Dans le cadre de la transition énergétique, est-il vraiment possible de passer au tout renouvelable et au tout électrique en même temps ? On vous explique.
Depuis quelques semaines, le programme de Transition Énergétique voté en 2015 a du plomb dans l’aile. En effet, Nicolas Hulot a annoncé en novembre 2017 que contrairement aux engagements pris par le précédent gouvernement, il retarderait la diminution de la part du nucléaire dans le mix énergétique à 2030 ou 2035 (au lieu de 2025 comme initialement prévu). Pourquoi ? Tout simplement après la prise de conscience qu’il était difficile de réduire la part du nucléaire tout en luttant en même temps contre le réchauffement climatique.
Au delà de la polémique, cet évènement montre une chose : la transition énergétique n’est pas aussi simple que l’on pourrait le croire. Il ne s’agit pas simplement de faire plus d’éoliennes et de panneaux solaires et d’arrêter le reste. Un certain nombre de questions se posent en termes de faisabilité technique et économiques. Parmi ces questions il y a celle de l’adéquation entre la production électrique renouvelable et nos besoins. Autrement dit : quelle quantité d’électricité peut-on vraiment produire avec un mix énergétique centré sur le renouvelable ? Et cette production sera-t-elle suffisante pour assurer tous nos besoins électriques, et en particulier dans un contexte de transition vers de plus en plus d’usages électriques ?
Tentons de répondre à la question.
L’écologie c’est la multiplication des usages électriques
Dans le cadre de la transition énergétique, l’une des manières de réduire notre impact environnemental et nos émissions de CO2 est d’utiliser le moins possible les énergies polluantes et d’utiliser de l’électricité à la place. Concrètement, cela veut dire que pour les usages qui aujourd’hui nécessitent du pétrole, du charbon ou du gaz, il va falloir à terme trouver une solution qui utilise l’électricité. Par exemple on peut remplacer le fioul de nos chaudières et le pétrole de nos voitures par de l’électricité. C’est ce que prévoit la loi de Transition Énergétique, par exemple à travers le Crédit d’Impôt pour la Transition Énergétique dont l’un des volets vise à soutenir le remplacement des chaudières au fioul, notamment par des chaudières électriques. C’est aussi ce que prévoit le gouvernement lorsqu’il annonce qu’il veut convertir massivement le parc automobile à l’électrique. Il s’agit de remplacer l’usage du pétrole (par les moteurs combustibles) par l’usage électrique (grâce aux moteurs électriques). Sinon, la transition énergétique n’aurait pas de sens : on produirait certes notre électricité à partir de renouvelables, mais en continuant à utiliser des énergies polluantes pour nous déplacer ou nous chauffer…
Le problème, c’est que convertir toute cette énergie fossile en électricité va nous obliger à produire plus d’électricité (pour compenser). En effet, si demain, nous devons nous chauffer ou recharger les batteries de nos voitures avec de l’électricité (en plus de tous nos usages électriques actuels), alors toutes choses égales par ailleurs notre consommation d’électricité va forcément augmenter. Et pour compenser il faudra donc produire plus.
La question qui se pose est donc simple est-il possible de couvrir ces nouveaux besoin en utilisant uniquement de l’électricité d’origine renouvelable (ou du moins une part importante d’énergie renouvelable) ? Faisons le point.
Le problème de l’adéquation entre consommation et production électrique (renouvelable)
Aujourd’hui en France, les énergies renouvelables (solaire, éolien et hydroélectricité) permettent d’assurer (selon RTE) la production d’environ 92 tWh d’électricité sur les 480 tWh consommés en France. C’est à dire environ 19% de l’électricité consommée. Avec la transition énergétique en cours, l’objectif est de passer à 32% d’ici 2030. Et à plus long termes, il faudra bien envisager de faire du 100% renouvelable, puisque pétrole, gaz et uranium sont des ressources non renouvelables.
