La vraie ligne de partage entre les entreprises va se faire entre celles qui sont engagées dans « la durabilité » et celles qui ne le sont pas. Toutes les autres dénominations brouillent ce concept fondamental dont la Loi Pacte a rappelé le sens dans la nouvelle définition du Code Civil.
L’Institut de l’Entreprise met en débat une excellente synthèse de l’évolution des théories de ces dernières décennies sur ce qu’est l’entreprise dans la société moderne, « cet impensé » imposé, plus que jamais « à la recherche de nouveaux équilibres. Il rappelle qu’on est passé de « l’entreprise patrimoniale du 19°siècle, à l’entreprise industrielle managériale du 20°siècle et à l’entreprise actuelle plus intégratrice, contributive, en quête d’une performance globale… » ; il considère qu’on est arrivé aujourd’hui, en France surtout, à « l’entreprise en même temps » (!), qu’il dénomme « l’entreprise post-RSE, faute d’expression consensuelle qui donne satisfaction », pour traduire ce qui se passe, pense-t-il !
L’entreprise « post-RSE » est une expression insuffisante, s’il s’agit de prolonger « le temps des bonnes pratiques »
Bien entendu, on verra dans ce rappel des évolutions de l’entreprise un hommage bienvenu rendu à la loi Pacte qui institue dans le Code civil français la double finalité économique et sociétale de l’entreprise (art.1833 CC). Et une reconnaissance du mouvement de la RSE qui a mené à la promotion de « la raison d’être » et de l’entreprise à mission » (art. 1835 CC), c’est-à-dire à une prise en compte volontaire croissante des enjeux environnementaux et sociaux, alors même que l’entreprise n’a cessé de gagner en puissance, influence et richesse au sein de la Société. Et a trop tardé à en tirer les conséquences quant à la gestion de ses impacts.
Mais au-delà du fait que le législateur avait une inspiration plus systémique de « l’entreprise en Société », ramener l’évolution en cours à une consécration de la RSE vécue ces dernières années comme une somme de bonnes pratiques , entretient la confusion qui existe dans le débat français où l’on parle avec légèreté de l’entreprise positive, de l’entreprise contributive, de l’entreprise progressiste, comme s’il n’existait pas de cadres et de sous-jacents structurés…Le cadre qui s’est imposé depuis vingt ans est celui qui tend vers la durabilité du modèles d’affaire. De fait, il est faux et dangereux de faire croire aux entrepreneurs et à l’opinion qu’il suffit d’intégrer de la RSE comme bon vous semble, de façon bienveillante, pour répondre à la question posée au capitalisme depuis « les années Friedmann », à savoir son rapport à la planète. La vraie rupture est bien celle de la prise en compte ou non du « développement durable » dans les logiques économiques ; là réside la vraie ligne de partage dans la gestion des rapports entre l’entreprise et la Société, à l’ère de la mondialisation.
RSE ou post-RSE : l’entreprise est-elle durable, là est la question !
Pour la clarté du débat, on rappellera que l’effort de définition de « la conduite responsable des affaires », dans les années 2000 (cf. Global Compact, ISO 26000, révision des principes OCDE…), a consisté à tirer les conséquences pour l’entreprise de la vision nouvelle émergente d’une « autre croissance », compatible avec la mondialisation et l’interdépendance posée des dimensions sociales, environnementales et économiques du développement ; ceci découle du Sommet de Rio et des autres sommets de la Terre qui ont structuré de nouveaux principes de droit international (cf. pollueur-payeur, écoute des parties prenantes, respect des communautés etc…). C’est à ce moment-là que la RSE, issue des démarches individuelles de prise en charge des controverses éthiques datant du début du 20°siècle, à travers le paternalisme et la philanthropie pour l’essentiel, s’est vue captée par la dynamique du développement durable, en Europe plus qu’aux Etats-Unis, restés en grande partie attachée à la vision redistributive plus qu’à cette nouvelle approche durable, systémique. La montée en puissance de la pression climatique et écologique, mais aussi des risques associés à une externalisation croissante des chaînes de valeur et à une critique de plus en plus forte des multinationales, explique, qu’après vingt ans de construction de référentiels reconnus, repris par des notations qui font référence (DJSI, Ecovadis, CDP…), pourquoi « la logique durable », globale, tirée par une fraction de plus en plus significative de l’investissement, institutionnel notamment, l’a emporté sur la logique de pure responsabilité ou de conformité, dont la RSE est devenu l’outil et l’incarnation .
Pour rentrer dans une dynamique de réponse aux mises en cause comportementales du business, grâce à des pionniers peu nombreux, les grandes entreprises ont créé des directions et des démarches RSE, de plus en plus larges et efficaces. Pour autant, cette maturation, dont on peut suivre la progression à travers une métrique extra-financière de plus en plus solide, ne dit pas automatiquement si l’entreprise s’inscrit dans un modèle durable au sens où elle prend en compte le cadre du développement durable, aujourd’hui exprimé à travers les ODD (SDG’s) qui fixent la trajectoire collective que s’est donnée la planète pour résoudre ses défis à 2030. La question n’est plus pas de savoir si l’entreprise fait ou non, un peu ou beaucoup de RSE, mais si son modèle d’affaire contribue à la durabilité de la planète, dans le cadre général adopté ! Et si elle sait le démontrer !
