L’obsolescence programmée : on en parle comme un scandale, on veut lutter contre ce phénomène, une loi a même été votée (dans le cadre de la loi de transition énergétique) pour l’interdire et la condamner. Et si l’obsolescence était en fait partie intégrante de notre système économique actuel ? L’obsolescence programmée n’est-elle pas un symptôme de la nécessité de changer totalement de système économique ? Suite de notre dossier spécial « Obsolescence et durabilité ».
Le scandale de l’obsolescence programmée
Difficile de passer à côté des polémiques de l’obsolescence programmée. En juillet 2015, dans le cadre de la loi sur la Transition Énergétique, un amendement rendant cette pratique passible de fortes amendes a été voté. En décembre 2015, une class action a été lancée aux Etats-Unis contre Apple par des consommateurs considérant que les mises à jour de son iOS étaient une forme d’obsolescence programmée. Dès qu’un appareil ménager tombe en panne, les consommateurs ont tendance à parler d’obsolescence programmée et à la dénoncer.
Dans les médias, on parle même de l’obsolescence programmée comme un scandale, un gâchis, une faille de notre système économique. Et en effet, l’obsolescence programmée a des coûts économiques et environnementaux très importants. Mais si l’obsolescence faisait en fait partie intégrante du système économique international ? Si elle n’était que la partie émergée de l’iceberg qu’est notre modèle économique défaillant ?
L’obsolescence programmée : le meilleur allié de la croissance et de l’économie
L’obsolescence (programmée ou non) semble en tout cas difficilement séparable de notre modèle économique, elle serait même une condition indispensable au fonctionnement de notre économie. Sans obsolescence, sans destruction, sans renouvellement des produits, pas de commerce, pas de capitalisme. C’est en quelque sorte ce qu’explique l’économiste Joseph Schumpeter dans son ouvrage « Capitalisme, Socialisme et Démocratie ». C’est l’apparition de nouveaux produits, de nouveaux services et l’obsolescence des vieux produits qui permet aux entrepreneurs de créer de la richesse et de la valeur. Cette « destruction créatrice » serait la base du capitalisme.
En tout cas, les chiffres sont plutôt clairs : la croissance est corrélée à l’obsolescence. D’après une étude publiée dans la revue Economic Modelling, les pays ayant le taux de dépréciation de leur capital économique le plus fort (autrement dit, les pays qui doivent renouveler plus souvent leurs infrastructures et leurs produits car ils deviennent obsolètes) sont les pays ayant la croissance économique la plus forte. Déjà en 1932, Bernard London conseillait l’obsolescence programmée comme un remède à la crise économique, et aujourd’hui encore, certains estiment que l’obsolescence programmée, plutôt qu’un vecteur de gaspillage est un accélérateur de progrès.
Et la logique derrière cette réflexion se tient : si une entreprise vend des laves-vaisselles qui durent 30, 40 ou 50 ans, elle n’aura rapidement plus de nouveaux clients, plus de bénéfices donc, et plus de capacité à créer de l’emploi. À terme, c’est tout le système économique qui s’effondre. Alors, faut-il vraiment lutter contre ce phénomène au risque de tomber dans la récession ?
Obsolescence programmée : faut-il changer de modèle économique ?
Vouloir lutter contre « l’obsolescence programmée » semble en tout cas être difficile si l’on ne change pas complètement le système. L’ensemble de notre modèle économique repose en grande partie sur cette tendance. Serge Latouche, dans son ouvrage « Bon pour la casse : Essais sur l’obsolescence programmée » explique que tout notre système est basé sur l’obsolescence : « La publicité crée le désir de consommer, le crédit en donne les moyens, l’obsolescence programmée en renouvelle le besoin ».
Pour réellement lutter contre l’obsolescence programmée, il faudrait donc refondre tout notre modèle économique. Repenser le modèle de l’entreprise et de l’actionnariat qui force les entreprises à avoir des rendements trop élevés. Revoir notre modèle financier et économique, pour ne plus dépendre de la croissance du PIB. Transformer notre modèle d’emploi pour créer des emplois dans le réemploi, la réparation, le recyclage. Faire surtout évoluer nos modes de consommation et développer une certaine sobriété qui implique qu’on ne peut pas changer de téléphone tous les 2 ans, et que l’on doit accepter de moins consommer et de consommer plus cher. Il faudrait aussi revoir l’ensemble des supply chain pour promouvoir des produits plus résistants, plus qualitatifs, et donc plus chers. Une économie moins dynamique donc, moins « rapide », mais plus durable peut-être.
Et pour être réellement efficace, cette révolution du système devrait être internationale, prendre en compte l’équilibre entre les pays développés et les pays en développement, et promouvoir une meilleure répartition des richesses à la fois entre les pays et entre les individus.
Pour Serge Latouche, qui pousse cette logique à l’extrême, lutter contre l’obsolescence programmée équivaut en fait à adopter un modèle de la décroissance, un modèle où le pouvoir d’achat n’augmente plus, un modèle de sobriété économique. Il propose de sortir du système capitaliste et commercial actuel, de sortir du paradigme de la quête de croissance et de richesse. Si la solution peut paraître extrême, elle n’est pas dénuée de sens : lutter contre l’obsolescence sans changer le système équivaudrait à lutter contre la fièvre sans chercher à soigner la grippe. C’est le constat de Serge Latouche (« Faut-il refuser le développement ? » ou « Le pari de la décroissance« ) mais aussi Gilbert Rist, qui dénonce le concept de « développement » comme une croyance mythologique occidentale (« Le développement. Histoire d’une croyance occidentale ») ou encore Pierre Caye (Critique de la destruction créatrice).
Si ce changement total paraît encore difficile aujourd’hui, de plus en plus de solutions se mettent en place pour amorcer doucement une transition et lutter contre l’obsolescence de nos produits. Pour les découvrir, continuez à consulter chaque semaine (jusqu’à fin mars) notre dossier spécial « Obsolescence et durabilité ».
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