Les hydroliennes : je vous propose de partir à la découverte de cette énergie marine à travers une série d’articles, explorant les capacités de chacun des industriels testant à l’heure actuelle leurs turbines au fond de la mer. Découvrons ensemble ce qui s’annonce comme une révolution énergétique.
Dans les hydroliennes comme dans tout projet industriel, on a des géants, des outsiders et des Petits Poucets. Si le premier pouvait être DCNS et son projet OpenHydro, le second est sûrement la Sabella avec son hydrolienne D10. Et le Petit Poucet alors ? Eh bien en France c’est Alstom, avec son projet Nephtyd et son hydrolienne Oceade 18.
L’Oceade 18, l’arme d’Alstom pour conquérir le marché hydrolien
C’est en décembre 2014 que le Premier Ministre Manuel Valls annonça les lauréats de l’appel à projet concernant les fermes pilotes d’hydroliennes pour la Normandie: si DCNS était retenu pour 7 turbines, il devrait compter aussi sur Alstom, allié à ENGIE (anciennement GDF) qui fournira 4 machines pour la ferme du Raz Blanchard.
Ces machines seront les Oceade 18, de 18 mètres de diamètre, qui ont fait leurs preuves sur le site de test EMEC en Ecosse. L’Oceade a été développée par l’entreprise britannique TGL, avant son rachat par Alstom fin 2013, puis améliorée au sein du pôle R&D d’Alstom à Nantes. Leur fonctionnement est plus proche du modèle D10 de la Sabella que de la turbine de DCNS : tripale à pas variable, elle peut pivoter dans le sens du courant. Alstom insiste sur sa conception « Plug And Play » qui permet une maintenance aisée. La turbine est conçue pour flotter, ce qui est censé faciliter sa mise en place en éliminant l’utilisation coûteuse d’un navire de fort tonnage ou d’une barge. Sa puissance unitaire est annoncée à 1,4 MW pour un bilan global de fonctionnement à pleine puissance de l’ordre de 11 à 14 heures par jour, estimé sur la base de l’hydrolienne d’1 MW installée sur le site d’essai en Ecosse.
L’hydrolienne repose sur un axe pivotant comme fondation alors que ses concurrents ont préféré des solutions de type chassis ou tripode, simplement posés sur le fond.
En partenariat avec ENGIE, ce sont 4 hydroliennes qui doivent être installées en 2017 et 2018 dans le Raz Blanchard, pour fournir un total de 5,6 MW à 15 000 foyers normands. L’enquête publique pour l’installation du parc hydrolien s’est achevée le 19 septembre.
Au vu des techniques et des retours d’expérience de ces mêmes concurrents on peut s’interroger sur la pertinence des choix technologiques retenus par Alstom concernant l’Oceade 18. La mise en place d’une turbine flottante dans un courant de 4 m/s risque ainsi d’être peu aisée, comparée à l’utilisation d’une barge donnant un axe vertical, tout comme le choix d’une fondation mono-pieu. Il faut en effet savoir que les hydroliennes disposeront d’une durée d’exploitation de 20 ans avant que l’on envisage leur… recyclage. Eh oui, les hydroliennes doivent être recyclées à l’issue de leur cycle de vie. Alors que devient la fondation sous marine d’Alstom ?
Hydrolienne Alstom : un Petit Poucet en retard
Quand la sélection des lauréats a été rendue publique en 2014 il était clair que le gouvernement souhaitait privilégier de grands groupes, censés avoir les épaules pour lancer une nouvelle filière énergétique, ce qui expliquait le choix d’Alstom et de DCNS, en plus de l’expérience de la Sabella. Mais le soucis avec Alstom a été les incertitudes qui ont suivi le rachat de sa branche énergie par General Electric, dont fait justement partie la section Energie Renouvelable. Ceci a conduit à un ralentissement du développement de l’Oceade, qui fut prête juste à temps pour l’Appel à Manifestation d’Intérêts (AMI) lancé par l’ADEME en 2013.
Ceci explique en partie pourquoi, alors que les concurrents d’Alstom ont tous mouillé leurs hydroliennes et les ont raccordées au réseau, l’Oceade 18 n’est pas encore en place et ne le sera pas avant 2017 dans le meilleur des cas. Deux ans de retard comparé à la Sabella, et au moins un an après DCNS : Alstom, présent sur tous les fronts des énergies marines avec ses usines d’éoliennes offshore, a peut être vu un peu trop grand. Il reste à espérer que les choix techniques et technologiques d’Alstom soient les bons et lui permettent de se placer en bonne position pour la prochaine course : celle du prix de l’énergie.
En effet l’appel à projet de fermes hydroliennes dispose d’une enveloppe d’une grosse centaine de millions d’euros : de quoi garantir un prix de rachat de l’énergie très généreux, de 173 euros le MWh, comme pour toute EMR. Ce montant est absolument intenable dans le cadre de l’exploitation d’une ferme hydrolienne commerciale. Les acteurs devront donc rivaliser d’ingéniosité pour proposer un système fiable et peu coûteux afin de faire baisser au plus vite ce prix de rachat, que les plus optimistes évaluent à 30 euros le MWh .
C’est sur ce créneau que se place Alstom avec l’Oceade : à ce jour c’est l’hydrolienne la plus puissante prévue en France, avec une conception modulaire censée diminuer les coûts de maintenance. La Sabella a déjà revue sa technique de dépose/récupération en mer tandis que DCNS a développé sa propre barge, la aussi pour économiser sur ce poste coûteux. Mais sans retour d’expérience en mer comme en disposent ses concurrents, Alstom va avoir du mal à faire valoir ses atouts.
Le modèle économique de l’hydrolien maritime français commence à se dessiner : de grandes fermes regroupant plusieurs acteurs pour une filière équilibrée, dans les courants marins qui fond de la France le second gisement européen en terme de puissance exploitable.
De 2013 avec l’AMI de l’ADEME à 2015 qui a vu la mise en place de la première hydrolienne reliée au réseau électrique d’Ouessant, il n’a fallu que deux ans pour que cette filière commence à faire ses preuves. 2016 est une année charnière tout comme le seront 2017 et 2018, avec le développement des fermes Eusabella, NormandieHydro et Nephtyd.
Les acteurs sont en place et jamais une énergie propre n’a été si prometteuse dans son développement : le soutien de l’Etat est vital avant que le marché ne puisse prendre le relais. Pour une fois il semblerait qu’une politique industrielle novatrice permette à la France de prendre la tête dans la course mondiale aux Energies Marines Renouvelables (EMR) : certes nous n’avons pas de pétrole, mais nous avons des idées… et maintenant des hydroliennes !
Crédits images : Alstom