Après avoir été la première ETI à adopter la qualité de société à mission en 2019, la société Léa Nature (alimentation, cosmétique et parapharmacie bio et naturel) l’abandonne pour se focaliser sur son Pacte d’engagement général. Une démarche qu’elle justifie notamment par une nouvelle gouvernance. A terme, celle-ci sera en effet détenue par un fond de dotation d’intérêt général, FICUS. Explications. 

Alors que la qualité de société à mission (SaM) séduit de plus en plus d’ETI, Léa Nature, la première d’entre elles à avoir franchi le pas dès la création de cette nouvelle qualité en 2019 a fait marche arrière. Il suffit pour cela de changer les statuts de la société, ce qu’elle a fait en décembre 2023 selon les documents officiels. Une démarche qu’elle ne présente cependant pas comme un recul sur ses engagements mais comme une simplification nécessaire face à l’évolution de sa gouvernance. Voire un pas vers davantage d’engagement. Qu’en est-il vraiment ? 

Pour expliquer son choix, le dirigeant et fondateur de la société, Charles Kloboukoff explique ainsi que sa société « atypique », n’est plus « soluble » dans la société à mission. Parmi les difficultés citées : « la mauvaise adaptation » de la société à mission à « la structure pluriactivités et aux spécificités d’un fabricant multi sites » mais aussi le fait que la CSRD, le reporting de durabilité européen auquel est soumis l’ETI, « va couvrir beaucoup plus d’indicateurs extra-financiers que la mission ». Deux arguments qui interrogent car les entreprises multi activités à mission sont nombreuses et la mission est souvent considérée comme une aide à la mise en œuvre de la CSRD

Pour aller + loin : Qu’est ce qu’une société à mission ?

Société à mission, pluri-activités, multi-sites et CSRD

« Il est vrai que le fait de trouver une mission commune pour des activités très différentes peut être difficile mais ce n’est pas le cas ici. Et surtout l’intérêt pour un groupe de travailler sur une mission, c’est justement de trouver ce qui fait corps dans l’entreprise, malgré des sites ou des activités différentes. Et le statut est très souple, il est tout à fait possible de préciser des objectifs opérationnels spécifiques pour les différentes filiales par exemple », souligne ainsi Vivien Pertusot, fondateur du cabinet de conseil La Machine à sens qui accompagne les sociétés à mission. 

Quant à la CSRD, elle inquiète il est vrai de nombreuses entreprises qui se demandent comment articuler la mission et ce reporting de durabilité. « Plusieurs entreprises me disent que cela va être ingérable et que s’il faut garder l’un des deux outils, c’est la conformité qui prendra le pas. D’autres ont reporté leur passage à la société à mission pour cette raison », rapporte le consultant. Pourtant, « c’est une incompréhension de ce qu’est la société à mission », assure-t-il. Car « la CSRD n’est pas une preuve d’impact mais de moyens qui s’appuie sur les actions RSE quand la SaM s’intéresse à l’activité et aux résultats produits par les mesures mises en place pour atteindre les objectifs d’impact ». 

En savoir + : les sociétés à mission sont-elles mieux armées face à la CSRD ? 

La fondation actionnaire, l’étage supérieur de la société à mission ? 

« Notre raison d’être n’a pas changé, ni nos engagements RSE »; insiste pourtant Charles Kloboukoff lors d’une conférence de presse. Pour lui, si Léa Nature a souhaité s’alléger de la qualité de société à mission c’est surtout que depuis 2021, la société a un nouvel actionnaire particulier, appelé à devenir majoritaire à terme : le fonds de dotation FICUS. Et depuis 2024 FICUS fondaction est devenu « à la fois le protecteur du capital de la compagnie et le gardien du Pacte d’engagements général ainsi que des valeurs de l’entreprise ». Pour Léa Nature c’est bien de ce fait la politique RSE qui détermine la façon dont l’entreprise agit, via ses activités et ses process.

Ce pacte, adopté cette année, est ainsi composé de 25 engagements  RSE répartis en 5 piliers : gouvernance responsable; proposition de produits de qualité respectueux de la santé de l’Homme; préservation des ressources naturelles; limitation de l’impact environnemental; développement des contributions citoyennes et sociales. Rien de très novateur pour cette société qui a « déjà un niveau d’engagement extrêmement fort » selon Vivien Pertusot.  

C’est donc sur la structure propriétaire qu’il faut s’attarder. A terme, FICUS fondaction détiendra ainsi l’intégralité des actions du fondateur dans la holding CK Invest, soit 68% du capital de Compagnie Léa Nature. Si le fonds de dotation sera l’actionnaire majoritaire, il n’a cependant pas « vocation à intervenir dans la gestion de l’entreprise mais bien sur le maintien de ses valeurs historiques », explique le dossier de presse. 

Le modèle de la fondation actionnaire, possible depuis la loi Pacte, est encore peu utilisé en France. Il est pourtant plus « radical » encore, estime Virginie Seghers, la présidente de Prophil, un cabinet qui travaille à la fois sur les sociétés à mission et les fondations actionnaires via la communauté De Facto, et qui a également accompagné Léa Nature. 

Dans une tribune parue dans Les Echos, celle-ci explique que si la mission engage l’actionnaire légalement, « elle ne le transforme pas, car elle ne touche ni au modèle de propriété, ni profondément à la gouvernance, et ne résout en rien les questions de transmission ». Celui de la fondation actionnaire, si. Pour autant, la spécialiste précise alors que ces deux modèles sont parfaitement compatibles comme le montre l’exemple du groupe Cetih, une ETI spécialisée dans les ouvertures et la rénovation énergétique.  

Illustration : Léa Nature

*la raison d’être de Léa Nature : « Proposer des produits sains, naturels et biologiques respectueux de la santé de l’Homme et de la nature, accessibles au plus grand nombre et favoriser les économies locales, dans le domaine de l’alimentation, de la santé, de l’hygiène beauté et des produits pour la maison ».