Doit-on transformer le mécénat des entreprises pour s’adapter aux défis d’une société en pleine mutation durable ? Et si oui, comment ? C’est la question que pose Patrick d’Humières.
Alors que la place de l’entreprise en Société n’a cessé d’évoluer depuis plusieurs décennies, il n’est pas étonnant qu’on ressente la nécessité d’adapter le cadre du mécénat d’entreprise qui date d’un temps où il s’agissait de convaincre les dirigeants de leur intérêt à investir dans la culture ou la vie locale.
Transformer les principes fondateurs du mécénat
De fait, l’esprit et la lettre des textes qui régissent le mécénat d’entreprise, pour y avoir contribué avec quelques pionniers du sujet réunis autour de Jacques Rigaud et de rares dirigeants éclairés – on rendra hommage ici à Jean Riboud, André Lévi-Lang , François Dalle qui ont ouvert des portes closes jusque dans les années 80, date de création de l’Admical…- reposent sur quelques principes trentenaires simples qui ont fini par démontrer leur efficacité : il fallait stimuler par un dispositif fiscal significatif une implication privée qui n’allait pas de soi au temps de l’Etat Providence, installer un lien entre la cause et le mécène de nature à éviter l’ABS , établir un acte de gestion qui justifie le don et consentir une communication appuyée qui s’est avérée la motivation des entreprises, sinon principale, du moins significative !
Ce régime incitatif a fonctionné et fait de la France un pays qui compte désormais dans l’implication philanthropique du secteur privé, si ce n’est que les montants plafonnent, que la légitimité de la contrepartie fiscale est contestée et que les raisons de se consacrer à des investissements de nature sociétale doivent de moins en moins à des préoccupations d’image qui se sont déplacées vers une recherche croissante de participation au développement durable de son eco-système et des territoires. Cette mutation de la raison d’être du mécénat d’entreprise, devenu progressivement un des outils de la stratégie de durabilité et d’inclusion des firmes les plus engagées, a deux conséquences importantes : il faut faire désormais le choix de projets qui se déploient dans le temps long, d’une part, et accorder des montants de haut niveau et des méthodes de plus en plus sophistiquées, d’autre part, pour créer des impacts positifs reconnus.
Une nouvelle architecture juridique pour un mécénat vraiment durable ?
Si on veut que cette tendance engagée s’épanouisse mieux encore, on n’évitera pas une révision de l’architecture juridique actuelle, afin de considérer le mécénat comme un des moyens d’accomplir la mission de l’entreprise au service des ODD (Objectifs du développement durable) devenue la forme avancée des stratégies de développement dans un monde qui chauffe, qui s’inquiète et qui cherche sa stabilité sociale. Cette proposition pourrait trouver sa place dans le nouveau texte de « gouvernance durable » que le Parlement Européen s’apprête à proposer, si on vient bien faire le saut conceptuel que nous suggérons, en vue de passer d’une concession promotionnelle à un engagement volontariste au cœur du projet d’entreprise.
L’idée centrale serait de réserver l’aide fiscale aux dons privés des individus afin d’encourager l’engagement personnel en faveur de toutes les causes légitimes de plus en plus nombreuses et coûteuses. Pour ce qui est des entreprises, nous recommandons de sortir du cadre actuel des fondations, fonds d’action ou dotations, lourd et compliqué mais surtout logé en marge de l’activité, en permettant aux sociétés commerciales de disposer d’une « filiale non profit », soit une « filiale de mission d’entreprise » (FME) qui assumerait à travers ce véhicule dédié son engagement matériel dans les ODD, avec tous les avantages de l’entrepreneuriat. La « FME » aurait l’agilité propre à toute entreprise, afin d’inventer toutes les formes d’intervention sociétale utile au projet, avec la seule limite de ne pas rechercher et distribuer de résultats pour fonctionner à prix coûtants au service de l’objet social poursuivi, sous la surveillance d’une représentation des parties prenantes dans la gouvernance. Cette souplesse nouvelle permettrait de s’émanciper du concept de « bien de main morte » propre au droit des fondations dont on a voulu s’inspirer au départ pour garantir le statut « non profit » du mécénat et profiter du prestige des fondations comme symbole de désintéressement. Mais les contraintes liées à la défiscalisation sont devenues inadaptées à l’inventivité et à la prise de risque nécessaire au mécénat moderne, voie choisie d’une « création de valeur partagée » pouvant passer par des voies commerciales et contractuelles très variées.
Faire émerger un mécénat émancipé et créateur de valeur partagée
L’intégration statutaire du mécénat au projet de l’entreprise, de façon pleinement intégrée nourrira la fameuse raison d’être dont on sait qu’elle a besoin de preuves tangibles pour ne pas rester formelle et incantatoire. On y ajoutera aussi la possibilité d’y affecter une partie des résultats, avant leur imposition, de façon à absorber clairement les « sur-profits » qui peuvent caractériser les bonnes années et qu’il est plus légitime de consacrer à des engagements durables qu’au rachat d’actions…
Cette clarification conceptuelle ferait passer le mécénat du régime de don à celui d’initiative de développement sociétal inclusif, stimulant le contrat de long terme, l’implication de compétence et la reconnaissance d’intérêts partagés entre l’entreprise et son contexte humain et planétaire. Un autre intérêt est de donner aux équipes dédiées une plus grande proximité avec les dirigeants et de soumettre aux actionnaires et à la gouvernance un suivi beaucoup plus attentif aux stratégies d’engagement. En instaurant un vecteur de la raison d’être au cœur de l’entreprise, à travers un véhicule dédié qu’elle contrôle complètement, on utilise le savoir-faire entrepreneurial pour penser et déployer des initiatives co-construites avec des partenaires extérieurs, en assumant pleinement le risque et l’ambition affichée.
Après tout, pour porter la dimension sociétale de son projet, il n’y a plus de raison que l’entreprise soit sous contrôle ou doive attendre un appui public et qu’on la limite dans ses opérations, dès lors qu’il est admis par tous que sa contribution au bien commun n’est pas l’exception mais le prolongement de son objet social au 21°siècle.
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