Conjuguer croissance économique avec les préoccupations sociales et environnementales, tel est défi du continent africain pour les années à venir. Quelques pistes pour saisir la complexité et les enjeux du phénomène…
Alors que l’on traite régulièrement de la politique écologique française ou de nos voisins européens, penchons-nous aujourd’hui sur ce géant aux multiples richesses.
Avec une démographie galopante dont le nombre d’habitants pourrait doubler d’ici 2050, atteignant 2,4 milliards de personnes selon les projections de l’ONU, l’Afrique concentre également d’immenses richesses dans son sous-sol.
Son entrée dans le marché mondial n’est pas sans conséquences sociales et environnementales. Tandis que 40% des habitants vivent sous le seuil de l’extrême pauvreté, chiffre qui pourrait atteindre 90% en 2030 selon la banque mondiale, et que près de 4 millions d’hectares de forêts disparaissent chaque année à cause de la déforestation, la croissance économique se poursuit. Comment expliquer un tel paradoxe ?
L’Afrique, un continent riche en ressources naturelles qui assurent la croissance du continent
Trop souvent reléguée au rang de “sous-continent”, elle dispose néanmoins de ressources naturelles immenses. En effet, l’Afrique concentre un tiers des réserves minérales mondiales, et regorge de sources énergétiques variées, avec des gisements de pétrole notamment dans le Golfe de Guinée, de gaz en Afrique du Nord ou encore d’uranium. Ces ressources naturelles constituent par ailleurs le socle de l’économie africaine : plus de la moitié des exportations de nombreux pays en Afrique subsaharienne proviennent des ressources naturelles, chiffre qui augmente dans le cas des pays les plus dépendants au pétrole.
Ces exportations ont des conséquences positives sur la croissance. Au cours des deux dernières décennies, l’Afrique a connu une croissance économique soutenue, dont le taux de croissance annuelle de certains pays dépasse parfois les 5%.
Mais ces progrès sur le plan économique ont-ils permis des avancées sur le plan social et environnemental ? Pas si sûr à en observer la conjoncture actuelle… Le chômage de masse côtoie toujours la pauvreté et le sous-développement, et l’extraction des ressources pose de réels problèmes en matière de préservation de la biodiversité.
L’Afrique face aux enjeux sociaux et environnementaux
Comme dans d’autres régions du globe, le réchauffement climatique a des conséquences visibles sur la biodiversité africaine, comme l’a exposé le Dr Cheikh Tidiane Gadio, vice-président de l’Assemblée nationale du Sénégal, ancien ministre des Affaires étrangères, président de l’Institut panafricain de stratégies, dans une interview du 20 février 2020 pour La Dépêche : « en dépit d’une réelle prise de conscience des différents acteurs en Afrique, les défis anciens et nouveaux restent immenses comme l’érosion côtière sur toute la côte ouest africaine, le recul et le dépérissement tragiques des forêts et une redoutable avancée du désert. À ce tableau sombre, il faudra ajouter la disparition presque programmée et inéluctable des grands fauves et de la biodiversité. »
En dépit de certaines pratiques traditionnelles comme la déforestation pour le bois de chauffe, ces menaces pour la biodiversité s’expliquent en grande partie par l’entrée de l’Afrique dans le marché mondial. L’extraction des richesses du sous-sol africain ont favorisé cette dynamique, en plus de certaines pratiques comme le braconnage ou le safari pour les touristes, ou encore de l’agriculture intensive. Par ailleurs, on assiste dans plusieurs pays africains au phénomène de land grabbing qui consiste à vendre aux puissances internationales d’immenses parcelles de terres agricoles. La croissance non maîtrisée du continent n’est pas sans causer de problèmes au niveau social et environnemental.
Sur le plan social, on peut citer pour exemple l’impact des Investissements Directs Étrangers (IDE). Multipliés par sept entre 2000 et 2012 en passant de 34 milliards de dollars à 246 milliards et essentiellement concentrés dans les pays riches en ressources naturelles, notamment l’Afrique du Sud avec ses métaux précieux, ou le Nigéria avec ses réserves pétrolières, ces investissements peuvent creuser les inégalités. En effet, ils se concentrent sur les projets à forte rentabilité financière et peu créateurs d’emplois. Dans cette étude de la Banque Africaine de Développement (BAD), on constate que la faible diversification sectorielle des IDE entrants, ciblant essentiellement les services et le tourisme, tend à creuser les inégalités de revenus.
