Réglementation. Freiner la « fast fashion » par des mesures maniant le bâton pour les marques de fast fashion et la carotte pour celles qui produisent de façon plus durable, c’est l’objectif affiché par une proposition de loi adoptée en première lecture par les députés. De quoi contenir le développement éclair de la fast-fashion sur le marché français ? On fait le point sur les trois grandes mesures proposées.
L’initiative française contre l’ultra-fast fashion est inédite. En adoptant en première lecture une proposition de loi instaurant un bonus-malus et une interdiction de la publicité le 14 mars, les députés français ont montré qu’il était urgent d’encadrer le développement extrêmement rapide d’une mode « jetable », désastreuse d’un point de vue environnemental et social (voir encadré).
Celle-ci est actuellement en fort développement partout dans le monde et l’Hexagone est loin de faire exception : la fast fashion représente environ 70 % des vêtements consommés en France en 2022 selon une étude de Kantar. Et l’ultra fast fashion, dont Shein et Temu font figure de fleurons, est en embuscade. Si elle ne compte encore que pour 12% du marché en valeur, son développement est en effet extrêmement rapide, dopé par un contexte de baisse du pouvoir d’achat autant que par un matraquage publicitaire et d’influence.
Avec la loi, les députés, soutenus par le gouvernement, souhaitent donc à la fois « taper très fort » sur cette mode jetable et « inciter les entreprises à faire mieux », expliquait la rapporteuse de la loi Anne-Cécile Violland (Horizon), lors d’un événement organisé au Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des Territoires le 4 mars dernier. Voici comment.
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Identifier les enseignes de mode jetable
Le premier chantier, et pas des moindres, porte sur la définition même des enseignes à encadrer. Car l’ultra fast-fashion n’a pas de définition à cette heure. La pratique commerciale de la mode éphémère consiste à « renouveler très rapidement les collections en proposant un grand nombre de nouvelles références de vêtements ou d’accessoires sur une période de temps déterminée », a précisé Anne-Cécile Violland lors de la séance publique du 14 mars. Mais les seuils, c’est-à-dire le nombre de référence par jour, devront être fixés par un décret, lui-même fixé par le gouvernement.
Une méthode que regrettent une partie des députés dont Charles Fournier (EELV) et Alma Dufour (LFI) qui craignent que la loi soit vidée de sa substance par le gouvernement. Car l’enjeu des seuils est majeur pour l’efficacité de la loi : quelques marques, peu nombreuses encore, mettent sur le marché des milliers de références chaque jour (7200 pour Shein), dont beaucoup ne sont produites qu’en très petites quantités. Mais d’autres, beaucoup plus nombreuses, comme H&M ou Zara, produisent en grandes séries plus de 500 références par jour.
Un bonus-malus pour détourner de la fast-fashion
Pour inciter les enseignes à opter pour un modèle plus vertueux, un malus progressif va être mis en place. Il pourra atteindre 10 euros, dans la limite de 50% du prix de vente, d’ici 2030. Ensuite, l’enseigne décidera ou non d’assumer cette taxe ou de la répercuter sur le consommateur. Les contributions issues du malus seront ensuite redistribuées en bonus en faveur des producteurs de vêtements durables, dans l’objectif que leurs prix baissent. La distinction entre les différents produits se fera sur la base d’un éco-score et les produits les plus mal notés ne pourront bénéficier de primes. Objectif : que « le prix du produit reflète davantage la réalité de son impact environnemental », souligne Anne-Cécile Violland.
L’adossement du bonus-malus à l’éco-score répond ainsi à une critique formulée par En mode climat sur le texte initial. « Si les malus prévus par le texte sont attribués uniquement sur le critère de nombre de références mises sur le marché, la loi risque de ne cibler que l’ultra fast fashion, qui ne représente qu’une très faible part du marché » à ce stade, écrivait l’association dans un post sur Linkedin.
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Interdire la publicité pour freiner la surconsommation
La proposition de loi prévoit enfin d’interdire aux plateformes de vente en ligne de vêtements toute forme de publicité pour les produits de la mode éphémère, « directe ou indirecte, traditionnel ou sur les réseaux sociaux, des marques comme des influenceurs », indique la rapporteuse. Elle vise notamment les fameux « Haul », où les influenceurs déballent leurs multiples achats d’une marque sur les réseaux sociaux et qui sont l’un des canaux de publicité les plus efficaces pour ces marques. Une mesure qui pique particulièrement les enseignes comme Shein (43,8 millions d’euros de dépenses publicitaires en 2023 selon Kantar Media), qui dénonce une entrave à « la liberté d’entreprendre ».
