Les normes environnementales en France participent à une lente transformation de l’écosystème entrepreneurial. Mais même si les changements restent encore légers, ces normes influent progressivement sur le quotidien des salariés.
Réel engagement ou simple exercice de communication, les entreprises se plient progressivement aux impératifs écologiques et adaptent leurs activités afin de coller au mieux aux objectifs de décarbonation. Cette transformation des secteurs professionnels s’articule principalement autour de deux volets. Dans un premier temps via les politiques de RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), devenues le fer de lance des entreprises « responsables », qui visent « l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes », comme le souligne le Livre Vert de l’Union européenne sur le sujet.
L’autre volet, plus contraignant dans les faits, propose une approche par des normes environnementales, c’est-à-dire un cahier des charges fait de critères à respecter afin de réduire l’empreinte des activités de l’entreprise sur l’environnement. Labels environnementaux (Agriculture biologique, Écolabel européen, Global organic textile standard…), certifications Haute qualité environnementale (HQE) ou ISO 14 001, sont autant de normes, parfois imposée, permettant d’accompagner et de pousser « un verdissement » des entreprises.
Dans le cadre du projet de recherche « C>Terre » mené par le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq), les deux membres du centre, Nathalie Moncel et Anne Delanoë, se sont intéressées aux transformations induites par la mise en place de trois normes environnementales, l’écolabel NF environnement, la certification HQE, et la norme ISO 14 001, sur le travail des salariés.
Une part encore minoritaire de salariés concernés par les normes environnementales
La mise en place de nouvelles normes dans les entreprises implique une modification plus ou moins importante des activités du salarié, en particulier lorsque l’on parle des secteurs des industries extractives, de l’énergie, de l’eau, de la gestion de déchets, de la dépollution, de la fabrication de denrées alimentaires ou de celui de l’hébergement et de la restauration.
Lors de la période d’enquête sur l’année 2019, seul 1 salarié sur dix affirme avoir vu son activité modifiée par les normes environnementales, tandis que 30 % des employés affirment déjà suivre des normes environnementales dans leur quotidien. Une proportion encore faible, mais qui démontre certaines avancées « au regard du faible volume des métiers dits verts ou verdissants, qui occupaient respectivement 0,5 % et 14 % de la population active en 2018 ».
Pour les salariés les plus impactés par ces modifications de leur activité professionnelle, se retrouvent principalement des employés peu diplômés dans les secteurs de la production, de la maintenance, du nettoyage et du transport, des secteurs logiquement stratégiques de la transition écologique.
Mais cette tendance au changement n’est pas homogène, elle est concentrée majoritairement dans les grandes entreprises de plus 250 salariés. Ainsi, parmi les personnes dont l’activité a été modifiée, ils sont 45% à travailler dans une entreprise de plus de 1000 employés ou plus. Cela peut s’expliquer notamment par une capacité plus importante des grandes entreprises à allouer des ressources à la mise en place des normes environnementales, et en parallèle, car les PME / TPE se sentent bien souvent, même si c’est regrettable, moins concernées par les impératifs écologiques. D’une part, car les petites entreprises sont d’abord moins frappées que les multinationales par les pressions sur leur réputation, et d’autre part, car la mise en pratique de normes environnementales sur la base du volontariat dépend bien souvent de la conscience écologique du dirigeant et des salariés. Conscience qui n’est pas encore vraiment partagée par beaucoup de personnes.
Mais outre les modifications directes à la tâche, ces nouvelles normes nécessitent aussi au sein des entreprises que les salariés soient formés et aptes à leur mise en place réelle dans leur quotidien.
Voir aussi : Les causes du mal-être au travail
Former ses salariés pour faciliter la transformation des pratiques
Contrairement aux idées reçues, le secteur professionnel n’a que peu d’influence sur l’adaptation des entreprises aux enjeux environnementaux. Même s’il est vrai qu’historiquement, certains secteurs ont été plus amenés à ajuster leur activité aux impératifs sociaux, techniques, et environnementaux à l’instar du secteur de l’énergie ou du transport, c’est finalement le contexte organisationnel, l’atmosphère de l’entreprise et l’appétence des salariés et des dirigeants pour les sujets environnementaux qui permettent une meilleure intégration de ces normes environnementales.
Les autrices de l’étude déclarent ainsi qu’une inertie est observée dans les entreprises qui forment leurs employés et leur direction. Plus les entreprises forment leurs salariés aux enjeux environnementaux, plus les activités des salariés seront malléables et adaptables. En d’autres termes, la montée en compétence des salariés favorise « les retours réflexifs et les échanges de pratiques autour du travail », et rend donc plus efficace la transformation des activités polluantes.
Ce verdissement des tâches peut parfois être perçu comme un poids pour les salariés concernés puisqu’il implique un réapprentissage de certaines pratiques. Et pourtant, plus de la moitié des salariés qui ont vu leur travail modifié à la suite de l’instauration de nouvelles normes environnementales estiment que leur niveau de responsabilité a augmenté. Les nouvelles normes permettent ainsi à un nombre significatif de personnes de monter en compétence dans leur travail, et parfois, de trouver un sens nouveau à leur emploi.
Des normes environnementales obligatoires
Mais le manque d’investissement de certaines entreprises, et les lacunes des politiques de RSE à entraîner une réelle et suffisante transformation de leur activité oblige les institutions publiques à orienter l’action des secteurs professionnels en contraignant l’adoption de nouvelles normes environnementales. Près de 60 % des formations aux normes environnementales sont obligatoires, contre seulement 34% dans les autres types de formations. Encore une fois, ce sont surtout les agents de maîtrise et les ouvriers qui sont les plus concernés par ces formations « écologisantes », tandis qu’à l’inverse, les formations sont négligées par les ingénieurs et les cadres. Les autrices justifient cette tendance par un cursus académique et professionnel qui intègre « déjà pour une large part les normes et procédures de production, y compris la prise en compte des normes environnementales ».
Mais même si l’engagement volontaire des entreprises est déjà un premier pas important dans la protection de l’environnement, les impératifs environnementaux entrent bien souvent en conflit avec les impératifs économiques, gelant toute envie de pousser des actions concrètent dans la lutte pour la protection de l’environnement. La loi Climat et résilience du 22 août 2021 vise justement à inciter les entreprises à agir, notamment grâce aux salariés. Il est attendu que dans les entreprises d’au moins 50 salariés, le comité social et économique (CSE) puisse exprimer des critiques sur la stratégie environnementale de l’organisation.
Valette-Wursthen, A. (2022). Transition écologique : L’État peut-il orienter l’action des secteurs professionnels ? Céreq Bref.
Delanoë, A., & Moncel, N. (2022). Normes environnementales : Quels effets sur le travail et les formations ? Céreq Bref.
Sulzer, E. (2022). La responsabilité sociétale des entreprises face à la transition écologique. Céreq Bref.
Image par Yerson Retamal de Pixabay