L’avion est-il réellement le mode de transport le plus polluant ? Pas forcément ! Tout dépend du type de trajet, du nombre de passager et de la distance. On vous explique tout ça.
Depuis longtemps, lorsque l’on parle de réchauffement climatique, on a tendance à blâmer beaucoup les voyages en avion. En effet, depuis de nombreuses années, l’avion est considéré comme le mode de transport le plus polluant, largement plus polluant que le train, le bus et même la voiture. Mais cette idée reçue correspond-t-elle vraiment à la réalité ? L’avion est-il toujours le mode de transport le plus polluant ? Pas forcément. Explications.
L’avion est-il le mode de transport le plus polluant ?
Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre la façon dont sont calculées les estimations d’émissions polluantes des différents moyens de transport et comment sont faites les comparaisons. Pour connaître les émissions d’un mode de transport (la voiture ou l’avion par exemple) on doit d’abord connaître sa consommation de carburant par km, que l’on va multiplier par un facteur d’émission spécifique (en fonction du carburant utilisé). On peut rajouter à ce chiffre les émissions liées à la phase de fabrication du moyen de transport ou les facteurs d’émissions liées au forçage radiatif dans le cas des avions. Ensuite, ce chiffre est pondéré et divisé par le nombre de passagers et le nombre de kilomètres parcourus et on obtient une valeur en g de CO2 / passager / km (en réalité, on devrait dire équivalents CO2, car ces données intègrent aussi les autres gaz à effet de serre comme le méthane ou les NOx par exemple).
Le problème c’est que lorsque l’on fait ce calcul, on est obligé de prendre un certain nombre d’hypothèses : combien de passagers sont présents dans le véhicule, combien de kilomètres sont parcourus, quel est le type de véhicule, son moteur, son ancienneté etc… De ces hypothèses dépendent le résultat final. Ainsi, si l’on regarde les rapports de l’Agence Européenne de l’Environnement, voici les chiffres que l’on obtient pour les émissions des différents modes de transport en Europe :
- 14 g de CO2/passager/km pour le train
- 42 g de CO2/passager/km pour une petite voiture
- 55 g de CO2/passager/km pour une voiture moyenne
- 68 g de CO2/passager/km pour un bus
- 72 g de CO2/passager/km pour un deux roue motorisé
- 285 g de CO2/passager/km pour un avion
En regardant les chiffres, il semble donc bien que l’avion soit le mode de transport le plus polluant, et ce, très largement. Pourtant, ces résultats semblent contradictoires avec d’autres données sur la pollution des véhicules. Selon l’ADEME par exemple, les voitures neuves vendues en France en 2018 émettaient environ 112 g de CO2/km, et une voiture française (neuve ou ancienne) émettrait en moyenne 223 g de CO2/km. D’où vient cet écart ? Des hypothèses que les chercheurs ont utilisé pour trouver ces résultats ! Et si l’on regarde attentivement ces hypothèses, les choses se compliquent.
Avion, voiture et pollution : des chiffres plus complexes qu’il n’y paraît
Par exemple, on se rend compte que le chiffre de 55 g de CO2/passager/km pour une voiture moyenne prend l’hypothèse que la voiture est occupée par 4 personnes, et que le chiffre de 285 g de CO2/passager/km pour l’avion prend comme taux d’occupation 88 personnes. Ces hypothèses sont-elles réalistes ? Pas vraiment. En réalité, le taux d’occupation moyen d’une voiture en France est de 1.1 personnes par véhicule pour les trajets courts (qui représentent la majorité des trajets quotidiens), 2.2 personnes pour les trajets longs. Quant aux avions, si l’on se réfère aux statistiques d’Air France par exemple, on constate un taux d’occupation moyen de 85.7%. Sachant que le plus petit avion d’Air France (pour les longs et moyens courriers) peut héberger 131 passagers, à un taux d’occupation de 85.7% cela donne 111 passagers par petit avion pour la moyenne basse (et non pas 88).
Finalement, on voit que si l’on prend d’autres hypothèses d’occupation que celles de l’étude de l’AEE, on obtient des chiffres totalement différents : 225 g de CO2 pour un petit avion rempli avec 111 passagers, et 220 g de CO2 pour une voiture occupée par 1 passager (110 g pour 2 passagers par voiture). A cela il faut rajouter que cette moyenne d’émissions recouvre une diversité d’avions importante : de très gros avions pour les longs courriers, ou de plus petits avions pour les vols régionaux. Or plus un avion est gros et lourd, plus il consomme de carburant et donc plus il émet de CO2, mais plus il transporte de passagers, ce qui peut faire baisser ses émissions de CO2 par passager et par km.