De fait, cette mesure est essentielle pour freiner le développement de l’ultra fast-fashion, estime Yann Rivoallan, le président Fédération du prêt-à-porter féminin et acteur influent de la mode durable. Car « pour les acteurs qui sont sur les plateformes digitales, la publicité c’est leur carburant. Quand on coupe l’essence, le moteur n’avance plus », juge-t-il. Cette pratique a en effet démontré son efficacité dans de nombreux secteurs stratégiques. En France, l’interdiction de la publicité pour le tabac a contribué à contenir sa consommation. Et au Royaume Uni, l’interdiction des publicités pour la malbouffe dans le réseau de transport public aurait permis de réduire la consommation d’aliments de mauvaise qualité.
Pour informer le consommateur sur l’impact environnemental, social et économique du vêtement et l’encourager au réemploi et à la réparation, les enseignes devront également ajouter un message de sensibilisation sur leurs plateformes de ventes, à côté du prix, précise la proposition de loi.
Pour un affichage environnemental du vêtement
Si cette loi est considérée comme « historique », elle ne sera cependant pas suffisante pour endiguer le phénomène mondial et délétère de la fast fashion. Pour Julia Faure, cofondatrice de la marque de vêtements Loom, présidente de l’association En mode climat et co-présidente du Mouvement Impact France, c’est aussi à l’échelle européenne qu’il va ainsi falloir remettre en cause ce « libre-échange absurde qui ne nous permet pas de favoriser ce qu’on produit localement, et le met sur le même plan que ce qui est produit à l’autre bout du monde ».
Pour ce faire, les acteurs de la mode durable veulent notamment accélérer sur l’affichage environnemental, actuellement en développement au niveau national et européen. C’est d’autant plus essentiel qu’il servira de base au bonus-malus selon la proposition de loi. Mais la construction de cet « éco-score » est complexe. « Les synergie entre cette loi et l’affichage environnemental sont intéressantes. Mais pour le moment, se pose clairement la question de la validité de l’affichage environnemental. Nous sommes sur des critères qui sont plus complexes que ce qu’on peut avoir sur l’alimentaire » avec le nutri-score, souligne Yann Rivoallan. Les acteurs travaillent ainsi sur la durabilité, la matière, la valorisation des textiles et même sur le côté émotionnel du vêtement.
« Nous sommes dans un secteur de la mode qui est en train de se transformer, rappelle le président de la Fédération du prêt-à-porter féminin. Il y a à la fois un travail à faire sur les producteurs, pour avoir des produits plus durables, plus qualitatifs et moins polluants, du travail sur l’innovation, la création et la conception, mais également du travail sur l’accompagnement à la transformation de la seconde main ». La proposition de loi, qui semblait utopique il y a encore quelques mois, montre que ce travail est en cours. Mais les acteurs de l’ultra fast fashion et de la fast fashion n’ont pas dit leur dernier mot…Le texte doit désormais passer au Sénat, en procédure accélérée, pour une adoption prévue avant l’été.
La mode jetable, un désastre écologique et social
« Jamais autant de vêtements neufs n’ont été mis sur le marché. Chaque année, ils sont plus de 100 milliards à être vendus dans le monde », pointe le préambule de la proposition de loi. La France ne fait pas exception. « En l’espace d’une décennie, le nombre de vêtements proposés annuellement à la vente a progressé d’un milliard, et atteint désormais 3,3 milliards de produits ». « Il y a 10 – 20 ans, nous étions à 28 articles achetés par an, là, nous en sommes à 48 », se désole Anne-Cécile Violland. En quelques décennies, l’industrie du textile est ainsi devenue l’une des plus polluantes dans le monde. Elle représente près de 10% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, est très consommatrice d’eau et génère déchets et pollutions. Ces vêtements toujours moins chers, souvent de piètre qualité, et produits dans de terribles conditions de travail, ont une durée de vie de plus en plus limitée, de quelques lavages seulement. Chaque jour, environ 150 à 200 tonnes de déchets textiles finissent par être jetés, brûlés ou envoyés dans des décharges gigantesques en Afrique où ils génèrent de nouvelles pollutions.
Illustration : Canva