Et si nous pensions sérieusement à des villes sans voiture ? Ou plutôt à des villes où la voiture devient l’exception plutôt que la règle ?
Nos grandes villes sont aujourd’hui structurées par la voiture. Elles sont traversées par des routes où des milliers de voitures passent tous les jours. Elles sont ponctuées de places de stationnement, de parking. Les villes luttent chaque jour contre les embouteillages et la pollution atmosphérique. Les usagers se plaignent du manque de place de stationnement, de leur prix. Les collectivités bloquent sur le casse tête du stationnement. Les urbains s’éloignent de plus en plus des centres pour éviter les bruits et nuisances causées par les voitures, créant dans le même temps le besoin de plus de voitures.
Et il semble presque impossible aujourd’hui d’imaginer une ville sans voiture, le moyen de transport roi en France. Évoquer une ville sans voiture, une vie sans voiture, c’est être un utopiste, ou pire un illuminé. C’est refuser la mobilité et l’indépendance, c’est refuser la société moderne. Vraiment ? Est-il vraiment impossible d’imaginer des villes sans voitures ?
Des villes sans voiture : une tendance qui s’amorce ?
Après avoir augmenté de 7 à 20% par décennie depuis les années 1960, la courbe s’inverse : l’utilisation de la voiture se stabilise voire baisse dans les grandes villes. A Paris elle recule de façon significative. Entre 2000 et 2010, le trafic automobile a baissé de 23% à Paris. 65% des voitures des parisiens dorment au garage toute la semaine et ne sont utilisées que très ponctuellement.
Bien sûr, c’est une situation qui fait contraste avec celle de l’ensemble du pays, qui compte 35 millions de véhicules privés. En France, 36% des ménages ont au moins 2 voitures, et 8 ménages sur 10 en ont au moins une. Dans les campagnes, il est impensable de se passer de voiture, puisqu’elle constitue pratiquement le seul mode de transport possible. La voiture reste donc le premier mode de déplacement, mais la tendance est claire : la voiture perd son aura.
19% des ménages aujourd’hui n’ont pas de voiture. Les plus jeunes, et les plus diplômés utilisent de moins en moins la voiture. Sachant que 60% de la population française vit dans les pôles urbains, ce chiffre pourrait bien augmenter, puisque c’est dans les villes que l’utilisation de la voiture baisse. 22% des trajets en Île de France sont désormais réalisés à pied, et l’utilisation des deux roues motorisés a connu une augmentation de 34%. A Marseille, l’utilisation de la voiture a baissé de 9% ces dix dernières années.
Des villes sans voitures : c’est possible !
Malgré cette tendance, pour beaucoup, des villes sans voitures (ou presque) représentent encore une idée complètement utopique. En effet, comment les salariés iront-ils au travail ? Comment être libre de se déplacer si on ne dispose pas d’un véhicule individuel ? Des questions fondamentales évidemment, mais sont elles vraiment pertinentes ?
D’après la grande étude sur la mobilité menée par le Ministère du Développement Durable, il y a en France 14.6 millions d’actifs disposant d’un lieu de travail fixe et régulier qui utilisent leur voiture pour se rendre au travail. Sur ces 14.6 millions, 6.3 millions pourraient ne pas l’utiliser et choisir un autre mode de transport. S’ils ne le font pas, c’est surtout pour des raisons de confort (40% estiment qu’il est plus rapide de prendre sa voiture). Par ailleurs, le taux de remplissage de leur voiture est en moyenne de 1.1 personne par véhicule. Il pourrait donc y avoir 3 à 4 fois moins de voitures circulant sur les routes si les véhicules étaient remplis de façon plus efficiente, via le covoiturage par exemple.
D’autre part, dans des villes bien desservies, comme en proche banlieue parisienne, 1 résident sur 3 environ ne possède même pas de voiture.
Concrètement, cela signifie qu’avec de meilleures politiques de transports en commun, le développement des lignes de bus, l’augmentation des fréquences de transport en commun et l’amélioration de la desserte des espaces urbains, il serait possible de réduire encore très largement la nécessité d’utiliser la voiture. Ce que ces chiffres montrent, c’est que limiter la voiture n’est pas une problématique insurmontable.
Des villes sans voitures : pourquoi ça bloque ? pourquoi ça ne devrait pas bloquer ?
Ce qui bloque, c’est la capacité à investir et à repenser l’aménagement urbain. Les investissements dans les transports ferroviaires augmentent de 12 à 15% par an en France, et de 4% par an pour les transports en commun dans une région comme l’Île de France. Mais ce n’est pas suffisant pour donner un accès viable aux usagers.
