2016 est une année pivot pour les énergies marines : développement de l’éolien flottant via l’appel d’offre pour deux parcs de tests, développement de l’éolien offshore posé à travers les 3 parcs prévus, passage à la phase industrielle pour les hydroliennes. Cette dernière technologie est sûrement la plus impressionnante tout en étant la plus prometteuse. Avec une production supérieure de 60% à l’éolien offshore, ce sont deux technologies d’hydroliennes qui ont été retenues par l’Etat dans le cadre d’un Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) en 2014. DCNS (allié à EDF EN) et la PME Sabella peuvent donc tester leur matériel pour une futur exploitation en mer, prévue à partir de 2018, avec l’aide de l’Etat.
Je vous propose de partir à la découverte de cette énergie marine à travers une série d’articles, explorant les capacités de chacun des industriels testant à l’heure actuelle leurs turbines au fond de la mer. Découvrons ensemble ce qui s’annonce comme une révolution énergétique.
Hydrolienne OpenHydro en Normandie, en partenariat avec EDF Energies Nouvelles
Forcément en France, quand l’on parle de la mer, on parlera à un moment ou un autre de DCNS ! L’entreprise autrefois spécialisée dans la construction de navires militaires s’est diversifiée notamment avec le rachat de la start-up irlandaise OpenHydro en 2013. Celle ci est devenue le cheval de bataille de DCNS dans l’hydrolien : c’est l’une des entreprises les plus expérimentées dans le domaine, ayant testé son prototype dès 2006 en Ecosse, dans la zone de test de l’European Marine Energy Centre (EMEC). Ce démonstrateur, toujours en place, sert à améliorer la turbine que DCNS propose à travers le monde.
L’Etat français a mis à disposition de DCNS deux zones en Normandie : la première, à Paimpol-Bréhat, a tout d’abord permis de valider l’installation d’une hydrolienne, avant la dépose d’une deuxième en Mai 2016. Ces deux hydroliennes sont à présent reliées au réseau national d’électricité, ce qui en fait la première ferme hydrolienne en fonctionnement raccordée au réseau, en France.
L’installation de la première hydrolienne ne s’est pas faite sans mal en 2013, celle ci devant être sortie de l’eau et réparée avant de revenir au fond de la mer en 2015. Néanmoins la suite des tests s’étant déroulée conformément aux attentes des ingénieurs, DCNS a passé la vitesse suivante : la demande de permis de construire de l’usine devant produire les hydroliennes OpenHydro a eu lieu le même jour que la mise à l’eau de la deuxième hydrolienne, le 13 Mai dernier. À cette occasion la Ministre de l’Environnement et de la Mer, Ségolène Royal, déclarait « Le projet d’EDF et DCNS à Paimpol-Bréhat illustre l’excellence de notre industrie.C’est un moment national important que nous vivons aujourd’hui à Brest. Cette inauguration est une nouvelle étape. Comme le sera l’implantation d’une usine d’assemblage à Cherbourg. C’est, pour moi, une grande fierté d’être sur ce territoire breton qui est à la pointe dans les énergies renouvelables. »
A terme ce sont 7 hydroliennes qui seront installées sous l’eau, d’une capacité unitaire de 2 MWh par an (de quoi éclairer 13 000 foyers !), cette fois sur le site du Raz Blanchard, toutes construites dans cette nouvelle usine à Cherbourg. DCNS souhaite faire de ce site de production le centre stratégique de sa conquête des nouveaux marchés internationaux, tandis que Brest se place comme le port de référence pour la phase de mise en place.
Hydroliennes OpenHydro: 1100 tonnes, 500 KWh par an pour le moment
Sur le plan technique l’hydrolienne OpenHydro mesure 16 mètres de diamètres pour un rotor de 12 m. Pesant 1100 tonnes elle est apte à fonctionner dans les deux sens du courant (réversible) et repose sur une fondation de deux pieux. La mise à l’eau s’effectue à l’aide d’une barge spéciale, le Triskell, issue du savoir faire de DCNS dans la construction navale. Le modèle mouillé sur le site de Paimpol-Bréhat devrait fournir 500 KWh par an et par unité, soit un total de 1 MWh par an, de quoi alimenter en énergie 1500 foyers bretons hors chauffage. Elle ne dispose pas d’axe central, ce qui lui permet une vitesse de démarrage plus basse que ses concurrentes de même taille.
Si la barge Triskell est une contribution « en nature » de DCNS, c’est bien la start-up OpenHydro qui est le fer de lance du projet. DCNS a découvert cette pépite irlandaise disposant d’une turbine hydrolienne avant d’acquérir 59,7% de son capital pour en prendre le contrôle en 2013. Le produit étant testé en Ecosse depuis 2006, l’AMI français de 2014 est tombé à pic pour l’entreprise qui a pu proposer un produit éprouvé et une technique de dépose en mer fiable. Ceci s’est traduit par l’obtention de l’appel d’offre pour 7 hydroliennes pour le raz Blanchard à travers le projet Normandie Hydro, alors que son concurrent direct n’a pu obtenir que 4 appareils sur la même zone. A l’internationale, quelques pays se sont montrés intéressés dont les Philipines et surtout le Canada, qui dispose avec la baie de Fundy du plus puissant courant de marée au monde. On parle de 1000 hydroliennes à installer !
Sur le deuxième site Normand du Raz Blanchard, cette fois prévu pour une exploitation pré-commerciale, ce sont donc 7 hydroliennes plus puissantes (2 MW par unité) qui sont prévues par l’AMI, toujours en partenariat avec EDF EN. Sur ce site ce sont également 4 hydroliennes construites par General Electric (ex Alstom Energie) en partenariat avec Engie qui sont prévues d’ici 2020. Ce modèle, l’Oceanade 18 d’1,4 MW, est en cours de test à l’EMEC en Ecosse et n’est pour l’instant pas utilisé en France. Les 11 hydroliennes du Raz Blanchard seront donc sûrement la première ferme commerciale au monde mise en exploitation, entre 2018 et 2020.
On s’en doute, si DCNS et EDF ont fait le pari des énergies marines ce n’est pas pour rien : une production d’énergie propre, réversible (les hydroliennes ne sont pas placées à vie au fond de l’eau) et proche des lieux de consommation isolés s’avère une voie prometteuse pour un futur décarboné et l’accès à une énergie économique. Mais la concurrence s’organise, et si le projet industriel de DCNS suis son cours, d’autres acteurs sont déjà en place et bien avancé, si ce n’est plus.
On assiste un peu partout dans le monde, et heureusement en France également, à une course des bureaux d’étude pour trouver la meilleure forme, la turbine la plus efficace ou le modèle économique le plus pertinent. Toute proportion gardée je n’hésiterai pas à comparer cette course à l’énergie marine à celle du début du 20ème siècle pour l’aviation : de grands comme de petits groupes cherchent à avancer vite et à révolutionner notre mode de production d’énergie. En France on peut penser à Alstom ou encore à la Sabella, petite PME n’ayant pas la force de frappe d’un grand groupe comme DCNS et ayant pourtant déjà implanté avec succès une hydrolienne en mer, l’ayant raccordé au réseau de l’île d’Ouessant et planifiant une ferme de plusieurs turbines pour 2020.
Mais ceci sera l’objet du prochain article.
Crédits images : Shutterstock, DCNS, les Echos