Dans un entretien au Journal du Dimanche, le premier Ministre, Michel Barnier, s’attaque à la « surtransposition des normes européennes » quand elles nuisent à la « compétitivité des entreprises ». Il propose même un moratoire sur la CSRD, le reporting de durabilité européen. Mais est-ce faisable et même souhaitable pour les entreprises qui souhaitent se transformer et attirer les flux financiers vers leurs activités plus écologiques et sociales ?

Michel Barnier affirme vouloir « s’attaquer à la surtransposition des règles européennes lorsqu’elle crée pour des agriculteurs, pour des entreprises, un déficit de compétitivité par rapport à nos voisins« , dans un entretien au Journal du dimanche publié le 20 octobre.

Dans son discours de politique générale déjà, le premier Ministre avait fait siennes les interrogations du rapport Draghi sur une possible simplification des normes RSE. Dimanche, dans le JDD, à une question sur le chantier de la simplification, il répond : « Nous devons mieux détecter ensemble les cas de surtransposition des normes européennes qui pénalisent la compétitivité de nos entreprises ». Cette fois, il cite précisément la CSRD.

Un moratoire sur la CSRD ?

Ce reporting de durabilité (CSRD) s’adresse en premier lieu aux grandes entreprises et entreprises cotées pour les contraindre à réfléchir sur l’impact qu’elles font peser sur leur environnement écologique et social et sur la façon dont ce même environnement et ses évolutions font peser sur ces activités. Les entreprises concernées doivent ainsi produire des rapports avec de nombreux indicateurs mais aussi établir des plans de transitions climatiques ou biodiversité. 

Dans le JDD, Michel Barnier précise les modalités qu’il envisage : « J’ai notamment l’idée d’un dispositif – une forme de moratoire par exemple – qui puisse reporter de deux ou trois ans les dates d’entrée en vigueur de réglementations très lourdes, prises parfois sans suffisamment d’évaluations et de mesure d’impact (…) Cela vaut en particulier pour des textes européens comme la directive CSRD dont il convient de réexaminer la portée. », souligne le premier Ministre. Un « moratoire » justifié par « la période actuelle que nous traversons » : « j’ai conscience des efforts que nous demandons à ceux qui travaillent et qui produisent sans que, en plus, on leur impose des normes et des contraintes déraisonnables », précise-t-il.

Quelle faisabilité juridique d’un moratoire sur la CSRD ? 

Au niveau juridique pourtant, la mise en place d’un moratoire interroge car si des marges de manœuvre existent pour les Etats avant de traduire une directive européenne en droit national, la France a déjà transposé la directive. Elle avait même été le premier pays à le faire en décembre 2023. Et sans « surtransposition, dans le sens où elle aurait adopté un texte allant plus vite ou plus loin que le texte européen« , souligne Alexandra Nowak, avocate spécialisée sur la RSE pour le cabinet De Gaulle Fleurance & Associés. Résultat : « à moins que la Commission européenne annonce elle même des changements, la France se trouverait en infraction si elle retardait la mise en œuvre ou changeait les seuils d’application », souligne-t-elle. 

Pour autant, « une simplification ou des assouplissements pourraient viser les textes d’application comme les seuils ou les ESRS », estime de son côté Didier Martin, avocat associé chez Bredin Prat et président d’un groupe de travail du club des juristes sur la responsabilité des dirigeants en matière de durabilité et de vigilance. Cela devrait cependant être à l’initiative de la Commission européenne et prendre du temps…

Un mouvement de remise en question des lois ESG ?

L’annonce s’insère cependant dans un mouvement plus général de remise en question ou du moins de report de l’application des lois sur les questions RSE/ESG. Au niveau européen, « la Commission se montre à l’écoute du mécontentement des entreprises et des lobbies et assez ouverte à des modifications », constate ainsi Alexandra Nowak. En 2023, quelques mois avant la transposition française, la Commission avait ainsi rehaussé le seuil du chiffre d’affaires des grandes entreprises concernées par la CSRD. Et en France, ceux-ci ont eu le relais de de certaines fédérations d’entreprises comme le Medef qui mettent en avant les difficultés des entreprises à s’y conformer et l’impact sur les PME, visées via la chaîne d’approvisionnement des grands donneurs d’ordre…

Plus récemment, c’est le règlement européen sur la déforestation importée (RDUE) qui a été visé par des pressions de lobbies. Les arguments de ces Etats et fédérations ont là encore eu l’écoute de la Commission qui a proposé un report d’un an de sa mise en application. Un délai accepté par le Conseil européen et qui attend la validation du Parlement. La future application de la loi européenne sur le devoir de vigilance, adoptée dans la douleur et qui doit encore être transposée par les Etats membres, pourrait ainsi elle aussi en faire les frais. Pour la transposition en droit français, le président du groupe de travail du club des juristes estime en tous cas qu’une étude d’impact en amont serait « nécessaire ».

Ces entreprises qui s’opposent au report de la CSRD

La possibilité d’un moratoire sur la CSRD ne fait cependant pas l’unanimité chez les entreprises. « Les allers-retours incessants et les retards sur les réglementations européennes, par exemple sur la déforestation, plongent les entreprises dans une incertitude qui rend leur préparation extrêmement complexe » sachant qu’une partie déjà de celles-ci (notamment les grandes entreprises de plus de 500 salariés déjà soumises à la NFRD qui devront reporter sur l’exercice 2024) « se conforment déjà aux exigences de la CSRD ». « Revenir en arrière maintenant serait donc non seulement inutile, mais aussi contre-productif », souligne ainsi Pierre-François Thaler, Cofondateur et co-CEO de la plateforme de notation RSE EcoVadis. Pour ce dernier, une telle décision serait donc « regrettable » alors que « les pratiques RSE renforcent la compétitivité des entreprises ». « Certes, il y a un besoin de simplification, mais cela ne signifie pas moins de réglementation. Ce qu’il faut, c’est une approche cohérente, où l’objectif prime sur la forme du rapport », souligne le dirigeant dans un communiqué.

Même son de cloche du côté du Mouvement Impact France qui voit dans le Green Deal « une véritable opportunité pour les entreprises ». Et « cela vaut également pour la CSRD, un outil essentiel pour structurer cette transformation mais qui gagnerait sans doute à être mieux valorisé », explique sa directrice générale, Caroline Neyron. Pour elle il s’agit même d’aller « plus loin » en faisant « de la performance ESG un atout ». D’où la proposition du mouvement de faire un « CSRD Score, inspiré du Nutri-Score » pour permettre « aux entreprises de valoriser leur impact auprès de leurs parties prenantes, rentre la transition visible et créatrice de valeur pour tous. »

Pour en savoir + : notre dossier CSRD

Ajout le 22 octobre de la réaction de Didier Martin