Chaque mois, Patrick d’Humières de l’Académie Durable Internationale, propose sur e-RSE.net sa chronique d’analyse de l’actualité RSE et développement durable. Et si le contexte tumultueux de la rentrée était le moment idéal pour lancer enfin l’accélération de la transition écologique tant attendue ? C’est la question de ce mois-ci.
L’accélération de la prise de conscience
Un mot caractérise le contexte de la rentrée, en France et au-delà : l’accélération, des risques et des réactions, dans les deux sens, négative et positive.
Accélération climatique qui fait de cet été celui le plus chaud de l’histoire de France avec 3,2 degrés de plus que la moyenne saisonnière. Tout l’hémisphère nord a été fortement perturbé.
Accélération politique avec le jet d’éponge de Nicolas Hulot, passé du statut de premier écologiste de France à celui de Ministre d’Etat et au aujourd’hui de censeur de l’impuissance collective à agir.
Accélération de la pensée avec les positions convergentes de nombreux intellectuels qui comme Dominique Bourg, qui après nous avoir invité à « penser la catastrophe », nous convie à une « écologie intégrale » et sans compromis.
Accélération des mises en cause par les citoyens qui s’expriment désormais sur le trop de plastique dans la mer, les pratiques agro-alimentaires contestables et l’abus de position des Gafam, grâce au numérique. L’extension de Yuka est un signe de ce pouvoir montant.
Transition écologique : tout s’accélère
Mais accélération aussi de réactions positives : la cotation d’Aramco repoussée révèle la perplexité des grands investisseurs à payer plus de 1000 milliards les réserves d’or noir saoudiennes ; le jugement californien contre Monsanto fait monter fortement le risque judiciaire à l’égard des pratiques toxiques de certaines firmes et la remise en cause américaine des traités commerciaux ouvre la porte à une demande d’ intégration de critères sociaux et environnementaux, exclue jusqu’ici.
Et accélération des régulations : on attend avec impatience la consécration de « la mission de l’entreprise » dans la loi Pacte, devant légitimer tout un pan de l’économie qui s’investit désormais significativement dans « la responsabilité sociétale » de l’entreprise dont le Medef – beau joueur- a reconnu l’inéluctabilité lors de son Université d’été. L’inflexion la plus positive venant quand même d’Outre Atlantique où le magazine de la réussite économique, Fortune, renouvèle son classement des « entreprises qui changent le monde », la plupart américaines certes, pour exprimer cette conviction si rassurante : « how shareholders win when companies change the world ».
Une leçon s’impose dans ce contexte qui tranche avec le politiquement correct de ces dernières années durant lesquelles des pionniers en RSE venaient sauver la mise du système et les discussions scientifico-philosophiques donner du temps à des politiques incrédules ou peureux : nous ne tiendrons pas dix ans sur cette ligne tranquille qui fait que chacun – ménages, villes, pays, entreprises – se mobilisent à leur convenance, prenant leur temps pour bouger, en évitant de remettre en cause les schémas, les pratiques et les profits : que c’est dérangeant de quitter un modèle aussi confortable !
Les trois ruptures durables à accomplir
Nous avons au moins trois « coups de rein » à donner, sinon 3 « ruptures anthropiques » à accomplir, si on veut passer collectivement ce siècle qui va sélectionner les zones et les acteurs qui résisteront à cette nouvelle mutation darwinienne inscrite.
D’abord, alors que l’Europe s’occupe de l’heure d’été, allons-nous réussir à inscrire dans l’agenda européen la promotion indispensable d’un modèle commun d’entreprise, durable et responsable, qui tranche avec la doxa « tout marché » que nous suivons bêtement depuis cinquante ans ? Ensuite, allons-nous décider que ce modèle doit dépasser désormais le pré-requis d’un cadre de compliance, hard et soft, pour respect la lutte pour les droits humains, sociaux, et une éthique des affaires, supra-légale, sans quoi il ne devrait pas y avoir de licence to export ? Sachant qu’il s’agit désormais de s’engager au-delà de ce cadre de conformité – lequel reste à formaliser et judiciariser – dans le nouvel âge de la RSE qui est « la durabilité du modèle ». Ce qui suppose aussi qu’on structure internationalement la mesure de cette durabilité des modèles pour la traduire en indicateurs universels qui permettent aux investisseurs, salariés et consommateurs de choisir l’entreprise qui va dans le sens des « objectifs mondiaux du développement durable » et qui le prouve. Le troisième levier sera de situer cette transformation dans une logique plus contractuelle que normative, en entraînant des coalitions de progrès, mondiales, capables de faire basculer les offres et les retours sur investissement, au travers de trajectoires réalistes et ambitieuses à la fois. La durabilité est plus qu’une vision du monde : c’est une philosophie de l’action pour chacun.
Puissent les dirigeants d’entreprise se saisir de leur part de responsabilité en comprenant ce passage indispensable de la RSE, de plus en plus sociétale, à la durabilité, de plus en plus stratégique. Et entraîner leur gouvernance et leur management pour en faire un volet aussi important que la profitabilité. Alors que de plus en plus d’investisseurs y sont sensibles….
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