Seulement, si en même temps nous augmentons nos besoins électriques cela risque de poser problème. Par exemple, si nous passons massivement aux véhicules électriques (comme cela est prévu dans le plan de transition énergétique officiel avec 5-6 millions de véhicules en 2030), nos besoins en énergie électrique risquent d’augmenter sensiblement. Pour 5 millions de véhicules électriques, certains experts évaluent les besoins en énergie à environ 12 tWh supplémentaires, soit une augmentation de 2-3% de notre consommation électrique. Selon ERDF, les chiffres sont un peu plus élevés 1% de hausse de la consommation d’électricité pour chaque million de voitures électriques supplémentaire. Mais si à terme, quand il n’y aura plus de pétrole, tous nos véhicules doivent être électriques (soit 38.5 millions de voitures aujourd’hui), cela pourrait potentiellement augmenter nos besoins en électricité de 100 tWh ou plus. Soit pratiquement autant que toute la production d’énergie renouvelable actuelle en France. À ces besoins, il faudra ajouter ceux des nouveaux usages : le transfert de certains usages du chauffage vers l’électrique, l’internet des objets, le big data, l’usage de plus en plus important d’internet, etc…
Cela veut donc dire qu’à terme, si l’on veut passer à un mix énergétique centré sur les énergies renouvelables (donc en fermant nos moyens de productions électrique non renouvelables actuels) il faudra construire énormément d’installations d’énergies renouvelables. Si l’on veut couvrir nos besoins actuels en électricité, plus les futurs usages (voiture électrique, chauffage électrique, nouvelles technologies) il faudra probablement multiplier par 8 ou 10 la production d’énergies renouvelables actuelle. Ce qui pourrait bien être compliqué, en termes d’infrastructures, de ressources mais aussi d’investissement. Par exemple, il est aujourd’hui très difficile de construire de nouveaux barrages en France (alors qu’ils sont pourtant notre première source d’électricité renouvelable aujourd’hui), pour des questions de contraintes géographiques notamment.
Augmenter nos usages électriques… tout en les réduisant : le défi de la transition énergétique
Mais en réalité, le problème de la transition énergétique ne se pose pas exactement dans ces termes. Car si nos besoins électriques vont certes augmenter d’un côté (avec la voiture électrique et les autres usages) il est aussi prévu que l’on réduise ces besoins d’un autre côté. Par exemple en réduisant les gaspillages, en isolant mieux nos logements ou en améliorant l’efficacité énergétique, ou en convertissant certain usages à des formes renouvelables de gaz comme le biogaz.
La plupart des scénarios prospectifs sur la production et la consommation électrique en France estiment qu’il est possible de réduire ou du moins de maîtriser la consommation électrique française. Selon le scénario negaWatt (qui est très ambitieux), on peut estimer qu’il est en théorie possible, par exemple, de réduire de façon importante la consommation électrique du secteur résidentiel. Comment ? En réduisant ou en maîtrisant la surface des logements, en améliorant l’isolation, passant à une sobriété des usages. Même chose pour la voiture : on réduit les déplacements, on se déplace autrement. En fait, dans ce scénario prévisionnel, la population se déplace beaucoup moins, et surtout beaucoup moins en voiture individuelle, ce qui permet de réduire les besoins d’énergie (d’électricité) liés à la mobilité. Bien sûr, ces scénarios partent d’hypothèses très volontaristes de sobriété et d’efficacité énergétique. Les conclusions des rapports prévisionnels de RTE, jugées plus réalistes, montrent de leur côté que même en mettant en oeuvre des politiques relativement volontaristes de sobriété et d’efficacité énergétique, le fait de convertir une bonne partie de notre réseau de transport à l’électrique (jusqu’à 15.6 millions de véhicules dans le scénario le plus ambitieux) rendra très difficile le fait d’envisager de réduire beaucoup notre consommation électrique.
