Plonger avec les requins est pour certains un sport extrême, pour d’autres une habitude nécessaire quand l’on habite un rivage fréquenté par les squales. Et si ce genre d’aventures arrive plus facilement sur d’autres littoraux que ceux de France métropolitaine, faire une croix dessus reviendrait à oublier nos DOM-TOM (la Réunion en tête) et à se priver d’une rencontre enrichissante quand elle est réalisée dans de bonnes conditions. Voici quelques idées reçues démontées et nos recommandations pour faire d’une rencontre imprévue un bon souvenir, en toute sécurité, très loin des « Dents de la Mer » de Spielberg !
La chasse aux requins : tuez ce requin que je ne saurai voir
Présents dans tous les océans de la planète, les requins ont la vie dure. On considère qu’on tue chaque heure 11 417 requins, principalement pour leurs ailerons très prisés en Asie. Cette ressource a donné naissance à la technique de pêche dévastatrice du « shark finning » : on prélève les nageoires de n’importe quel type de requin avant de le remettre à l’eau, pour ne pas s’encombrer de son corps qui est moins valorisable. Certains n’hésitent pas à le dire : ce serait un destin mérité pour une espèce n’hésitant pas à s’attaquer à l’homme. Ce raisonnement a mené à accentuer la pression sur les requins partout où des attaques ont eu lieu : Afrique du Sud, Réunion, Australie. Dorénavant on n’hésite plus à partir à la chasse au « requin mangeur d’hommes » dès qu’une attaque est recensée sur un baigneur.
Oui mais voilà. L’intégralité de ce raisonnement est faux, stupide et dangereux.
Faux : le requin ne chasse pas l’homme. Le requin vie dans la mer, se nourrit d’animaux marins dont l’homme ne fait pas partie. Il ne connaît pas le goût de sa chair et n’apprécie pas de façon générale les viandes d’animaux terrestres comme le poulet, le porc ou le boeuf. Quand un squale mord, c’est avant tout par curiosité, et il est tragique que cet intérêt entraîne une blessure. Mais quand vous n’avez pas de mains vous avez tendance à utiliser votre bouche : demandez à votre chien, il connaît bien ! Il n’a jamais été prouvé qu’un requin ayant mordu y prend goût. Chasser le responsable d’une attaque est donc au mieux inutile.
Stupide : les chasses aux requins ordonnées par les autorités suite aux attaques se soldent toujours par la pêche d’espèces non mises en cause dans les attaques. Le Préfet a demandé la tête d’un requin Bouledogue ? Ce sera celle d’un Grand Blanc ou d’un Mako. Le pêcheur sera rémunéré en conséquence, et l’opinion publique aura son (faux) coupable. Non seulement cette vengeance est stupide, conduisant à la pêche d’un individu d’une espèce protégée (la plupart des requins sont inscrits sur liste rouge à l’IUCN) en contradiction totale avec les traités internationaux sur les espèces protégées, mais en plus elle est dangereuse.
Dangereux : En prélevant un requin, vous libérez la niche écologique de celui-ci. La niche écologique est l’ensemble des interactions écologiques d’un individu avec son environnement : alimentation, prédation, etc. En clair, l’individu n’étant plus présent pour jouer son rôle de régulateur de l’environnement, vous courez le risque qu’il soit remplacé par un ou plusieurs autres… ou non. Dans le premier cas on peut imaginer l’installation d’une espèce plus encline à se rapprocher des côtes, dans la seconde un impact important sur la biodiversité marine de la zone. C’est ce dont s’est aperçu une équipe américaine recherchant les causes de l’effondrement du stock de coquilles Saint-Jacques sur la côte Est des USA : celles-ci étaient mangées par les raies, qui avaient vu la disparition de leur prédateur naturel (le requin), amenant l’effondrement des pêcheries locales de Saint-Jacques.
Et si ceci vous paraît lointain comme menace, il y en a une autre, bien plus directe : lors de ces « pêches de vengeance » les requins sont appâtés par des palangres ou « drumlines » en anglais (de grandes lignes munies de milliers d’hameçons), et ce à proximité de la zone d’attaque… qui est celle où sont les baigneurs ! C’est exactement comme annoncer à tous les prédateurs de la zone qu’un buffet géant venait de s’ouvrir, et renforcer le lien « présence d’humains = nourriture ».
Comme pour beaucoup de choses concernant l’océan, la stratégie la plus efficace face aux requins semble être le recul et l’éducation. Et c’est ici qu’entrent en jeu les conseils donnés par les scientifiques spécialistes de la biologie des requins. Leurs propositions s’appuient non pas sur ce que nous ressentons des requins mais sur l’étude approfondie de leur mode de vie. Leurs conseils sont axés sur la prévention de la rencontre et sur ce qu’il faut faire si celle-ci a lieu, pour qu’elle reste un bon souvenir aussi bien pour le nageur… que pour le requin !
