Enjeu. Utilisées dans de nombreux secteurs pour leurs propriétés exceptionnelles, les substances perfluorées ou PFAS ont envahi notre quotidien. Mais face à leur toxicité, la restriction voire l’interdiction universelle de ces “polluants éternels” est sur la table. Est-ce réellement faisable ? Décryptage.
D’ici 2026, les PFAS devraient déserter les contenants alimentaires en contact direct avec les denrées, selon un accord conclu le 5 mars dernier par le Parlement et le Conseil européen sur la directive emballages. Un premier pas, avant une restriction plus vaste de ces polluants éternels pourtant omniprésents dans notre quotidien ?
Face à la multiplication des preuves de contamination de l’environnement et le risque qu’ils font peser sur la santé des populations, de plus en plus d’élus, au niveau français ou européen notamment, travaillent en effet à durcir la législation sur les PFAS. Voire à les bannir totalement. Pour autant, le chemin est encore long tant la connaissance de ces substances, leurs usages et leur contamination est encore incomplète… Et la défiance des industriels, importante.
Une cartographie incomplète des PFAS
Dans les vêtements, les poêles, les emballages, les pesticides, les cosmétiques… les per et polyfluoroalkylées sont partout. « Il est difficile d’établir une liste exhaustive de tous les usages qu’il existe pour les PFAS », souligne ainsi le député MoDem Cyrille Isaac-Sybille auteur du rapport “PFAS : pollution et dépendance, comment faire marche arrière ?”, lors de l’audition du 6 février 2024 de la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire de l’Assemblée Nationale. Car la famille des PFAS est grande. La fourchette basse table sur quelque 4 000 molécules listées comme PFAS, 14 000 pour la fourchette haute. 256 molécules seraient produites industriellement selon le rapport de l’Agence européenne des produits chimiques (Echa).
L’organisation européenne chargée de l’évaluation de de l’autorisation des produits chimiques (ECHA) « met en avant 15 secteurs majeurs d’utilisations (gaz fluorés, textile, matériaux, emballages alimentaires, produits de consommation, produits phytosanitaires, médicaments, etc.) et une production de PFAS annuelle estimée entre 117 000 tonnes et 396 000 tonnes en 2020 », souligne le rapport remis par le député MoDem. Et leur suivi tout au long de la chaîne de production est complexe : de nombreuses entreprises ignorent qu’elles utilisent des PFAS. Problème : ces substances se diffusent largement, par les rejets industriels, l’utilisation des produits ou les stations d’épuration, contaminant l’eau, l’air ou les sols.
Pour réduire ces risques, l’ECHA, à l’appel de plusieurs Etats membres et partenaires de l’UE (l’Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège et la Suède), a proposé deux voies l’an dernier. L’une vise à restreindre la fabrication, la mise sur le marché et l’utilisation des PFAS, soit une interdiction décrite comme « universelle » qui serait alors l’une des « plus importantes restrictions de l’histoire de l’UE » selon Générations futures. L’autre propose une interdiction généralisée mais avec la possibilité de déroger à l’interdiction jusqu’à 12 ans, voire à vie, pour les usages des PFAS dans les pesticides, biocides et produits pharmaceutiques humains et vétérinaires. Objectif : aboutir à une réglementation soumise aux États membres en 2025 pour une mise en œuvre après 2026. En attendant, une analyse de l’ECHA est en cours.
Vers une restriction universelle ?
Pour Louise Tschanz, avocate spécialiste en droit de l’environnement au barreau de Lyon et fondatrice du cabinet Kaizen Avocat , la proposition de restriction universelle serait « une avancée majeure ». De fait, « elle concernerait toutes les familles de PFAS, et pas seulement quelques molécules. C’est tout à fait pertinent, car la problématique c’est que lorsqu’on interdit une molécule aux industriels, ils en trouvent une similaire, et ça repart jusqu’à tant qu’elle soit interdite ». Un avis partagé par le député écologiste Nicolas Thierry qui a présenté le 20 février 2024 une proposition de loi visant à protéger la population des risques liés aux substances per- et polyfluoroalkylées. « Je partage l’ambition de prendre une interdiction au niveau de la famille des PFAS. Agir molécule par molécule n’est pas réaliste au regard du nombre de substances », a-t-il expliqué à la Commission développement durable de l’Assemblée nationale.
Pour Cyrille Isaac-Sybille au contraire, interdire tous les PFAS de manière universelle est irréalisable. « Autant il est indispensable de supprimer les rejets, autant supprimer les PFAS, c’est très compliqué, estime le député MoDem, certains médicaments sont des PFAS. Si on [les] supprime, on supprime certains médicaments, des dispositifs médicaux, beaucoup de choses… ». Dans son rapport remis au gouvernement, il propose de « distinguer l’essentiel du superflu » et de « prendre des décisions rapides » concernant ce dernier. Reste à définir ce qui doit être fait pour les substances considérées comme essentielles. Le député recommande d’« encourager fortement le développement des alternatives » via la « prise de conscience par les industriels de la sortie programmée de l’utilisation des PFAS ».
