Respectez-vous le principe de « Sustainbility Context » ? Sans doute pas. Et voilà pourquoi votre RSE risque d’être déconnectée du réel.
Sur la question du développement durable, les 10 dernières années (et probablement les 10 prochaines également) représentent une véritable révolution pour les entreprises. Désormais, tous les acteurs privés ou presque ont intégré à leur stratégie des mécanismes d’amélioration de leurs impacts écologiques ou sociaux. Mais ces mécanismes sont-ils réellement efficaces ? Comment s’intègrent-ils dans un contexte global de durabilité ? Répondent-ils réellement aux enjeux auxquels fait face notre planète ?
Cette question est au coeur de la majorité des normes et référentiels du développement durable (au premier rang desquels la Global Reporting Initiative) sous le nom de « Sustainability Context », ou Contexte de Durabilité. Et ce concept (ou plus précisément l’absence de ce concept dans les pratiques RSE des entreprises) est probablement la raison pour laquelle la RSE de beaucoup d’entreprises est encore déconnectée du réel. Explications.
Le Sustainability Context, ou Contexte de Durabilité : l’art de comprendre pourquoi on fait de la RSE
Dans la GRI G4, l’un des quatre principes fondamentaux de la pratique du reporting RSE s’appelle le « Sustainability Context ». Ce Contexte de Durabilité stipule de façon extrêmement simple que « Les informations sur la performance (RSE) de l’entreprise doivent être contextualisées ». En effet, la question sous-jacente de toute politique RSE est de savoir comment une entreprise peut participer à la transition vers un monde plus durable, plus écologique, plus juste. Pour répondre à cette question, les indicateurs de performance RSE de l’entreprise ne sont pas suffisants car ils ne permettent pas de savoir comment se situe l’entreprise dans un contexte plus global de développement durable. Ils ne permettent ni de savoir si les pratiques RSE de l’entreprise en question la placent parmi les « best players » ou non, ni de savoir en quoi ces pratiques constituent une avancée (significative ou non) dans l’atteinte de certains objectifs de durabilité, ils ne permettent pas non plus de savoir dans quelle mesure ces pratiques RSE devraient être renforcées pour réussir la transition vers un monde plus durable.
En résumé : ces indicateurs montrent la performance d’une entreprise à un niveau micro mais ne montrent pas comment ce niveau micro s’intègre dans le niveau macro (le degré de durabilité du monde). Or c’est précisément cette articulation entre le niveau micro (la performance de l’entreprise) et le niveau macro (le degré de durabilité de nos sociétés) qui est la raison d’être de la RSE. C’est en connaissant bien le contexte global de durabilité et la façon dont une entreprise peut participer à l’atteindre qu’un responsable RSE peut définir ce qu’il doit faire et comment il doit le faire. De la même façon que c’est en connaissant son contexte de santé global qu’une personne peut adapter son mode de vie ou son alimentation pour l’améliorer.
L’écrasante majorité des entreprises ne contextualise pas sa stratégie RSE
Mais alors, en quoi consiste ce Contexte de Durabilité dans le cadre, par exemple, du reporting GRI G4 ? Voici les quatre grands axes concrets à respecter :
- L’organisation expose sa compréhension du développement durable et fournit des informations objectives et concrètes ainsi que les mesures prises en la matière pour chacun des thèmes traités dans son rapport.
- Elle expose sa performance en la rattachant aux conditions et objectifs généraux du développement durable tels qu’exprimés dans les publications sectorielles, locales, régionales et/ou mondiales officielles.
- L’exposé de sa performance est ainsi fait qu’il permet de rendre compte de l’amplitude de ses impacts et de sa contribution dans des contextes définis.
- Son rapport décrit les liens entre les thèmes relatifs au développement durable et ses stratégies, risques et opportunités à long terme (y compris sur le thème de la chaîne d’approvisionnement).
Or d’après
une récente étude sur le sujet, l’écrasante majorité des entreprise ne respectent pas ce principe et ces 4 axes. En fait, seules 0.3% des entreprises les respectent. Ainsi, sur 40 000 reporting publiés par des milliers d’entreprises depuis le début des années 2000, seules 5% mentionnent (seulement) les limites écologiques de la planète. Pratiquement aucune ne mentionne l’épuisement des stocks de ressources avec lesquelles elles vont devoir composer ou les autres problèmes écologiques liés aux limites planétaires.
Et c’est grave. Car en l’absence de contextualisation, en ne mettant pas en perspective le niveau micro et le niveau macro, une entreprise prend le risque que sa stratégie RSE soit déconnectée du réel. Elle prend le risque de se focaliser sur des indicateurs qui, dans un contexte plus global, ne sont pas les plus pressants ou les plus significatifs. Elle prend le risque de se contenter de résultats insuffisants ou mal orientés. Elle prend le risque, en fait, de perdre de l’énergie et des ressources dans des actions qui globalement participent assez peu à l’atteinte des objectifs de développement durable de la planète. Sur 9000 entreprises analysée dans l’étude, seules 31 (0.3%) prévoient d’aligner leurs indicateurs de performance RSE sur les limites planétaires. Et bien entendu, si les entreprises ne s’alignent pas sur ces limites, nous continueront à les dépasser. Tout en nous félicitant d’avoir réduit nos émissions de CO2 ou notre consommation d’eau… Mais sans pour autant que cela rende nos sociétés soutenables.
En fait, le contexte de durabilité est (avec l’analyse de matérialité) le deuxième outil fondamental qui permet de définir une politique RSE ancrée dans le réel, significative, et efficace. Ne pas le faire, c’est prendre le risque d’une RSE qui passe à côté de ses objectifs.
Le contexte de durabilité, prochaine révolution de la RSE
À un niveau plus général, on pourrait même dire que la prise en compte du contexte de durabilité est la prochaine révolution à laquelle va devoir s’atteler la RSE. C’est peut-être même cette révolution qui fera enfin de la RSE une pratique efficace. Lorsque les entreprises feront leur coming-out sur ce sujet, qu’elles seront enfin capables, publiquement, d’admettre que l’une de leurs ressources stratégiques est en voie d’épuisement, que leurs réductions de CO2 doivent encore être multipliées par 10 ou 20 pour atténuer le réchauffement climatique, que leurs impacts sur la biodiversité devraient être au coeur de leur stratégie business à moyen terme, là seulement la RSE aura acquis le rôle central qu’elle doit avoir pour une entreprise : un rôle fondamental de gestion des risques. C’est une révolution culturelle pour la RSE et pour les entreprises : il s’agit de passer d’une RSE dont l’objectif est d’améliorer les performances de l’entreprise à une RSE dont la logique est de mettre l’entreprise en adéquation avec les limites naturelles.
Le fait de ne pas contextualiser les pratiques RSE donne l’impression que la RSE fonctionne dans le vide. Or la RSE existe pour une raison : si l’on en fait pas, l’entreprise (et plus généralement les sociétés humaines) met sa capacité de survie en danger. La RSE est donc profondément ancrée dans le réel. Les limites planétaires existent, et pour répondre correctement aux enjeux de durabilité du monde, les entreprises doivent connaître ces limites et y faire face. Elles doivent donc contextualiser leur stratégie RSE et ajuster leur action en fonction de ce contexte.
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