La France s’apprête à construire la première route solaire fonctionnelle. Une route qui produirait de l’énergie ? L’idée est attirante, mais est-ce vraiment une si bonne idée ?

Aujourd’hui, le monde est à la recherche de nouvelles façons de produire de l’énergie. Les énergies fossiles traditionnelles (charbon, gaz, pétrole) s’épuisent, et surtout les pollutions qu’elles génèrent entraînent réchauffement climatique, dégradation de l’environnement, problèmes de santé publique… Le nucléaire, bien qu’étant une énergie plus propre du point de vue carbone, est de plus en plus remis en cause par l’opinion publique à cause des craintes qu’il suscite (notamment après l’incident de Fukushima). Face à ces évolutions, les énergies renouvelables se posent comme une alternative inévitable. On cherche à développer les énergie éoliennes, les énergies marines et houlomotrices, la biomasse, ou encore le solaire.

Parmi les dernières innovations suscitant l’intérêt dans ce domaine, on peut notamment citer les routes solaires.

Qu’est-ce qu’une « route solaire » ? Comment ça marche ?

Le principe d’une route solaire est simple : intégrer des cellules photovoltaïques (c’est à dire des cellules capables de produire de l’électricité lorsqu’elles sont exposées aux rayons solaires) à la surface des routes sur lesquelles roulent les véhicules. Les routes solaires, aussi appelées « wattway » (du nom du concept breveté par la société Colas, qui tente de mettre en place le projet en France notamment), sont supposées à terme servir de véritable source de production d’électricité.

Le principe de fonctionnement serait le même que des panneaux photovoltaïques classiques, à la différence qu’au lieu d’être posés sur des toits ou des terrains, ils seraient directement incrustés dans les routes. Sachant qu’en France le réseau routier est constitué de près de 950 000 km de routes, et que chaque kilomètre de route solaire peut (d’après Colas) produire assez d’énergie pour alimenter une ville de 5000 habitants, cela représente un potentiel de production intéressant sur le papier : on pourrait alimenter toute la France en couvrant seulement un quart de nos routes ! De plus, les routes solaires ont un avantage : elles n’empiètent pas sur des terrains agricoles, ou sur des surfaces qui pourraient servir à autre chose, elles ne dégradent pas les paysages (pas plus que les routes normales en tout cas).

Et puis les routes solaires permettraient également de se prémunir contre le verglas, elles permettraient de créer tout une nouvelle gamme d’emplois dans la production, l’entretien et la maintenance…

route-solaire

La France (comme les Pays-Bas) mène donc actuellement des tests pour étendre ce type d’infrastructures afin de se doter de nouvelles sources de production d’électricité. La France vient ainsi de lancer le chantier de la première vraie route solaire mondiale, qui devrait être livrée d’ici la fin de l’année. Mais ces routes sont-elles vraiment une solution viables ?

Les routes solaires sont-elles viables ?

Les tests qui ont été menés jusqu’ici permettent difficilement de trancher sur la viabilité à long terme des routes solaires. La première route solaire installée en Europe fut une piste cyclable, construite aux Pays-Bas, et longue de 70 mètres environ. Après un an de tests, et malgré quelques problèmes (une partie de la piste a du être remplacée suite à des dégâts en cours de test) la piste cyclable a relativement bien fonctionné et a permis de produire 3000 killowatts d’électricité, soit assez pour alimenter une maison. En Idaho, un test miniature a été mis en place, mais les prototypes de panneaux solaires installés n’étaient pas conçus pour que des véhicules puissent y circuler. Les résultats semblent pour l’instant contrastés, tant au niveau de l’énergie produite que de la solidité des infrastructures.

En décembre prochain, la France devrait mettre à l’épreuve ses premiers kilomètres de routes solaires, qui permettront d’avoir une meilleure idée de la rentabilité (économique et environnementale) de ce type de projets.

Quels sont les problèmes posés par les routes solaires ?

Mais d’ores et déjà, les routes solaires posent de nombreuses questions : d’abord sur la sécurité. Aux Etats-Unis par exemple, les projets de routes solaires sont pour l’heure systématiquement refusés par le DOT, (Department of Transportation), qui gère la sécurité routière, car les matériaux utilisés ne sont pas compatibles avec les règlementations de sécurité routière. Pour être viables, les routes solaires doivent en effet permettre des conditions de circulation très précises : elles doivent résister aux chocs, permettre une certaine adhérence des pneus pour faciliter les freinages, garantir la sécurité des utilisateurs par rapport aux circuits électriques qu’elles contiennent… Or cela est plus complexe avec les matériaux des routes solaires qu’avec l’asphalte classique. La question qui se pose est également celle de la durabilité : quel sera le coût d’entretien de ces routes ? Quelle sera leur durée de vie en conditions réelles, avec des véhicules potentiellement lourds roulant chaque jour sur les panneaux ? Quelle résistance aux intempéries ?

