Dans une récente publication, l’Agence Européenne pour l’Environnement appelle à repenser notre rapport à la Nature. Une étape indispensable d’après elle pour que l’Humanité arrête de détruire l’environnement.
Quel récit doit être porté dans notre société, dans nos institutions et dans notre quotidien pour que la lutte contre la destruction de l’environnement soit vraiment efficace ? L’incapacité de la société à engager une réelle transition écologique questionne sur l’efficacité des politiques publics, et surtout l’engagement des citoyens dans cette transition. Alors comment créer cet élan écologique ? Changer nos mentalités, notre vision du monde, notre rapport à la Nature, même si l’idée de transformer notre imaginaire peut sembler être une idée farfelue, il n’en reste pas moins que l’imaginaire façonne un idéal de société, et peut permettre cette transformation tant attendue de la société.
L’Agence Européenne pour l’Environnement (AEE) l’explore cette transformation au travers d’un corpus de textes sur le monde de demain « Narratives for change », de nouveaux récits pour la transition écologique. Dans une publication sortie en mars 2023 sur la relation que nous portons à la Nature, l’AEE cherche à poser les bases de cette société et pose une question fondamentale : « N’est-il pas temps de sortir de l’Anthropocène ? ».
Approfondir : Qu’est-ce que l’anthropocène ? Définition, étymologie, date et exemples
Quelle est l’origine de la crise environnementale ?
Comme toute histoire, on a essayé de donner une origine au changement climatique, à la destruction de l’environnement, au déclin de la biodiversité, à l’assèchement des sols… Mais alors, quelles sont les raisons de la crise climatique ? Quand est-ce que cela a commencé ? Qui en est responsable ? Et pour quelle(s) raison(s) ?
Philosophes, penseurs, scientifiques, militants écologistes se sont attelés à trouver un narratif à cette nouvelle ère géologique où l’Homme est devenu un facteur capable de modifier la Terre dans son ensemble, au même titre que le soleil ou la tectonique des plaques.
Alors, les néologismes se sont multipliés. Certains ont parlé de « capitalocène », donc que le capitalisme est responsable de l’état de la planète. D’autre, à l’image du chercheur en sciences politiques Malcolm Ferdinand y préfère le terme de « plantationocène », la colonisation de l’Amérique aurait facilité l’avènement de la société occidentale et de sa relation pernicieuse à l’environnement.
Certaines penseuses féministes proposent une lecture différente. La crise environnementale serait due à la société patriarcale, c’est « l’androcène ». L’homme masculin, par son désir de domination et de puissance, aurait soumis la Nature pour qu’elle corresponde à son dessein.
Anthropocène : l’Humanité responsable de la crise environnementale
Mais le terme le plus largement diffusé reste celui d’Anthropocène : l’ère de l’Humanité. Il admet que l’Humanité dans son ensemble est responsable de cette nouvelle ère géologique. Une ère qui commence à partir de la révolution industrielle à la fin du XVIIIe siècle, là où l’Humanité s’est engagée dans cette « Grande accélération » à partir de la deuxième moitié du XXe siècle, dans une nouvelle forme de société commerciale et industrielle, où l’extraction des énergies fossiles s’est accélérée et où la Nature est devenue un outil au développement de société humaine.
L’activité humaine s’est faite plus pesante sur les écosystèmes, à un rythme jamais observé auparavant. Selon le dernier rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES), le Giec de la biodiversité, au moins 75% de la biodiversité terrestre et 66% de la biodiversité marine sont « sévèrement altérés » par l’activité humaine.
Sortir de la crise environnementale actuelle ?
Ainsi, si l’Anthropocène désigne l’ère de l’Humanité, cela veut dire que la réponse à la crise environnementale se trouve chez l’Homme, dans son idéal de société. Sortir de l’Anthropocène nécessite donc de questionner la place que nous occupons sur Terre. La victoire des sociétés occidentales aura diffusé un mode de vie, de production et de consommation en totale opposition avec les impératifs environnementaux. Et la tendance n’est pas plus positive, le spectre de la marchandisation et de la financiarisation de la Nature n’étant jamais très loin.
En priorisant la croissance économique à outrance et en considérant l’environnement, la nature, la biodiversité, le Vivant, comme des outils utiles à cette dernière, nous avons en quelques siècles détruits durablement les écosystèmes, au détriment même des activités humaines.
Alors sortir de l’Anthropocène, qu’est-ce que cela implique ? C’est d’après l’AEE redéfinir ce rapport que nous portons à la Nature. C’est considérer que l’Humanité n’est pas supérieure à elle, qu’il n’y a pas un un « nous » et un « eux », les êtres vivants, que les Hommes n’ont pas un droit naturel à les dominer. Au contraire, l’Humain doit s’imaginer pour sa propre survie, non pas au-dessus, mais au sein même de ce système complexe qu’est l’environnement.
De nombreux récits voient ainsi le jour pour imaginer cet idéal de société, pour que se transforment les mentalités, pour que l’Anthropocène soit du passé. L’écologie profonde du philosophe norvégien Arne Næss, le symbiocène du philosophe australien Glenn Albrecht, ou bien le Chthulucène de la professeure émérite au département de sciences humaines de l’université de Californie à Santa Cruz, Donna Haraway, infusent dans les milieux académiques, institutionnels et militants sur la relation à la Nature dans un seul objectif, la protection de l’environnement.
Pour en apprendre plus : Écologie profonde (deep ecology) : Définition, origine du mouvement et principes fondamentaux
Buen vivir, une autre relation à la Nature
C’est en soulignant les expériences actuelles et passées présents dans des pays hors de l’occident qu’il est possible de comprendre que cette relation en symbiose avec la Nature, ce n’est pas qu’une utopie.
En Équateur et en Bolivie, deux pays particulièrement avancés sur la protection de la Nature, le concept autochtone du buen vivir y rythme la vie sociale, culturelle et politique, notamment depuis 2008 pour l’Équateur et 2009 pour la Bolivie, où le concept a été inscrit dans leur constitution. Le buen vivir s’attache à entretenir une relation harmonieuse entre l’humain et la Nature et à maintenir le bien-être des humains (conception « écocentrée ») mais pas au détriment de l’environnement – comme la conception anthropocentrée occidentale.
C’est justement cet idéal porté par le buen vivir et les autres mouvements écologistes dans le monde qui prône cette égalité avec la Nature que l’IPBES met en relief dans son résumé du dernier grand rapport sur l’évaluation mondiale de la biodiversité et des services écosystémiques. Le rapport rappelle ainsi toute l’importance de ces imaginaires parallèles plus respectueux de l’environnement et appelle à « Améliorer la collaboration entre les peuples autochtones et les communautés locales, les autres parties prenantes, les décideurs et les scientifiques et leur participation afin de trouver de nouveaux moyens de conceptualiser et d’obtenir un changement en profondeur en faveur de la durabilité ».
Ce « changement en profondeur », nécessaire à la transformation écologique des sociétés, est possible dans le monde à la condition que l’ensemble des strates de la société développe de nouvelles normes et valeurs où l’humain ne domine plus la Nature.
Exiting the Anthropocene? Exploring fundamental change in our relationship with nature — European Environment Agency.
Solón, P. (2018). Le « buen vivir », une autre vision du monde (J. Merckaert, Trad.). Revue Projet, 362(1), 66‑72.
Steffen, W., et al. (2015). The Trajectory of the Anthropocene : The Great Acceleration. The Anthropocene Review.
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