Est-ce que nous manquons de moyens ? C’est peu probable. C’est surtout une question d’allocation des ressources. En effet, la société dépense des sommes folles pour créer des villes adaptées aux voitures, et cela se fait bien souvent au détriment de l’investissement dans les transports en commun. Chaque année, les pouvoirs publics dépensent 50 milliards d’euros pour construire, gérer et entretenir les places de stationnement, notamment dans les villes. Chaque année, les pouvoirs publics dépensent 101 milliards d’euros pour gérer les effets de la pollution de l’air qui est largement due …. aux véhicules circulant dans les villes. Il faudrait ajouter à ces dépenses celles qui sont faites par les collectivités pour nettoyer et entretenir des rues abîmées par le passage de centaines de milliers de véhicules quotidiennement, et les centaines de milliers d’heures de travail perdues dans les embouteillages urbains, ou encore les 57 milliards du coût du bruit qui sont en bonne partie liée aux voitures.
Bref, la voiture coûte très cher à la collectivité et cela se chiffre en centaines de milliards d’euros chaque année. Si ces dépenses étaient utilisées à l’aménagement de l’espace urbain de façon à favoriser l’utilisation des transports en commun et des mobilités alternatives et moins invasives (covoiturage, vélo, deux-roues motorisés), les collectivités feraient probablement un large bénéfice net à long terme. Quand on sait que les investissements annuels de la RATP et du STIF ne dépassent pas 2.4 milliards d’euros chaque année, on constate qu’il y a une marge théorique énorme pour investir.
Même pour les citoyens, l’opération serait rentable. La possession, l’entretien et l’assurance d’une voiture annuellement coûte 3300 euros en moyenne aux Français. Un abonnement en transport en commun coûte 70 euros par mois à Paris, et encore moins en province. Et même si l’on compte uniquement l’essence, le bénéfice existe. Sachant qu’un Français habite en moyenne à 25 km de son travail, cela représente une dépense de près de 2 euros par jour en essence aux prix actuels et pour une voiture très économe. Soit, là encore, plus que le prix d’un abonnement aux transports en commun.
Des villes sans voiture : c’est surtout urgent
Mais le débat sur la présence des voitures en ville va très largement au delà de ces problématiques. Ce n’est plus seulement un problème de mobilité individuelle, c’est une question sociale et environnementale majeure. La pollution atmosphérique induite par les transports est devenu l’un des fléaux sanitaires les plus importants de notre temps. Elle serait la première cause de la prévalence des AVC dans le monde. Elle tue chaque année 5.5 millions de personnes.
Les émissions de CO2 des voitures font partie des problématiques les plus importantes écologiquement parlant, sachant que le transport représente 25% des émissions mondiales. Dans le cadre de la transition énergétique, il est plus que fondamental pour les pouvoirs publics de tout faire pour promouvoir une diminution nette de la consommation de pétrole. En effet, si l’on parle toujours d’électricité et d’énergies renouvelables quand on parle de transition énergétique, il faut garder à l’esprit que l’électrique ne représente que 25% de l’énergie finale consommée en France. Le pétrole, c’est 41%. Réfléchir à une transition énergétique sans penser à réduire nos consommations d’énergies fossiles dans les transports paraît complètement irréaliste.
Les voitures, ce sont aussi des conflits d’utilisation dans l’espace urbain. A l’heure où les urbains réclament plus de parcs, plus de terrasses, plus d’espaces publics de loisirs, les villes ne peuvent plus se permettre de perdre chaque jour plus d’espace en places de parking inutiles où dorment des voitures ventouses. A Paris, l’ensemble des places de parking occupent 8 km², soit plus que le plus grand arrondissement de la ville, le 16ème. 37% des places de parking sont directement sur la voirie ou dans des espaces publics, où elles empêchent les vélos de circuler correctement, mais aussi les bus. Se rendre au travail en voiture utilise 28 fois plus d’espace qu’à vélo ou 10 000 fois plus qu’en bus. Autant d’espace qui aurait pu être utilisé à améliorer le confort urbain.
Au final, l’idée de villes sans voitures (ou du moins avec une baisse drastique de l’utilisation de la voiture) pourrait faire son chemin. Cela nécessite de repenser intégralement l’aménagement urbain et les transports en commun (voir notre article : Pourquoi il faut repenser la ville pour faire la transition écologique ?), de penser les nouveaux usages de la mobilité comme le covoiturage ou les voitures autonomes. Des villes avec moins de voiture, cela implique une vraie politique d’accessibilité, de nouvelles stratégies de travail comme le télétravail.
Mais en fin de compte, est-ce que la ville ne se porterait pas mieux ?