du gouvernement demande également une révision des plans de transition climatiques. Ceux-ci ne doivent pas nécessiter la fixation d’objectifs de réduction des émissions de GES alignés sur Accord de Paris mais seulement permettre « la comparaison des objectifs de l’entreprise avec une trajectoire considérée comme compatible avec celui-ci ». Une demande formulée par Business Europe. Pour Caroline Neyron, directrice générale du Mouvement impact France, cela « semble traduire la volonté du gouvernement de renoncer à mobiliser pleinement les grandes entreprises pour atteindre les objectifs climatiques français et européens ».
Reporter l’application des réglementations, en particulier le devoir de vigilance
Dans sa note, le gouvernement demande une pause réglementaire « massive ». Il est en cela soutenu par l’Allemagne qui s’est lui aussi déjà prononcé pour un report de deux ans pour la mise en œuvre des règles de la CSRD en plus d’une « réduction significative » de son contenu comme le demandait Business Europe notamment pour les entreprises concernées dans un second temps (exercices 2026 et 2027). Les grandes entreprises, qui ont pour la plupart, travaillé sur l’exercice 2024, demandent elles surtout la suspension de la normalisation sectorielle jusqu’à ce que la simplification des normes générique soit achevée.
– Un report sine die de la directive sur le devoir de vigilance
Mais, comme on le pressentait depuis un moment, c’est le devoir de vigilance qui est particulièrement visé par un report (voire un abandon?). Y compris par la France, pourtant le premier pays à avoir mis en place une telle réglementation, en 2017. Lors des vœux aux acteurs économiques, le ministre de l’Economie Didier Lombard s’est prononcé pour un « report sine die » de la directive européenne sur le devoir de vigilance. Il en a même fait une « priorité », sous les applaudissements nourris de la salle. Il est loin le temps où l’ancien directeur de la Caisse des dépôts signait une tribune en faveur du reporting de durabilité. Pour de nombreuses ONG environnementales et de développement, « cette prise de position, irresponsable, risque de précipiter le détricotage d’un texte nécessaire face à la crise climatique et sociale » et entrainerait « une exclusion de près de 70 % des entreprises concernées ! ».
– REACH : une autre réglementation en ligne de mire
Autre réglementation qui pourrait patir d’une flotte omnibus : la directive REACH, plus ancienne que le Green Deal, mais qui reste une réglementation phare sur les produits chimiques. Si la révision du règlement dans le sens d’une meilleure information du public doit bien être une « priorité » selon le gouvernement, celle-ci ne doit pas être conduite « dans l’urgence », précise la note des autorités. Celui-ci reprend les arguments du patronat à savoir le besoin d »une « analyse des impacts afin de prendre en compte le contexte économique ». Dans le document provisoire de boussole économique la Commission souligne l’importance d’alléger la charge de l’existant et des nouvelles initiatives pour sauvegarder la compétitivité des entreprises.
Limiter la transparence, miser sur le volontariat,
– Sortir la chaîne de sous traitance des obligations de vigilance
Selon la note des autorités françaises, le gouvernement souhaiterait voir un principe de « plafonnage du rapportage de la chaîne de sous traitance des grandes entreprises ». Ceux-ci ne pourraient exiger de leurs sous-traitants des obligations excédant les obligations de rapportage simplifiées applicables aux PME cotées. Là encore il s’agit d’une demande récurrente du patronat mais qui nuirait à la transparence et à l’efficacité du devoir de vigilance.
– Renforcer le secret des affaires
La transparence demandée par les réglementations du Green Deal aux entreprises n’est pas au goût du patronat. Dans leur note de position, l’Afep et son homologue allemand demandent ainsi à renforcer les secrets d’affaires en limitant la publication des « informations stratégiques » exigées par la CSRD, celles-ci « pouvant être utilisées par des concurrents non européens non soumis aux mêmes exigences de transparence ». Ces organisations demandent également de revoir les exigences en matière de digitalisation qui devaient permettre une meilleure transparence et comparabilité. Quant à Business Europe, elle demande aussi une meilleure protection pour certaines informations « sensibles » des plans de transition comme les projets de pipeline.
– Les notifications environnementales des industriels allégées ?
Ce c’est aussi la notification des données environnementales des installations industrielles qui sont visées par une moindre transparence. Le gouvernement français demande notamment que certaines données « confidentielles » ne soient pas publiées au niveau des sites. Sont notamment concernées les données sur l’utilisation de l’eau, de l’énergie, des matières premières, des données contextuelles (volumes de production et nombre d’heures d’exploitations) dont la transmission avait été rendue obligatoire par la directive sur les émissions industrielles (IEP) pour 8 500 entreprises industrielles.
– Plus de transparence pour les honoraires des auditeurs
On note toutefois un pas vers plus de transparence concernant les frais liés aux audits, très décriés dans la vérification des reporting CSRD. Le gouvernement demande notamment que figurent les honoraires de vérification des informations de durabilité en annexe des comptes de l’entreprises
– La taxonomie verte pourrait-elle devenir volontaire ?
Dans sa liste de demandes, l’Afep propose notamment de rendre facultative la taxonomie verte au motif que celle-ci « ne couvre qu’une partie de l’économie et impose une charge trop importante pour démontrer l’alignement des activités éligibles ». Ce système de classification des activités économiques permettant d’identifier celles qui sont durables sur le plan environnemental, doit pourtant permettre de mieux flécher les investissements vers les entreprises les plus vertes. Mais celui-ci a raté sa cible, estime Business Europe qui demande des « ajustements significatifs ». La demande du patronat ne semble pas avoir totalement convaincu le gouvernement français qui plaide plutôt pour des « modifications très ciblées des actes délégués » , notamment en révisant le ratio d’actifs verts des établissements de crédit pour éviter des conséquences négatives sur le financement des PME.
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