Le réchauffement climatique va-t-il détruire nos capacités agricoles ? Pourra-t-on encore faire pousser du blé, du maïs ou du soja dans 100 ans si les températures continuent à augmenter ? Pas si sûr répondent les experts…
Quand on parle de réchauffement climatique, on a parfois du mal à visualiser concrètement quelles peuvent être les conséquences pour notre vie. Après tout, 1.5 ou 2 degrés de plus sur le thermomètre ne semblent pas un bouleversement considérable… Et pourtant, dans certains domaines, ces quelques petits degrés pourraient faire toute la différence : c’est notamment le cas de l’agriculture.
Les récentes avancées de la science en matière de réchauffement climatique commencent à nous donner une assez bonne idée de la façon dont il pourrait affecter nos activités agricoles. Une étude assez complète vient de paraître sur le sujet et donne des résultats plutôt inquiétants : près de la moitié des cultures de maïs, ou un quart des cultures de blé pourraient bientôt disparaître à cause de l’augmentation des températures.
Comment le changement climatique bouleverse notre agriculture : une question d’eau
Les scientifiques du Potsdam Institute for Climate Impact Research, ont publié la semaine dernière une large étude portant sur l’impact de l’élévation des températures sur les cultures végétales. Pour cela, ils ont soumis différents types de culture (le blé, le maïs, le soja) à des situations d’exposition à des températures moyennes plus élevées. Leurs conclusions sont sans appel : chaque jour qu’une culture de maïs ou de soja est soumise à une température supérieure à 30 degrés Celsius, son rendement diminue de 6% environ.
L’explication est simple : lorsque la température est élevée, l’évaporation augmente. De ce fait, l’humidité contenue dans les sols diminue et les plantes ont donc plus de mal à accéder à l’eau pour se développer. Mais ce n’est pas tout. Lorsqu’il fait chaud, les plantes mettent en place des mécanismes d’adaptations naturels : elles ferment leurs pores afin de limiter l’évaporation, et concentrent leur énergie à développer des racines plus profondes et plus nombreuses afin de mieux capter l’eau restant dans les sols. Elles ont donc moins d’énergie disponible pour produire des graines et leur rendement diminue. En d’autres termes, cela signifie que si les températures augmentent, même en irriguant on ne pourra pas empêcher une baisse significative des rendements agricoles si les températures augmentent trop.
Le problème, c’est que dans la majorité des régions agricoles actuelles, la température est déjà élevée. Par exemple dans la région de Wichita aux Etats-Unis, en plein centre des Grandes Plaines où sont cultivés la majorité du blé, du maïs ou du soja américain, on observe déjà 62 jours par an au dessus de 30 degrés, et 12 jours par an au dessus de 38 degrés. Avec 2 degrés de plus, cela posera donc des difficultés énormes aux agriculteurs. Les chercheurs ont ainsi établi que d’ici 2100, au rythme actuel de croissance des températures, les rendements du maïs, du soja et du blé diminueront respectivement de 50%, 40% et 20% dans les zones aux climats similaires aux Grandes Plaines.
Changement climatique, irrigation et agriculture : le défi mondial
Cette étude nous montre que pour l’agriculture le plus grand défi à surmonter dans les prochaines années sera l’adaptation au réchauffement climatique et à la rareté de l’eau. En effet, dans de nombreuses zones dans le monde, on observe déjà des phénomènes de manque d’eau et de sécheresse.
Ces dernières années, les zones agricoles californiennes par exemple ont subi des sécheresses inédites qui ont fait plonger la production de denrées agricoles. En Inde, la crise de la ressource en eau a déjà commencé : non seulement elle rend l’agriculture très complexe, mais en plus elle affecte les populations locales qui, privées d’eau, sont contraintes de migrer vers les villes. Au niveau des grands delta asiatiques comme le Mékong, où est produite l’écrasante majorité du riz mondial, la sécheresse a complètement détruit les rizières et les zones cultivables. Plus d’un milliard de dollars de production ont été perdus au Vietnam et au Cambodge, la production de riz ayant diminué de 6.2%. Dans le même temps, l’assèchement des détroits a entraîné la disparition d’environ 10% des espèces de poissons qui vivaient dans ces écosystèmes.
Partout, on commence à percevoir les conséquences d’une augmentation des températures. Même en France, on a observé en 2016 des sécheresses importantes dans le Sud-Ouest, dans la Beauce ainsi que dans le Sud-Est, qui sont des zones de production agricole essentielles. Pour tous les producteurs mondiaux, le défi des années à venir sera donc de savoir s’adapter à ces nouvelles contraintes…
Quelles solutions pour l’agriculture face au réchauffement climatique ?
Mais ce défi ne sera pas simple à résoudre… En effet, la lutte contre le changement climatique semble à l’heure actuelle assez mal partie. Pour ralentir réellement le changement climatique, il faudrait agir dès maintenant sur nos émissions de CO2 afin de les diviser par 4 le plus rapidement possible. On sait donc d’ores et déjà que les températures vont continuer à augmenter dans les années à venir… et que l’agriculture va devoir s’adapter à ces nouvelles conditions de production.
D’après les auteurs de l’étude du Potsdam Institute, les zones de production vont d’abord se déplacer. Les cultures gourmandes en eau vont devoir migrer vers le Nord pour profiter de climats plus favorables. Mais même ainsi, il sera difficile de maintenir les rendements actuels. Certains réfléchissent donc à des moyens de rendre les cultures plus résistantes à la sécheresse, notamment via le développement d’OGM. Un groupe d’étude argentin aurait ainsi développé un soja génétiquement modifié capable de produire 14% de plus en période de sécheresse par rapport à un soja classique. Mais ces « innovations » sont pour l’instant loin d’être au point : on ne connaît pas encore bien les conséquences écologiques de ces OGM, ni leurs conséquences sanitaires. Elles suscitent donc logiquement l’inquiétude de beaucoup de consommateurs.
La vraie solution pourrait venir d’une réforme profonde de notre agriculture. Dans une étude publiée en 2016, l’International Panel of Experts of Sustainable Food préconisait la transition vers une agriculture moins centralisée, guidée par les principes de la permaculture. L’idée ? Remplacer l’agriculture industrielle par une forme de permaculture agro-écologique fonctionnant autour de la poly-culture, travaillant des variétés adaptées à leur écosystème local. La FAO (organisme de l’ONU pour l’agriculture) a également publié en fin d’année une étude allant dans ce sens en conseillant la transition vers une agirculture agro-écologique et diversifiée pour maintenir la production. L’idée serait alors de moins solliciter le sol avec des monocultures très gourmandes en eau, et de privilégier des cultures complémentaires, nécessitant moins de ressources. Cela voudrait aussi dire qu’il faudrait limiter l’élevage intensif, qui engloutit chaque année une bonne partie de la production agricole mondiale. Et surtout, rationaliser l’agriculture pour éviter le gaspillage alimentaire, qui représente 40% de notre production annuelle.
Il y a donc un grand défi à relever pour l’agriculture dans les décennies à venir. Il s’agit de comprendre l’urgence que représente le réchauffement climatique et de s’y préparer, de s’y adapter. Car jamais nous ne pourrons maintenir nos productions agricoles dans les conditions qui s’annoncent, si on ne fait pas la transition vers des modèles agricoles plus durables et moins intensifs. La question qui reste en suspend est donc la suivante : prendrons nous le virage à temps ?