Des alternatives possibles
L’exemple pris par le député n’est pas anodin puisque près de 20% des médicaments seraient composés de PFAS. En effet, le fluor présent dans les médicaments améliorerait les capacités de l’organisme à absorber le principe actif. Un chercheur du CNRS, Anis Tlili, tente de trouver une alternative à cette substance toxique. Dans une autre industrie majeure, celle des batteries électriques, l’entreprise suisse Leclanché, spécialisée dans les batteries électriques lourdes (trains et ferries), développe depuis plus d’une dizaine d’années un procédé de production sans PFAS. « En 2010, nous avons voulu nous différencier en faisant des technologies plus propres environnementalement et faire des économies financière et énergétique, explique Cyril Carpentier, responsable du développement durable de Leclanché, c’est pourquoi nous avons décidé de partir sur une solution à base d’eau et non plus à base de solvant ».
Dans le processus de fabrication des batteries, les électrodes (anode et cathode) nécessitent un revêtement à base de solvants organiques, tels que le NMP (N-Méthyl-2-pyrrolidone) composé de PFAS. « Nous nous sommes rendu compte qu’en enlevant les NMP, on enlevait la quasi-totalité des PFAS d’une batterie, précise Cyril Carpentier. Or, nous sommes quasiment les seuls à produire des batteries à partir d’eau au lieu des NMP ». L’entreprise espère pouvoir retirer l’ensemble des PFAS de sa chaîne de production d’ici la fin de l’année 2024.
Les lobbies en action
Des alternatives existent, d’autres sont encore à créer, et malgré certains points d’accroche entre les députés Cyrille Isaac-Sybille et Nicolas Thierry, les deux s’accordent à dire qu’il faut aller plus vite pour restreindre l’usage des PFAS et ainsi pousser les entreprises à trouver des alternatives. Mais il faudra pour cela batailler avec les lobbies de l’industrie chimique qui déploient le grand jeu pour éviter l’interdiction universelle et défendre un marché estimé à quelque 26 milliards d’euros. « Jamais auparavant une consultation publique de l’Union européenne n’avait reçu autant de réponses sur ce types de sujets : 5 600 contre quelques centaines habituellement », souligne ainsi la RTBF dans une enquête.
Pour trancher, « faut-il attendre deux ans que l’Echa ait donné ses conclusions ? Je pense que non », juge le Cyrille Isaac-Sybille. C’est pour cela que certains pays comme la France appellent à un rapport intermédiaire de l’ECHA qui « permettrait de décider des restrictions en fonctions des usages dans les prochains mois », espère-t-il. C’est aussi le sens de la proposition de loi de Nicolas Thierry qui vise à avancer en parallèle sur le périmètre français. Son texte propose d’interdire quatre usages des PFAS (cosmétiques, fartage des skis, textiles et emballages alimentaires) d’ici 2025 puis d’autres d’ici 2027. Jusqu’ici les différentes propositions de lois avaient été vidées de leur substance. Le sort de celle-ci sera tranché le 4 avril lors de son examen à l’Assemblée nationale.
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50 ans de scandales sanitaires
Dès 1974, les PFAS font la Une de La Gueule ouverte mais à l’époque, on ne les nomment pas comme cela. Le journal satirique alerte alors sur un produit « dangereux à haute température » contenu dans le revêtement adhésif en Téflon. Dans les conditions normales d’utilisation, le produit anti-adhésif n’est pas dangereux. Mais en surchauffe, de nouvelles substances chimiques nuisibles peuvent se former.
Le Teflon®, marque déposée par l’industriel de chimie DuPont, est le premier composé de la famille des PFAS, à être découvert à la fin des années 1930 par l’industriel américain et il va être utilisé massivement comme revêtement des ustensiles de cuisine. Il faudra pourtant attendre la fin du siècle pour que la première grande affaire autour de ce composé chimique éclate outre-Atlantique. En 1999, l’avocat Robert Bilott s’empare du dossier de Wilbur Tennant, un éleveur de Virginie-Occidentale qui voit son cheptel, situé à quelques pas d’un site industriel appartenant à DuPont, décimé. Cette affaire, racontée en 2019 dans le film Dark Waters de Todd Haynes, a révélé une pollution de l’eau à l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), utilisé pour les produits de la marque Teflon. Il a été interdit en 2020 par la Convention de Stockholm.
En France, l’ampleur du scandale sanitaire des PFAS n’est vraiment saisie que récemment. En mai 2022, l’émission “Vert de rage” de France 5 révèle une contamination globale de l’air, du sol, de l’eau dans une banlieue du Sud de Lyon. Plusieurs mois plus tard, en février 2023, une enquête menée par Le Monde et 17 médias partenaires enfonce une fois de plus le clou. Toute l’Europe serait concernée par les contaminations au PFAS, 2 100 zones présenteraient des niveaux de contamination jugés dangereux pour la santé humaine.