L’autre question soulevée par les routes solaires est celle de leur raccordement au réseau électrique existant. Comme pour l’ensemble des énergies renouvelables, les routes solaires posent le problème de leur intermittence. Si les routes solaires représentent un potentiel de production électrique énorme, elles ne produiront pas de l’électricité en permanence et la production électrique ne pourra pas être adaptée aux besoins. Ainsi, alors que les pics de consommation électrique se situent en soirée et en hiver, c’est également à ces périodes que les routes solaires produiront peu (voire pas du tout) d’électricité. À l’inverse, en pleine journée et en saison chaude, alors que les routes solaires produiront fortement, la consommation électrique sera plus faible. Cela pose donc, comme pour les autres types d’énergies renouvelables, la question du stockage de l’électricité (qui n’a pour l’heure pas été résolu).

De la même façon, la production électrique des routes dépendra de leur exposition au soleil. Or par définition, une route n’a qu’une exposition partielle au soleil :  si un lampadaire projette une ombre sur une partie des cellules d’un panneau de route solaire, c’est la production de toute la ligne de cellules en série qui est réduite. S’en suit donc une production électrique sous optimale. De même, si la route est couverte (par des particules résiduelles et de la saleté liée au trafic, un déchet ou une feuille morte) sa production diminue.

Mais en plus, les routes solaires ont le désavantage d’être une production très peu dense et très décentralisée, ce qui les rend plus complexes à raccorder au reste du réseau électrique.

En fait, la problématique centrale est celle de l’impact environnemental global des routes solaires, en prenant en compte tout leur cycle de vie. Etant donné que les routes solaires nécessitent des matériaux plus complexes (bétons renforcés, résines epoxy et verres spécialement renforcés), des coûts en maintenance plus importants et des infrastructures plus complexes que les panneaux photovoltaïques classiques, il n’est pas évident qu’elles soient vraiment plus « rentables » du point de vue écologique comme du point de vue économique. À l’heure actuelle, on estime que l’électricité produite par une route solaire serait au moins 4 fois plus chère que l’énergie produite par du photovoltaïque classique posé, dont les coûts ne cessent de baisser. Et du point de vue environnemental, les routes solaires sont aujourd’hui bien moins intéressantes que les panneaux photovoltaïques classiques.

En résumé, avant de se lancer dans des projets coûteux et incertains de routes solaires, il semblerait intéressant de s’occuper du marché solaire existant. La majorité des toitures n’est pas encore équipée de panneaux solaires photovoltaïques, et on dispose d’ores et déjà de la maîtrise pour ce type d’équipements.

routes solaires problemes

Rendre les routes solaires fonctionnelles : un long chemin à parcourir

Techniquement, les routes solaires semblent donc avoir beaucoup de chemin à parcourir avant d’être viables et fonctionnelles, tant sur le plan environnemental que sur le plan économique. Il faudra d’abord résoudre les problèmes engendrés par l’intermittence et la question du stockage de l’électricité, dans un réseau où les pertes sont généralement fortes. Il faudra résoudre la question de la durabilité de ces installations et de leurs coûts de maintenance, et il est probable que cela demande à la fois beaucoup de temps, d’investissement et de ressources (énergétique, en matériaux, en technologie). Les routes solaires devront aussi faire face aux mêmes défis que le photovoltaïque en général, à savoir les coûts environnementaux des matières premières nécessaires à leur fonctionnement ou la question de leur fin de vie…

Les investisseurs dans ce type de projets espèrent que des solutions techniques seront rapidement trouvées pour résoudre tous ces problèmes. Mais le fait de compter sur des avancées technologiques pour résoudre ces questions pose à son tour son lot de problèmes : dispersion énergétique, entropie, dépendance technique… Car ces technologies, à leur tour, nécessiteront des ressources supplémentaires, elles consommeront elles-aussi plus d’énergie, baissant du même coup la production marginale d’énergie des routes solaires.

Dans les faits, seuls des tests en conditions réelles permettront de connaître le potentiel de ces routes solaires. Il faudra donc attendre de voir quelles leçons on peut tirer du test français, afin de savoir si oui ou non, les routes solaires s’avèrent viables, tant sur le plan de la sécurité que de l’environnement ou sur le plan financier.