En résumé, les chiffres de l’AEE estiment que l’avion est le mode de transport le plus polluant, mais en se basant sur des hypothèses peu réalistes quant à l’utilisation des véhicules. Dans des conditions plus proches de la réalité, on voit que l’avion émet en réalité environ autant de CO2 par km et par passager qu’une voiture. D’ailleurs, lorsqu’on regarde les chiffres de consommation de carburant de avions et des voitures, on s’aperçoit qu’ils sont en général assez proches. Ainsi, un A320 neo de 150 places, utilisé pour les vols régionaux (autour de 1000 km, soit environ la distance d’un vol Lille Marseille), consomme environ 2.25 l de carburant par 100 km et par passager. Un A220 de 135 places utilisé pour des vols de moins de 2000 km consommera environ 1.8 L de carburant par 100 km et par passager. Et un long courrier sera autour de 2.4 (A330) jusqu’à 3.5 (A380) litres par 100 km et par passager. En comparaison, les voitures circulant en France en 2017 consommaient en moyenne 6 L aux 100 km, 4.16 pour les voitures neuves. On voit bien que la différence n’est pas énorme, et que dans certains cas, la voiture peut même consommer plus que l’avion (lorsqu’on est seul au volant par exemple).
Sans compter que d’autres facteurs indirects peuvent encore alourdir le bilan environnemental de la voiture. Les embouteillages par exemple : une voiture coincée dans un embouteillage émet 2.5 fois plus de CO2 qu’en conditions normales. Une voiture avec la climatisation allumée émet 7 à 20% de CO2 en plus. Les voitures émettent également beaucoup plus de pollution aux particules fines localement que les avions.
Selon les études les plus récentes, la voiture serait en moyenne aussi polluante (voire plus) que l’avion
Et puis les technologies évoluent vite, dans un cas comme dans l’autre. Ces dernières années, les émissions de CO2 des avions se sont considérablement réduites, sous l’impulsion de divers programmes d’optimisation technologique et techniques comme l’ACARE2020, les projets Cleansky ou SESAR. Les émissions de CO2/passager/km de l’aviation ont, ces dernières années, baissé beaucoup plus vite que celles des voitures. En 2018, la consommation moyenne des voitures neuves vendues en France a même augmenté de 2.2%, tandis que celle des avions a continué de baisser.
Les données que l’on a l’habitude de voir sur la pollution de l’avion (celles de l’AEE) sont assez anciennes et ne prennent pas forcément en compte ces évolutions technologiques. De ce fait, elles sont à prendre avec précaution. Du côté des études plus récentes, on s’accorde plutôt à dire que l’avion, s’il est extrêmement polluant, n’est pas forcément le mode de transport le plus polluant : la voiture pollue tout autant, et souvent même plus que l’avion sur des distances équivalentes. Par exemple, une étude menée en 2014 par le Transportation Research Institude de l’Université du Michigan affirme que l’intensité énergétique du transport par voiture est en moyenne 57% plus élevé que celle du transport aérien. Autrement dit, la voiture émet plus de CO2 que l’avion en moyenne puisqu’il consomme plus d’énergie pour transporter la même quantité de passagers.
Selon les données avancées par l’ICCT (International Council on Clean Transportation), en moyenne, sur un trajet long, une voiture occupée par 2 personnes émet un peu plus de CO2 que si ces deux personnes avaient pris l’avion. Une voiture occupée par 3 personnes émet en moyenne seulement 15% de moins que si ces personnes avaient fait le même trajet en avion. Bien sûr, la comparaison ne peut se justifier que sur des distances comparables : il est évident qu’on ne fait pas Paris – New York en voiture. Selon les chiffres de 2010 du Commissariat Général au Développement durable, l’avion émet en moyenne 122 g de CO2 par km et par passager, quant la voiture émet en moyenne 155 g de CO2 par km et par passager (105 sur les plus longues distances).
La question du forçage radiatif et la pollution des avions
Alors, l’avion polluerait-il moins que la voiture ? Non plus ! En effet, ces études ne prennent pas forcément toujours bien en compte le forçage radiatif. Ce phénomène se produit à cause des trainées de condensation laissées par les avions : constituées de divers gaz ainsi que de vapeur d’eau, ces traînées bloquent une partie des rayonnements émis par la terre dans l’atmosphère et contribuent donc au réchauffement.
L’impact de ce phénomène sur le réchauffement climatique est difficile à évaluer car il est multi-factoriel mais aussi parce que ces trainées sont temporaires : en gros, le phénomène disparaît quand les trainées disparaissent. Sauf qu’actuellement, le trafic aérien étant en croissance, ces trainées persistent quasiment en permanence.
