Règlementation. Alors que les institutions de l’Union européenne s’étaient accordées sur un texte en décembre dernier, la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD) est aujourd’hui en stand by, bloquée par l’Allemagne. Des fédérations patronales ont saisi l’occasion pour dénoncer un texte qui nuirait selon elles aux entreprises et notamment aux PME. Qu’en est-il vraiment ?
Après des années de négociations, une directive sur le devoir de vigilance des sociétés mères sur les enjeux environnementaux et sociaux tout au long de leur chaine d’approvisionnement semblait acquise au niveau européen. En décembre dernier, le Conseil européen, le Parlement et la Commission s’étaient en effet accordés sur un texte -certes imparfait puisqu’il exclut le secteur portant clé de la finance-, mais qui permettait d’inscrire et d’harmoniser la responsabilité des donneurs d’ordre dans la législation des 27.
Las, à quelques jours d’un vote décisif par le Coreper (le comité des représentants permanents de l’Union), l’Allemagne a fait défection. Et ce alors même qu’une législation similaire est entrée en vigueur dans le pays en 2023. Ce rétropédalage s’explique par le contexte politique : dans une période électorale tendue faite de contestation sociale et de montée de l’extrême droite, l’aile droite de la coalition au pouvoir fait désormais de l’arrêt des normes sociales et écologique un combat de campagne. Et le devoir de vigilance qui va contraindre les entreprises à réaliser et mettre en œuvre des mesures pour éviter ou réduire les impacts négatifs de leurs activités sur les droits humains et environnementaux est devenu un symbole.
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Quelle place des PME dans le devoir de vigilance ?
Parmi les arguments avancés par l’Allemagne : le « poids démesuré » de cette future législation sur les entreprises et notamment les PME. Un argument dont se sont emparées plusieurs associations professionnelles, notamment françaises, pour repousser l’examen de ce texte et l’édulcorer. Le Medef, qui a toujours bataillé contre le texte, estime qu’il « expose les entreprises à des risques juridiques importants » et « entrave sérieusement la compétitivité européenne ». Quant à la CPME, elle « s’inquiète de la situation des PME incluses dans une chaîne de valeur » qui se trouveraient de fait « mécaniquement impactées » par la directive. Elles seraient en effet « contraintes d’effectuer un reporting à la demande de leurs partenaires commerciaux sous peine d’être évincées des marchés », assure la CPME dans un communiqué. Qui demande désormais à la France de « refuser de cautionner » un texte qui « imposerait une très lourde charge administrative aux PME, à rebours de tous les grands discours actuels sur la simplification ».
De fait, en tant que fournisseurs, les PME vont être sollicitées par leurs donneurs d’odres pour rendre des comptes sur leurs pratiques. Mais les PME « n’entrent d’ailleurs pas directement dans le champ d’application de la CSDDD », soulignent les juristes Stéphane Brabant, Céline da Graça Pires et Daniel Schönfelder dans une tribune publiée par Le Monde. Selon eux, le texte défend « une approche proportionnée », où les « mesures de vigilance doivent [notamment] être adaptées à la taille de l’entreprise ». En effet, la directive concerne les entreprises employant plus de 500 salariés et réalisant un chiffre d’affaires de plus de 150 millions de chiffre d’affaires. Le seuil est abaissé à 250 salariés (plafond européen pour définir une PME) et 20 millions de CA pour les entreprises qui opèrent dans des secteurs particulièrement à risque comme l’extraction, l’agroalimentaire ou le textile.
Des mesures d’accompagnement pour les PME
Surtout, « le texte permet en réalité d’accompagner les PME qui sont déjà soumises à de telles exigences, notamment en France où le devoir de vigilance existe depuis 2017 mais aussi sous la pression du marché », souligne Clara Alibert, chargée de plaidoyer Acteurs Économiques au CCFD-Terre solidaire. Aujourd’hui, peu d’entre elles bénéficient d’une aide financière ou technique de la part des grandes entreprises qui leur demandent de montrer patte blanche. Une étude sur la RSE vue par les fournisseurs français et publiée en 2020 soulignait déjà que « les grands groupes imposent progressivement à leurs entreprises sous-traitantes de développer les mêmes bonnes pratiques de vigilance qui pèsent sur eux ». A tel point que certains fournisseurs estimaient que « le devoir de vigilance avait tout simplement été délégué aux PME ». Et ce, alors même qu’ils « ne disposent évidemment ni des moyens organisationnels ni des moyens financiers de leurs donneurs d’ordres ».
« La directive reconnaît en revanche cette charge et prévoit plusieurs mesures pour en atténuer les impacts » souligne Clara Alibert. Le compromis que Youmatter a pu consulter souligne en effet que les mesures de conformité ne doivent pas entraîner de « transfert de responsabilité » sur les PME. Les donneurs d’ordre devront de ce fait apporter « un soutien ciblé et proportionné » aux PME avec lesquelles ils entretiennent « une relation d’affaires établie, lorsque le respect du code de conduite ou du plan d’action préventif mettrait en péril la viabilité de la PME ». Ce soutien pourra être financier, avec des prêts à faible taux d’intérêts, des contrats d’approvisionnement, ainsi que du financement direct, ou technique avec de la formation ou la mise à niveau des systèmes de gestion. Mais pour la CPME, le texte doit aller plus loin dans « les mesures d’accompagnement » et de « simplification ».
Quel avenir pour le devoir de vigilance européen ?
Face au risque d’enlisement et de réduction de l’ambition, d’autres réseaux d’entreprises se mobilisent, comme la nouvelle coalition Better Business for Tomorrow* pour faire voter le texte avant la prochaine législature. Dans un communiqué, elle explique que la directive « ne constitue pas une menace pour les entreprises européennes » mais bien « une opportunité historique de construire un cadre économique équitable pour tous ». Ce week-end, plusieurs parlementaires écologistes et socialistes, soutenus par des avocats, sont aussi montés au créneau. « Saurons-nous faire en sorte que les entreprises européennes et les produits placés sur le marché européen ne causent plus, nulle part dans le monde, ni violation des droits humains ni atteinte à la planète ? », interrogent-ils dans une tribune publiée dans Libération.
Les différentes positions n’ont que quelques jours pour se faire entendre avant que la fenêtre ne se referme sur ce texte pourtant pilier de la mise en application du Green Deal par les entreprises (avec la CSRD, la taxonomie verte ou le Green Claims).
*la coalition regroupe une quinzaine de réseaux d’entreprises engagées dont B-Lab Europe, Mouvement Impact France ou la Communauté des Entreprises à Mission.
Illustration Tiger Lily / Pexels