Et si la déforestation et la dégradation de la forêt amazonienne avait un impact sur les écosystèmes du Tibet, à l’autre bout du monde ? C’est ce que montre une étude, qui aide à comprendre comment les écosystèmes mondiaux sont interconnectés.
Les problématiques climatiques et écologiques sont extrêmement complexes, et il est parfois difficile d’en saisir l’ensemble des enjeux. Par exemple, sans que l’on s’en rende compte, les écosystèmes planétaires sont liés entre eux, et les changements écologiques à un endroit peuvent parfois avoir des conséquences à d’autres endroits. Par exemple, la structure des vents au niveau du Pôle Nord définit en grande partie le temps qu’il fait dans l’hémisphère Nord, et notamment en Europe. Lorsque les vortex des vents sont modifiés dans l’Arctique, les écosystèmes peuvent donc être affectés à des centaines de kilomètres de là.
Cette interconnexion entre les écosystèmes est de plus en plus étudiée par les scientifiques, et en particulier les écologues et les climatologues. Et ce sont d’ailleurs des climatologues qui viennent de confirmer une de ces interconnexions entre deux zones très éloignées de la planète : la forêt amazonienne et les hauts plateaux du Tibet. D’après leurs recherches, les modifications écologiques dans le bassin de l’Amazonie provoquent une dégradation des conditions écologiques dans l’Himalaya.
Comment l’Amazonie influence les climats mondiaux
Pour comprendre cette interaction entre deux écosystèmes qui n’ont à priori rien à voir, les chercheurs ont d’abord regardé si une corrélation existait entre les anomalies climatique de la région amazonienne et celles du plateau tibétain. À partir de modèles climatiques fondés sur les mesures des évolutions des températures de l’air au niveau du sol, les chercheurs sont parvenus à démontrer que les variations climatiques sur la région amazonienne étaient corrélés à des variations dans d’autres régions : l’Antarctique, les zones de permafrost sibériennes, les forêts boréales américaines, ou encore le plateau tibétain.
Un peu à la manière d’El Nino, dont les effets se font sentir jusqu’à l’autre bout de la planète, les perturbations climatiques liées aux cycles atmosphériques et aux cycles de l’eau dans l’Amazonie ont des conséquences en cascade sur d’autres régions du monde. Par exemple, on sait que l’Amazonie est l’une des zones où les cycles de l’humidité sont les plus intenses : la présence de rivières et d’une forêt dense favorise l’évapotranspiration, et l’air qui circule dans la zone amazonienne se charge donc en humidité, qui circule ensuite sur la planète, provoquant des régimes de pluies spécifiques dans les différentes zones du monde. La faute à un système climatique complexe, interconnecté, et aux circulations entre les différentes masses d’air sur la planète. Mais alors, que se passe-t-il avec le plateau tibétain ?
Une « téléconnexion » entre l’Amazonie et le Tibet
En poussant l’analyse des modèles, les climatologues ont compris qu’il existait une connexion très forte entre les conditions climatiques amazoniennes et celles du plateau tibétain. Grâce aux vents, et aux courants circulatoires atmosphériques qui parcourent le globe, les masses d’air circulent entre l’Amazonie et le Tibet, en suivant un circuit qui le fait traverser l’Atlantique Sud, puis remonter l’Afrique et l’Asie Mineure, avant de rencontrer l’Himalaya. Schématiquement, cette circulation prend la forme de l’image ci-dessous :
De ce fait, les conditions climatiques autour du bassin amazonien peuvent avoir une influence sur celles du Tibet. Ainsi, on observe que lorsqu’il fait plus chaud en Amazonie, les températures augmentent rapidement également au Tibet. Mais cela ne s’arrête pas à la température. En effet, si l’air circulant par l’Amazonie est moins chargé en humidité, il relâchera moins d’eau (ou plutôt de neige) au moment d’arriver sur le plateau tibétain. Plus il pleut sur l’Amazonie, moins il neige au Tibet.
La dégradation de l’Amazonie affecte l’écosystème tibétain
La forte connexion qui existe entre ces deux zones pourrait s’avérer extrêmement importante pour l’évolution des écosystèmes mondiaux dans un cadre de crise écologique globale et de réchauffement climatique.
En effet, l’Amazonie subit depuis des décennies une dégradation rapide. Que ce soit à cause de la déforestation ou du réchauffement climatique, l’Amazonie est en train de perdre progressivement ses fonctions de puits de carbone et de moteur de l’humidité mondiale. D’ores et déjà, le régime des pluies en Amazonie est perturbé, et la dégradation du couvert forestier limite l’évapotranspiration localement. Mais avec cette étude, on sait que cette dégradation locale affectera d’autres zones, et notamment le plateau tibétain.
Ce plateau est considéré comme « le troisième pôle » planétaire car il a un rôle central dans les circulations d’eau mondiales. La zone abrite les plus grandes réserves d’eau douce de la planète en dehors des calottes glaciaires, et constitue le point d’origine de pratiquement tous les grands fleuves asiatiques (du Mékong en passant par l’Indus, le Yangtse et bien d’autres). 2 à 3 milliards de personnes dépendent directement des ressources en eau du plateau tibétain.
Vers un point de bascule au Tibet ?
Or depuis plusieurs années, les scientifiques ont mis en évidence que cet écosystème est extrêmement fragilisé par le changement climatique et la dégradation globale des écosystèmes. Et l’interconnexion entre l’Amazonie et le plateau tibétain ne fait que renforcer cette fragilisation. La déforestation amazonienne et le réchauffement climatique qui y est particulièrement intense contribue à apporter encore plus de chaleur au plateau tibétain, et rend plus aléatoire le couvert de neige, qui est essentiel à la production d’eau potable localement.
C’est alors tout l’écosystème qui se trouve perturbé, et tous les bassins fluviaux en aval. Au point que les scientifiques évoquent dans leur étude un probable « point de bascule » pour le plateau tibétain. Et même, des points de bascule en cascade, par exemple, si la brutalité des changements écologiques en Amazonie conduit à des ruptures écologiques au Tibet.
Voilà une raison de plus de protéger l’Amazonie, et plus globalement, tous les écosystèmes mondiaux, qui ont parfois des fonctions écologiques à l’autre bout de la planète.
Photo de Jonny James sur Unsplash