Modéliser la durabilité de l’entreprise : voilà le vrai défi en cours
Si l’entreprise responsable est celle qui respecte les principes de base, légaux d’abord, et d’engagement volontaire qu’elle se donne également, cela ne suffit pas à dire si elle est « durable », c’est-à-dire si elle a un comportement de prédateur à l’égard de la Société ou si elle exerce son activité avec un comportement de contributeur qui va améliorer la durabilité des territoires, au regard des référentiels internationaux. Une entreprise ne peut considérer qu’elle est « durable » que si elle affiche une diminution de ses impacts négatifs et une augmentation de ses impacts positifs, au fur et à mesure de sa création de valeur, objectif premier qu’on lui impute. La durabilité d’un modèle d’affaire se mesure très précisément à travers la comparaison entre les tendances de ces deux courbes, celle de la création de valeur « durable » et celle de sa création de valeur globale. La RSE, d’hier ou de demain, n’est que la boîte à outils, pas sa finalité, laquelle est bien de tendre vers une création de valeur à 100% durable, dans la mesure du possible !
Les débats de fond qui agitent la réflexion économique (cf. Tirolle, Economie du Bien Commun) et politique sur le sujet (cf. UE autour de la finance durable…), chez nous, Outre-Atlantique et en Chine, autour de cette mesure de la performance globale, rapportée aux priorités planétaires du développement durable que les Nations-Unies instruisent et aident à mesurer ont tous un horizon : agréger de façon cohérente et comparable la croissance d’une firme pour qu’elle intègre la gestion de ses conséquences sociales, environnementales et sociétales à l’intérieur de son bilan économique. Grâce à l’E-P&L, à « l’integrated reporting », qui vont au-delà de « la triple bottom line » dont son auteur reconnaît qu’elle est dépassée, et aux mesures de la raison d’être qui conduisent enfin les gouvernances d’entreprise à se saisir de leur projet sous cet angle élargi, les approches s’améliorent. Elles n’en sont pas moins encore limitées.
En fait, s’il on veut rentrer dans un suivi stratégique, c’est-à-dire en termes de trajectoire, capable de rendre compte de la durabilité du modèle, on sait qu’il faut sélectionner le nombre d’objectifs et d’indicateurs de résultat, en lien avec les impacts matériels principaux de l’entreprise, négatifs et positifs, conformément à quatre composantes fondamentales de la définition durable de l’entreprise : son découplage d’abord, ou l’usage des ressources non renouvelables au regard de sa création de biens et services ; son équité ensuite, ou la façon dont elle produit de façon conforme aux principes sociaux et sociétaux reconnus et acceptés et la façon dont le partage de la valeur est effectué entre les diverses parties prenantes ; son accessibilité enfin, ou la dimension « vraiment durable » de son offre, conformément à des standards reconnus et établis, en termes de clients qui peuvent y bénéficier, via les produits ou les usages. Ces trois pôles de durabilité s’inscrivent dans le socle de responsabilité intrinsèque qui démontre la loyauté de l’entreprise au regard des lois et de la régulation collective souhaitable, qu’il s’agit aussi de faire évoluer.
Une telle approche théorique et pragmatique à la fois, enrichit le modèle de Porter qui indiquait le premier, en 1996, que l’entreprise allait trouver sa plus grande expansion dans les besoins non satisfaits de la Société, soit en corrigeant ce qu’elle fait, soit en s’ouvrant à ce qu’elle ne fait pas, du fait de canons financiers et marketing qui la collent aux marchés solvables ou à des rentes faciles. L’arrivée de l’exigence de décarbonation en tête des questions de durabilité, comme de la gestion des déchets, mais aussi d’un respect strict des droits humains et sociaux, d’une approche plus respectueuse du « capital humain » et de l’inclusion au sein de ses communautés, sont en train d’infléchir très fortement les modèles ; il s’en suit un « nettoiement » des portefeuilles d’activité et des accords avec ses parties prenantes qui font de « la valeur négociée » la meilleure méthode pour se faire préférer sur les marchés, les consensus étant plus puissants que les normes et plus impliquants que la seule préoccupation de les suivre pour faire comme tout le monde…
« L’entreprise durable » devient modèle de l’entreprise du 21ème siècle, confrontée à des enjeux qui sont plus critiques et nouveaux pour beaucoup.
Le secteur technologique n’avait pas anticipé la pression des questions éthiques, pas plus que les chimistes les effets indirects de leurs inventions et les acteurs du luxe le besoin de transparence etc…Pourtant, il suffit d’étudier les objectifs du développement durable pour apprécier l’ensemble des enjeux sur lesquels les entreprises sont interpellées et ce constat rappelé récemment par le Président d’AccorHotels : « la Société a pris le pouvoir » !
