Tous les jeudis, Youmatter revient sur l’actualité de la RSE en chiffres. Cette semaine, on se penche sur le coût macroéconomique du changement climatique. Et il est largement sous-estimé, alertent les actuaires dans un rapport choc.
Si des mesures ne sont pas prises immédiatement contre le changement climatique, l’économie mondiale pourrait subir une perte de 50 % de son PIB entre 2070 et 2090. Et ce sont des actuaires, des experts de l’évaluation, de la modélisation et de la gestion des risques, qui le disent.
L’impact macroéconomique du changement climatique sous estimé
The Institute and Faculty of Actuaries (IFoA) a collaboré avec des climatologues de l’Université d’Exeter pour évaluer les conséquences économiques du changement climatique dans Planetary Solvency – finding our balance with nature. Il y développe une approche par le risque et se base sur une soutenabilité forte (Les services écosystémiques, y compris la régulation du climat, ne sont pas substituables par d’autres services/capitaux et doivent donc être protégés).
Une approche qui remet en question les évaluations précédentes les plus utilisées « mais profondément erronées » qui « montrent un impact négligeable sur le PIB », précise Sandy Trust, auteur principal et membre du Conseil de l’IFoA. En effet, celles-ci excluent souvent les risques les plus graves (dépassement des points de bascule, élévation de la température des océans, migrations, conflits, famines…) et ne reconnaissent pas non plus l’existence d’un « risque de ruine ». « Ce qui rend les décideurs politiques aveugles au risque immense dans lequel les trajectoires politiques actuelles nous placent », déplore Sandy Trust.
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Prendre l’estimation la plus élevée : l’approche la plus prudente selon l’IFoA
Les estimations les plus basses vont d’une perte de 2% du PIB (Nordhaus & Boyer) à 44% selon la dernière étude du National Bureau of Economic Research dont nous rendions compte il y a 6 mois. Les auteurs, Adrien Bilal et Diego R Känzig, y analysent le coût économique avec une approche « holistique », permettant de mieux saisir les impacts interconnectés du changement climatique sur le travail, l’environnement et les investissements. D’autres méthodologies fournissent des fourchettes encore plus larges : jusqu’à 63 %, souligne le rapport de l’IFoA.
Ces fortes variations résultent de « modèles et de méthodologies complexes » souligne l’IFoA mais « une approche prudente consisterait à prendre l’estimation la plus élevée de la perte économique et à la réduire si nécessaire plutôt que l’inverse », précise le rapport. De fait, une nature en bonne santé est essentielle pour la société et notre économie. Cet axiome est pourtant encore balayé dans la plupart des décisions économiques.
Repenser les décisions économiques à l’aune de ce risque
Résultat : « notre approche actuelle, axée sur le marché, pour l’atténuation des risques liés au climat et à la nature ne donne pas les résultats escomptés ». En donnant la priorité à l’économie mais sans en comprendre l’interdépendance intrinsèque à l’environnement, « les pratiques de gestion des risques au niveau mondial des décideurs politiques se révèlent inadéquates. Et nous avons accepté des niveaux de risque bien plus élevés que ce qui est généralement admis », note encore le rapport.
Même les objectifs de l’Accord de Paris ne se sont pas basés sur une « évaluation réaliste des risques » et « acceptent implicitement le risque élevé de franchir des points de basculement ». Or, un réchauffement de 3 °C ou plus d’ici à 2050 pourrait entraîner la mort de plus de 4 milliards de personnes, une fragmentation socio-politique importante à l’échelle mondiale, la faillite d’États et des phénomènes d’extinction sans précédents de la biodiversité. Ce qui nous place dans un risque d’« insolvabilité planétaire », estime l’IFoA.
De la solvabilité financière à la « solvabilité planétaire »
Déjà les dix dernières années ont été les plus chaudes jamais enregistrées depuis 1850 et nous avons dépassé les +1,5°C en 2024, les catastrophes liées au changement climatique ont quintuplé au cours des 50 dernières années, les populations animales sauvages ont décliné de 70% depuis 1970 et plus de 40 % de la population mondiale est considérée comme « extrêmement vulnérable » aux effets du changement climatique.
Pour changer de direction, l’IFoA propose de passer de la solvabilité financière à la « solvabilité planétaire », avec un nouveau tableau de bord des risques.
Des risques physiques qui pourraient mettre en péril jusqu’à 25% du bénéfices des entreprises en 2050
Notons aussi qu’à l’échelle micro, un rapport du WEF avec le BCG prévient que d’ici 2050, les risques physiques individuels pourraient à eux seuls mettre en péril 5 à 25 % de l’EBITDA 2050 des entreprises, en fonction du secteur et de la géographie, les secteurs à forte intensité d’infrastructures étant les plus exposés. Mais en investissant 2 à 3 % du PIB mondial cumulé dans des mesures d’atténuation et d’adaptation, nous pourrions « éviter des pertes de 10 à 15 % du PIB au cours de ce siècle ».
Illustration : Canva