Au final, le fait de vouloir en même temps passer aux énergies renouvelables et en même temps convertir nos usages à l’électrique nous place face à un choix : soit nous réduisons volontairement nos besoins en énergie (de l’ordre de 50%), en changeant de façon importante notre mode de vie (réduction des déplacements, réduction de la consommation, réduction de la surface des logements) soit nous aurons des difficultés à produire l’électricité dont nous aurons besoin uniquement avec du renouvelable. En résumé : si nous voulons une électricité renouvelable, il va falloir faire des sacrifices sur nos modes de vie et de consommation actuels. Et si nous voulons garder notre mode de vie actuel (surconsommation, surmobilité individuelle, gaspillages énergétiques) alors il sera difficile de se passer de le faire avec une électricité 100% renouvelable.
Et la question du stockage de l’électricité ?
Le second problème lié à la transition électrique et renouvelable, c’est un problème de stockage. La particularité des énergies renouvelables est qu’elles sont des énergies intermittentes : elles ne produisent pas en permanence mais uniquement lorsque les conditions sont réunies (quand il y a du vent ou du soleil dans le cas de l’éolien et du solaire). Il est donc primordial d’être capable de stocker l’électricité pour en disposer même lorsque les énergies renouvelables ne produiront pas « en direct » suffisamment d’énergie pour assurer nos besoins.
Or si nous augmentons nos usages de l’électricité, nous aurons besoin d’électricité de façon importante à certains moments précis, moments où il n’est pas certain que les énergies renouvelable puissent assurer la demande en temps réel. Par exemple, à 19 h, lorsque chaque ménage rentrera du travail, allumera son chauffage électrique, sa télévision, sa cuisinière et mettra à charger sa voiture électrique, il faudra une quantité énorme d’énergie en même temps. Or à cette heure là, il y a peu de soleil, et pas forcément assez de vent pour produire cette énergie en temps réel. Dans les conditions actuelles, alors que nous bénéficions de centrales nucléaires capables de produire beaucoup à n’importe quel moment, nous avons d’ores et déjà du mal à couvrir nos besoins lors des pics de consommation (comme en hiver). C’est donc un vrai problème à prendre en compte.
Pour pallier à ce problème, il faudra donc être capable de stocker l’électricité de façon conséquence et relativement durable. Et le problème est bien là : on ne sait pas très bien aujourd’hui comment stocker l’électricité de façon pérenne et efficiente. Il existe bien sûr des solutions. La plus évidente, c’est les batteries. Certaines grandes entreprises prévoient déjà de proposer des batteries à domicile ou des centres de stockage constitués de batteries géantes (une est d’ailleurs en construction actuellement en Australie sous la houlette de Tesla). Mais les batteries ne sont pas des technologies durables : l’impact environnemental des batteries est fort. Et surtout, les réserves de lithium (matériau actuellement le plus performant utilisé dans les batteries) ne sont pas illimitées. On pourrait utiliser également des systèmes de stockage comme les STEPs (des barrages conçus pour stocker l’électricité via un système de pompage), mais cela posera aussi plusieurs problématiques écologiques et sociales.
En fait, vouloir convertir la majorité de nos usages à l’électrique et en même temps passer rapidement à beaucoup plus de renouvelable va probablement demander des efforts très importants à la société française. D’abord, il faut garder à l’esprit que cela ne pourra très probablement pas se faire dans les conditions de surconsommation et de croissance économiques actuelles : la transition énergétique passera forcément par une forme sobriété (voire de décroissance), notamment sur les usages technologiques et électriques. Ensuite, il faudra investir massivement dans des infrastructures de production, qui ne sont pas forcément 100% écologiques, ainsi que dans des infrastructures de stockage. Sans parler du réseau, qui devra supporter des variations importantes de flux de production et de consommation.
Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire (au contraire, la transition vers l’électrique renouvelable est absolument nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique), mais simplement qu’il faut garder en tête ces difficultés. Surtout, il ne faut pas s’imaginer qu’une transition énergétique cumulant le rôle central de l’électrique et du renouvelable puisse se faire sans efforts, sans changer notre mode de vie, et sans faire un certain nombre de révolutions dans notre conception de la consommation, de la mobilité, ou du logement.