Si l’entreprise les prend en charge sérieusement, dans sa gouvernance et son projet, pour tendre vers plus de durabilité, elle se crée un avantage compétitif : non seulement elle réduit les risques de réputation, améliore le choc de la réglementation et de la normalisation, mais elle ouvre des potentialités méconnues, favorise l’accès à un capital et à des marchés attentifs à ces préoccupations ; elle crée aussi un dynamique interne puissante en termes de motivation. Il existe toutefois une condition de succès qui oblige, là aussi, à dépasser le stade déclaratif de la RSE : c’est la cohérence entre l’engagement, la conduite des opérations, la mesure des résultats et l’arbitrage court-terme long-terme, qui se voient facilement et qui induisent cette reconnaissance par les parties prenantes, des investisseurs aux clients, clé de la création de valeur, de plus en plus durable.
Les organisations professionnelles vivent encore ces sujets comme des contraintes et des peurs. Le défi est au final de s’approprier un avantage concurrentiel. Et ne plus sous-estimer le contexte des changements de valeur générationnels, des corrections qui s’imposent pour préserver la biosphère et répondre aux populations précaires les plus nombreuses. On peut espérer que l’Institut de l’Entreprise dont la vocation est d’être l’aile avancée de la réflexion patronale, prône cette démarche de durabilité pour élever la compétitivité de « l’entreprise France ». Plutôt que d’entreprise post-RSE, il faut donc oser parler d’entreprise durable et préciser ce contenu, à l’exemple de HEC qui revoit son enseignement aujourd’hui au travers d’un modèle de « sustainability transition management ».
« Les directions de la durabilité et des relations à la Société (Corporate Sustainability Officer)», comme on devrait les appeler – plutôt que directions de la RSE – se posent toutes des questions sur la façon de se confronter aux ODD. La réponse tombe d’elle-même : il s’agit désormais de suivre la courbe de durabilité de l’entreprise par rapport à sa trajectoire vers les ODD où l’entreprise est la plus concernée, dans un agenda 2030 qui est celui auquel pays et entreprises, doivent s’appliquer. C’est la voie que choisissent de plus en plus de fonds d’investissement responsables qui cherchent à se focaliser sur les entreprises qui contribuent à la durabilité de la planète, par rapport à celles qui ne s’en soucient pas, ou pas beaucoup…
En mettant la performance de durabilité au cœur de la gouvernance, on rompt avec la vision ancienne de « la RSE pour la RSE » et on répond à la sollicitation de la loi Pacte qui est de « tenir compte des enjeux sociaux et environnementaux », comme cadre constitutif du pacte des associés ; l’appréciation de l’engagement, si le juge s’en mêle, se fera à travers l’analyse de ce progrès de durabilité et non pas au vu de l’alignement de bonnes pratiques, de plus en plus communes ou partielles…Il faut s’attendre aussi demain à ce que les consommateurs et les citoyens disposent d’outils simples de notation, accessibles sur les produits via leurs iPhones, qui leur disent mieux qu’un label, privé et controversé, quel est le score de durabilité de l’entreprise mère, c’est-à-dire son attention réelle au monde !
Au final, il y a bien un enjeu pédagogique à l’égard de la communauté économique : prendre la mesure des tensions qui caractérisent la mondialisation, qui a fortement profité aux entreprises, jamais aussi nombreuses à avoir atteint une dimension planétaire, à leurs actionnaires aussi, n’ayant jamais bénéficié d’une telle capitalisation, aux consommateurs également qui ont profité de baisses de prix significatives, mais qui ont laissé sur le chemin, à la charge des contribuables et des générations à venir, des non-réponses sociales et des désastres écologiques , sans parler des démarches peu éthiques, discriminatoires, illégales qui caractérisent trop souvent l’économie de marché internationale. Le rapport Notat Senard qui a largement inspiré la réforme du code civil sur le droit des sociétés (art. 1833 & 1835), s’est fondé sur une critique des pratiques du capitalisme court-termiste. Mais il ne faut pas sous-estimer les enjeux objectifs, écologiques, humains, concernant les pratiques de gouvernance, de transparence, d’information et de relations à la Société qui rendent la prospérité critiquable et qui font planer un doute sur sa pérennité. La recherche d’une « croissance durable », plutôt que d’une décroissance ou d’une éco-ecologie, prônés par certains, ne sera crédible que si elle devient le modèle à viser par les grandes entreprises qui doivent assumer plus et mieux que jamais leur responsabilité politique, au plein sens du terme. Elles ne peuvent plus se contenter d’une RSE de bon aloi, à leur main et à leur vitesse. Elles doivent considérer que la réalité durable de leur modèle est indissociable de sa performance économique ; elles doivent en mesurer la progression et en faire un élément de leur relation aux marchés car le rôle des entreprises est aussi de contribuer à la durabilité de la planète, tant il est vrai qu’il « n’y aura pas d’entreprises qui gagnent dans un monde qui perd ».
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