Aujourd’hui, il faut bien noter que 40% de la population d’Afrique subsaharienne vit en-dessous du seuil de pauvreté, soit avec moins de 2 dollars par jour. De plus, en vendant ses terres, l’Afrique adopte une stratégie de croissance sur le court terme, peu profitable à la population qui subit les crises alimentaires de plein fouet étant donné que les productions agricoles sont essentiellement destinées à l’exportation, non pour nourrir les Africains.
Sur le plan environnemental, l’exode rural et l’extension anarchique des villes conduisent à une gestion catastrophique des déchets et des eaux usées. L’exploitation massive des ressources mène à des fléaux tels que la surpêche ou de trop fréquentes marées noires, comme celle de juillet 2019 en Afrique du Sud où plus de 400 litres de pétrole se sont déversés par un navire libérien dans la baie d’Algoa où réside la plus grande colonie reproductrice des manchots du Cap, une espèce menacée.
La “malédiction des ressources” en Afrique : pourquoi les ressources ne profitent-elles pas à leur peuple ?
On constate qu’en dépit de richesses naturelles immenses, le niveau de vie des Africains stagne anormalement bas. Certains experts vont jusqu’à parler de la “malédiction des ressources”, et leur propos peut être résumé en trois points majeurs.
Tout d’abord, le continent est en proie à des mécanismes de corruption dont il ne parvient pas à se défaire. En effet, l’argent provenant de la rente liée à l’exploitation des matières premières est redistribué à une base clientéliste et la classe politique. Selon Transparency International, il s’agit de la région du monde où la corruption est la plus forte. Une corruption qui va souvent de pair avec les régimes autoritaires, c’est-à-dire qui gangrène dans les pays où les bases démocratiques sont très fragiles.
Ensuite, il convient de mettre en lumière le mécanisme de co-dépendance à l’oeuvre. D’un côté, on a une Afrique dépendante de ses ressources, qui les exporte brutes aux pays occidentaux, dans le cadre d’une économie peu diversifiée et industrialisée. Elle est tributaire des rentes et sujette à la volatilité des prix des matières premières, puisque leur prix se négocie sur les marchés financiers et est donc en proie à la spéculation. Prenons pour exemple le Nigéria dont le pétrole représente 90% des exportations du pays qui doit vivre au rythme du prix du baril, et plonge dans la récession comme en 2014 lorsque les cours chutent. Par ailleurs, il faut savoir que l’exploitation des hydrocarbures ne représente que 10 % de la richesse nationale et quelques dizaines de milliers d’emplois. Or, le Nigéria est le pays le plus peuplé d’Afrique avec une population avoisinant les 200 millions d’habitants.
De l’autre côté, les puissances occidentales dépendent des ressources africaines, ce qui attise les tensions entre grandes puissances. Les acteurs sont multiformes : des gouvernements, des entreprises privées ou publiques, des fonds d’investissements ou encore des organismes financiers multilatéraux, etc. Certains pays comme la Chine cherchent à asseoir leur souveraineté dans les régions stratégiques ayant d’importantes ressources dites critiques. On peut citer le cobalt, utilisé dans la fabrication de nos appareils téléphoniques et informatiques, et dont la République Démocratique du Congo (RDC) fournit à elle seule plus de la moitié des besoins mondiaux. La dimension symbolique est également importante, puisque la Chine, en parvenant à s’ancrer pour mieux concurrencer, réussit à peser davantage sur la scène internationale. A la stratégie ouvertement interventionniste chinoise ou indienne, les pays occidentaux vont préférer l’arme du commerce international et des IDE.
Dans ce contexte, comment imaginer les conditions d’un développement endogène, respectueux de la planète et des Hommes ?
Penser l’Afrique verte, solidaire et prospère de demain
Encore peu développée, l’Afrique a un vaste champ des possibles qui s’offre devant elle. A l’inverse des pays industrialisés qui doivent complètement modifier leur modèle déjà bien ancré, elle a l’opportunité de pouvoir s’orienter dès le départ vers une croissance verte et durable.
