Ce sont de vieilles habituées de nos côtes, et comme (presque) chaque été, elles sont de retour avec leur lot de désagréments. Non je ne parle pas des méduses ou des vagues de touristes mais des algues vertes : cette plaie typiquement bretonne qui fait de nous la risée des Méditerranéens. Des quolibets qui pourraient bientôt appartenir au passé : pour la seconde année consécutive le tonnage d’algues ramassées est en baisse, comme la concentration de nitrates dans les rivières, si bien que l’on n’hésite plus à annoncer la fin de ces invasions vertes pour 2027. D’où viennent ces marées vertes et quels sont les efforts consentis pour arriver à ce résultat ? Zoom sur un petit monde qui provoque de grandes conséquences.
Algues vertes : la conséquence de notre mode d’alimentation
Les marées vertes sont une des conséquences les plus visibles de notre mode de vie. En 30 ans, entre 1970 et 2000, nous avons multiplié par 5 les apports de la terre à la mer. Parmi ces apports se trouvent de nombreux nutriments comme les nitrates et les phosphates, qui forment les ingrédients principaux des engrais dont nous sommes si friands. L’agriculture intensive pratiquée partout en France a créé d’importants stocks de ces nutriments dans les sols, qui se déversent dans la mer à la suite des pluies qui entraînent un lessivage des surfaces cultivées.
Or la présence de ces nutriments en grande quantité dans les estuaires au printemps entraîne une explosion du développement de certaines algues ( Ulva armoricana et Ulva rotundata) que l’on appelle plus communément « Laitues de mer ». Ces algues sont normalement dévorées par les poissons brouteurs, malheureusement dépassés par les quantités. Profitant des courants et des marées, ces algues s’échouent donc par centaines de tonnes dans les baies bretonnes. Leur dégradation par le soleil va se faire sans oxygène (condition anaérobie), ce qui va entraîner une odeur infecte et un dégagement d’hydrogène sulfuré : le ramassage est donc vital pour les riverains, les touristes et la biodiversité des plages qui étouffe sous cet épais manteau en putréfaction.
L’impact des algues vertes se fait aussi sentir sur la pêche à pied et sur la santé de la conchyliculture, importante en Bretagne Nord. L’eutrophisation (appauvrissement de l’eau en oxygène) et la dégradation de la qualité sanitaire de l’eau affaiblissent les huîtres et les moules déjà fragilisées par des épisodes de mortalités estivales.
Ajoutez à cela le fait que ces algues constituent des stocks au fond de l’eau pendant l’hiver, qu’elles ont une capacité très importante à assimiler les nitrates et qu’elles se reproduisent par segmentation (chaque partie coupée devient un individu) et vous aurez une idée de la difficulté à combattre cet ennemi !
Les causes anthropiques ne font plus de doute depuis des années : c’est sur celles-ci que se sont portés tout les efforts depuis les années 90, pour limiter les flux de nitrates et de phosphates dans les rivières.
Algues vertes : des espoirs bien optimistes
Après des décennies de lutte, l’optimisme semble de retour sur les plages. Depuis quelques années, les ramassages d’algues se font moins importants tandis que les plans de gestion (Bretagne Eau Pure, Plan Algues Vertes depuis 2010) sont de plus en plus efficaces. Il résulte de ces plans de gestion une baisse de la concentration de nitrates dans les cours d’eau bretons mais encore insuffisante pour stopper le phénomène des marées vertes.
De l’espoir il y en a eu aussi lorsque l’Etat a commencé à s’intéresser à ces échouages massifs d’algues vertes. On parlait recyclage, réutilisation, fertilisation ou encore méthanisation : tout un ensemble de débouchés envisageables pour transformer cette nuisance en opportunité.
Il faut bien avouer qu’à l’heure actuelle, rien de concluant n’a été découvert pour offrir un débouché aux centaines de tonnes d’algues ramassées tous les mois. La raison est simple : les marées vertes sont une pollution, qui coûte cher et que l’on cherche à réduire. Elle n’est pas une filière pérenne pour une réutilisation afin de créer de l’énergie (méthanisation) ou développer de nouveaux usages : les investisseurs ne se sont donc pas pressés au portillon.
Algues vertes : les autres facteurs
De plus, une importante variation des échouages se fait sentir d’une année sur l’autre. S’il faut bien sûr y voir en filigrane l’impact des plans de gestion des nitrates, on oublie bien trop souvent les phénomènes extérieurs : les tempêtes hivernales et la morphologie côtière jouent un rôle important dans le développement des algues vertes.
Les premières permettent de renvoyer en mer les stocks dormants d’algues, ou elles seront assimilées par l’environnement. Elles entraînent également une disparition des panaches de nutriments dans les estuaires : il est intéressant de noter que l’année 2016 a connue 4 tempêtes importantes en 3 mois, tandis que l’hiver précédent a été calme. Le résultat ne s’est pas fait attendre : 451 tonnes ramassées en juin 2016 en baie de Saint Brieuc, contre 684 tonnes d’algues l’année précédente.
La morphologie littorale également joue un rôle important : seules les baies peu profondes, ensablées et avec peu de courants sont sujettes aux invasions d’algues vertes. A l’échelle de la Bretagne, il s’agit de 8 sites prioritaires et d’une cinquantaine de zones fréquemment touchées depuis 1997. Les baies de la Fresnaye et de Saint-Brieuc, la grève de Saint-Michel (Côtes-d’Armor), les anses de Locquirec, l’Horn-Guillec et Guisseny ainsi que les baies de Douarnenez et de Concarneau (Finistère) seront donc les cibles principales du nouveau plan Algues vertes 2017-2021, pour un montant total de 130 millions d’euros.
Si l’argent afflue à travers ce Plan Algues Vertes c’est principalement parce que la France encoure de sévères pénalités auprès de l’Union Européenne. Elle s’est en effet engagée à éradiquer le problème des marées vertes d’ici 2027, soit dans 10 ans, une échéance qui arrive à grands pas.
Même s’il faut se garder de tout triomphalisme en raison de l’impact des tempêtes et des hivers rigoureux sur les stocks dormants d’algues vertes, les premiers résultats sont encourageants : les agriculteurs se sont emparés des techniques de limitation des flux de nitrates. Sur la baie de Saint Brieuc, l’une des plus touchée, ils sont 90% à s’être engagés à limiter ces fuites sur leurs parcelles. Plantation d’espèces nitrophiles absorbant les excès de nitrates, bandes enherbées entre les cours d’eau et les champs, plafonnage de la quantité d’azote épandable… Toutes ces mesures prendront du temps pour fournir des résultats concrets. Pour cela, la Bretagne a un autre avantage : une faible quantité d’eaux souterraines, ce qui limite les stocks d’eau contaminée.
S’il a fallu du temps pour que la France se saisisse du problème des pollutions de l’amont sur l’aval, elle semble enfin y mettre les moyens.