Se protéger des requins : quelques conseils et beaucoup de bon sens
Il est possible de nager avec les requins, de plonger avec eux, de les toucher et d’y prendre autant de plaisir qu’une rencontre avec des dauphins, à condition de respecter certaines règles.
1- Ne ressemblez pas à leur nourriture
Même s’il ne viendrait à l’idée de personne de se baigner dans une zone à risque en tenue d’otarie, ce conseil vaut pour tous les amateurs de sports flottants tels le kayak, le surf ou le bodyboard. Les requins détectent les contrastes : un homme flottant sur une planche se détache nettement sur la surface et peut être assimilé à une proie. De plus, selon l‘International Shark Attack File, les requins seraient excités par la présence de couleurs vives, comme celles que l’on peut trouver sur certains kayaks de mer ou combinaisons. Si vous souhaitez aller à l’eau en présence de squales, on ne peut que vous recommander une bonne vieille combinaison noire ou bleue ! Intéressant à noter : à la Réunion, aucun attaque n’a jamais eu lieu sur un plongeur, seulement sur des surfeurs.
2- Évitez les contextes propices aux confusions
C’est le soir, ou le matin, le soleil est bas sur l’horizon ? Il fait sombre, pluvieux ou l’eau est trouble ? Ne rentrez pas dans l’eau, la rencontre a toutes les chances de ne pas bien se passer. Les requins sont curieux de nature, et comme je vous l’ai dit, ils touchent avec leurs dents. Alors s’ils voient mal et ont un doute sur la comestibilité de votre planche de surf, ils n’hésiteront pas à mordre si le contexte les y incite, juste pour lever le doute.
3- Ne nagez pas avec votre chien et restez attentif à votre environnement
Quoi de plus appétissant pour un squale en vadrouille que les grands splash d’un chien se jetant à l’eau ? Toute agitation de l’eau signale une proie potentielle. S’accompagner d’un animal dans une zone à risque est donc stupide et dangereux. De même, faîtes attention à votre environnement : des oiseaux de mer qui plongent signalent la présence d’un banc de poisson. Alors évitez de nager au milieu, vous risquez d’être la surprise dans un oeuf Kinder. Pareil pour les pratiquants de la plongée ou de la chasse sous-marine : pour ces derniers, ne gardez jamais votre pêche à la ceinture, accrochez-la à la bouée. Vous minimiserez les risques en cas de rencontre.
4- Restez calme et… Ne faîtes pas l’idiot
Si vous croisez un requin, restez calme, nagez vers la plage et sortez de l’eau. Ne battez pas des mains pour appeler au secours ou ne tentez pas de le repousser : vous allez provoquer une attaque. Les requins sont sensibles aux champs électromagnétiques : ils sentent votre excitation et en vous débattant vous ressemblez à une proie en difficulté. Alors que si vous restez calme… Vous aurez juste l’air classe en plus de sauver votre vie. N’en profitez pas pour prendre un selfie ou tenter d’attraper leur nageoire dorsale, ceci n’est possible qu’en cas de rencontre volontaire, accompagné par des professionnels et pas avec n’importe quelle espèce.
5- Ne les nourrissez pas !
Cela semble une fois de plus couler de source mais de nombreux attrapes touristes proposent des séances de « shark feeding », du nourrissage en plongée. En faisant ceci, non seulement vous leurs faîtes associer humain et nourriture mais en plus vous les sédentarisez. Vous participez donc directement à l’augmentation des risques de morsure sur la zone.
Le moustique tue plus que le requin
Si l’on en croit les statistiques mondiales, la « menace requin » est pratiquement inexistante et extrêmement localisée. Ainsi, on compte (en moyenne entre 2004 et 2015) 70 attaques par an de requins, dont seulement 6 mortelles par an. Pour comparer, vous avez une chance sur 63 de mourir de la grippe… et une sur 3 700 000 de mourir sous les dents d’un requin.
Sans compter que pour chaque humain tué, ce sont 2 millions de requins qui sont pêchés chaque année. Alors, injuste la pêche au requin ? Entre 1990 et 2003, les captures mondiales de requins ont augmenté de 22%, et 80% d’entre elles sont faites par des pays européens comme l’Espagne, la France, le Royaume-Uni et le Portugal.
Ces chiffres ne doivent pas cacher l’importance de l’éducation à l’environnement marin : de la même façon qu’un homme n’irait pas gravir un sommet sans formation, la mer est un environnement étranger qui ne s’appréhende pas de façon naturelle. C’est cette éducation qui garantira un accès pour tous à la mer, dans le respect de ses habitants.