En général, on estime que pour prendre en compte l’impact du forçage radiatif sur le réchauffement climatique dans la pollution des avions, il faut au moins multiplier par 2 les émissions liées à la combustion. Au final, les avions contribuent donc de façon non négligeable au réchauffement climatique.
L’ADEME estime dans sa Base Carbone que selon le type d’avion et la distance parcourue, les émissions de gaz à effet de serre en équivalent CO2 (incluant le forçage radiatif) se situent autour de 230-240 g de CO2 par km et par passager pour les avions de plus de 100 passagers, (et jusqu’à 1200 g de CO2 par km et par passager pour les plus petits des avions, moins de 50 passagers). En comparaison, une voiture individuelle se situerait en France autour de 223 g de CO2 par km et par passager (un chiffre qui diminue si la voiture transporte plusieurs passagers).
Avion ou voiture pour les longs trajets : lequel pollue le plus ?
Au regard de toutes ces données, il est donc difficile de dire réellement ce qui pollue le plus entre l’avion et la voiture. On peut sans doute dire que sur certains trajets spécifiques, le trajet en avion est parfois préférable en termes environnementaux au trajet en voiture pour les longs voyages. C’est le cas si vous voyagez seuls sur de longues distances, notamment pour les vacances. D’autant que, toutes choses égales par ailleurs, choisir l’avion augmente le taux d’occupation des avions (qui auraient de toute façon fait le trajet, que vous soyez ou non dedans), réduit la congestion sur les routes (et donc les embouteillages) et cela permet donc d’optimiser le système de transport globalement.
Mais plus que de savoir qui pollue le plus, ce qu’il faut retenir c’est que l’avion et la voiture ne sont pas si éloignées que ça en termes de pollution et de contribution au réchauffement climatique. D’un côté, la voiture reste le moyen de transport privilégié pour les trajets du quotidien, que l’on fait souvent seul (pour aller au travail) et qui sur une année représentent en moyenne près de 12 000 km parcourus (pour un Français en moyenne). Et avec des taux d’émissions supérieurs à 220 g de CO2 par km, cela représente une pollution considérable que l’on doit multiplier par un nombre d’usagers très important.
De l’autre, l’avion représente une pollution significative mais souvent limitée à un ou deux trajets par an. En termes de distance, il n’excède souvent pas la distance moyenne parcourue en voiture sur une année (un aller-retour Paris-New York représente moins de 12 000 km par exemple). Et il concerne aujourd’hui moins d’individus que la voiture. En résumé : voyager en avion une fois par an pollue souvent moins que de rouler toute l’année en voiture pour ses déplacements quotidiens.
L’avion reste un mode de transport problématique
Malgré tout, il ne faut pas considérer que prendre l’avion soit un acte anodin. L’avion reste un mode de transport polluant et problématique. Certes, globalement le transport aérien n’est pas le secteur émettant le plus de CO2 (il représente moins de 4-5% des émissions de CO2 mondiales, soit plus de deux fois moins que le transport routier). Mais l’avion reste parmi les modes de transports les plus polluants avec la voiture. À titre d’exemple, sur un trajet de quelques centaines de kilomètres, l’avion polluera 10 à 50 fois plus qu’un train à grande vitesse électrique, ou 5 à 10 fois plus qu’un bus. Le problème du transport aérien c’est qu’il s’ajoute généralement à ceux que l’on fait déjà en voiture. Ce mode de transport est aussi injuste, car ce sont souvent les plus aisés qui l’utilisent, pour générer en quelques heures autant que les trajets quotidiens de la plupart des citoyens. On devrait donc tout faire pour éviter la croissance du secteur aérien, qui génère chaque année de plus en plus de pollutions.
La croissance du secteur du transport aérien, liée notamment à la mondialisation, crée de nouvelles opportunités de transport, dont les pollutions s’ajoutent aux pollutions des transports quotidiens. On découvre ainsi de nouvelles destinations, plus lointaines, ce qui nous incite à voyager plus et plus loin, et donc à polluer plus. Il faut garder à l’esprit qu’un vol Paris-New York en avion par exemple émet environ 1 tonne de CO2. Soit presque la totalité du « budget carbone » annuel auquel un français devrait se limiter s’il voulait vraiment lutter contre le changement climatique (1.22 tonnes par an et par habitant). Dans l’ensemble, réduire ses besoins en transport (en avion, mais aussi et surtout en voiture) est donc la meilleure manière de réduire son empreinte carbone.
Conclusion : privilégiez le train !
Voir aussi : Les Sustainable Aviation Fuels (SAF) : c’est quoi ?