En résonance avec ces préoccupations sociales et environnementales, quels sont les principaux défis pour l’Afrique ? Quelques pistes de réflexion sur l’avenir de ce continent, et les possibilités d’une croissance économique prenant en compte la Nature et les Hommes.
La lutte contre la corruption semble bien sûr indispensable. En finir avec les transferts d’argent à l’étranger pour une meilleure répartition de la rente au sein de la population. Cela permettrait d’aboutir à des avancées sociales concrètes en matière d’accès à l’eau potable, aux soins ou encore à l’éducation, ce qui, dans ce cas précis, permettrait d’aboutir à un taux de scolarisation plus élevé, et par conséquent à une population formée aux enjeux de son temps, capable de travailler dans des secteurs variés. Aujourd’hui, cet argent est utilisé pour importer des biens et services ayant peu d’effet d’entraînement sur les activités productrices et peu profitables à la population.
C’est également en diversifiant son économie, notamment à travers un processus d’industrialisation et de modernisation de sa production agricole, que l’Afrique pourrait parvenir à sortir de ce système de dépendance vis-à-vis de ses clients, et à assurer une croissance pérenne. Les matières premières transformées en biens de consommation acquièrent une valeur stratégique considérable. Dans cette perspective, on peut citer le Ghana, la Côte d’Ivoire ou la Tanzanie qui ont mis en place des plans de développement nationaux promouvant les filières industrielle et agricole. Encore faut-il que cette industrialisation ne se fasse pas au détriment de l’environnement, ce qui nécessitera des moyens financiers et politiques importants pour aboutir à cette industrialisation verte et se détourner des énergies fossiles.
Le troisième chantier pour l’Afrique consistera certainement à former une union solide pour plusieurs raisons. Cela permettrait de limiter les conflits inter étatiques et intra étatiques, nuisibles au commerce intra africain. Une stratégie basée sur l’alliance plutôt que la concurrence serait certainement une manière de permettre au continent de peser davantage sur la scène internationale.
Il s’agirait par exemple de renforcer l’Union africaine, qui pourrait par ailleurs mettre en place un fonds en faveur de la transition écologique et sociale afin de doter les pays les plus pauvres en moyens financiers leur permettant d’accomplir une croissance verte et durable. Une alliance plus forte serait également bénéfique pour barrer la route aux puissances venant spolier les ressources, par exemple en appliquant de manière uniforme une jurisprudence internationale, élaborée et approuvée par l’ensemble des pays africains aux puissances internationales. Il faudrait toutefois apaiser les tensions existantes et une classe politique transparente souhaitant oeuvrer en faveur du bien commun.
Prendre les bonnes décisions aujourd’hui pour l’Afrique verte de demain
L’avenir écologique et social de l’Afrique se construira sur les décisions prises aujourd’hui. Compte tenu de la demande croissante de ressources naturelles, de l’augmentation du nombre d’habitants, de l’expansion des flux financiers et des investissements dans le continent ou encore de l’urbanisation, le potentiel de l’Afrique à se développer durablement est un véritable enjeu.
Le continent doit se donner les moyens – via une meilleure répartition de la rente, une diversification de son économie, une coopération intra africaine, entre autres – de maîtriser sa trajectoire économique et d’assurer une stabilité politique.
Le développement de l’Afrique sera nécessairement confronté, tôt ou tard à la question de sa compatibilité avec la préservation de la Nature et des Hommes. Le continent, encore aux prémisses de son développement, aura là l’occasion de devenir le laboratoire d’un modèle différent, d’une croissance différente, prenant davantage en compte les préoccupations sociales et environnementales que nous connaissons aujourd’hui.
L’urgence est là, et c’est aujourd’hui que les décisions majeures doivent être prises. Comme l’a souligné Donald Kaberuka, ancien président de la Banque Africaine pour le Développement (BAD), « l’Afrique peut décider d’adopter une approche plus durable de développement pour générer des avantages en termes de sécurité de l’environnement, de bien-être humain et de compétitivité. Les décisions prises aujourd’hui en matière d’infrastructures, de l’énergie et de la production alimentaire auront un impact réel sur les opportunités et les choix qui s’offriront à nous dans un avenir lointain ».