C’est un rapport phare pour la biodiversité mais aussi le climat et les autres défis écologiques. 165 experts internationaux de l’IPBES* ont travaillé pendant 3 ans sur une évaluation de la production scientifique mettant en évidence l’interconnexion des 5 crises mondiales (biodiversité, eau, alimentation, santé et changement climatique) et la nécessité de prendre en compte ce « nexus » dans l’évaluation des politiques mises en place. Ce rapport, appelé Nexus, offre ainsi aux décideurs « l’évaluation scientifique la plus ambitieuse jamais entreprise » en disséquant 70 « options de réponses » réunies dans 10 grandes catégories d’action. Voici ce que l’on peut en retenir. 

Les défis écologiques -climat, biodiversité, pollution…- sont liés (le nexus), les solutions doivent donc être holistiques 

La biodiversité est « en déclin à tous les niveaux, du mondial au local, et dans toutes les régions » : de l’ordre de 2 à 6 % par décennie au cours des 30 à 50 dernières années. Ce déclin continu est dû en grande partie à l’activité humaine, avec la déforestation, l’artificialisation des terres, l’agriculture intensive, la surpêche, la pollution mais aussi le changement climatique. Ses conséquences sont « directes et désastreuses » sur la sécurité alimentaire et la nutrition, la qualité et la disponibilité de l’eau, la santé et le bien-être, la résilience au changement climatique et presque toutes les autres contributions de la nature à l’Homme, note le rapport. 

Dans la logique Une seule Santé (One Health) et des Objectifs de développement durable (ODD), il est donc nécessaire décloisonner notre façon de penser les réponses aux différentes crises. La coprésidente de l’évaluation Paula Harrison prend un exemple particulièrement parlant : la schistosomiase. Egalement connue sous le nom de bilharziose, cette maladie parasitaire peut dégrader à vie la santé des personnes infectées et touche plus de 200 millions de personnes dans le monde, principalement en Afrique. « Traitée uniquement comme un problème de santé, généralement par le biais de médicaments, le problème réapparaît souvent lorsque les personnes sont réinfectées », explique-t-elle. Mais un projet novateur mené dans une zone rurale du Sénégal a adopté une approche différente. Avec succès. « En réduisant la pollution de l’eau et en éliminant les plantes aquatiques envahissantes afin de réduire l’habitat des escargots qui hébergent les vers parasites porteurs de la maladie, cela a permis de réduire de 32 % les infections chez les enfants, d’améliorer l’accès à l’eau douce et de générer de nouveaux revenus pour les communautés locales. »

A l’inverse, des solutions pensées pour maximiser une seule partie du « nexus » vont avoir des conséquences négatives sur d’autres dimensions. C’est déjà le cas de l’agriculture intensive qui vise d’abord à la sécuriser notre alimentation humaine mais qui nuit à la biodiversité, l’eau et le changement climatique.

Les éléments clés du Nexus qui sont interconnectés entre eux – source : IPBES rapport sur les interconnections entre biodiversité, eau, alimentation et santé, décembre 2024.

Nos activités économiques aggravent les impacts sur toutes les dimensions de l’environnement (et vice versa)

Plus de la moitié du produit intérieur brut mondial – soit 58 000 milliards de dollars d’activité économique annuelle dans le monde – dépend modérément ou fortement de la nature en 2023. « Mais les prises de décision actuelles ont donné la priorité aux rendements

financiers à court terme tout en ignorant les coûts pour la nature, et n’ont pas réussi à obliger les acteurs à rendre compte des pressions économiques négatives exercées sur le monde naturel », souligne le rapport. Résultat : les coûts « externes » non comptabilisés qui affectent l’environnement s’élèvent entre 10 et 25 000 milliards de dollars par an, selon Pamela McElwee, l’autre co-présidente du rapport d’évaluation. 

Ces coûts invisibles, ajoutés aux subventions néfastes à la biodiversité (au moins 1 700 Mds $ /an), « renforcent les incitations financières privées à investir dans des activités économiques qui causent des dommages directs à la nature », soit environ 5 300 milliards de dollars par an. Et ce, alors que l’on a de plus en plus de preuves de l’impact négatif du déclin de la biodiversité sur l’économie : une récente note de la Banque centrale européenne évalue ainsi que 72 % des entreprises européennes dépendent de manière critique des services écosystémiques et seraient confrontées à des problèmes économiques importants en raison de la dégradation des écosystèmes, soit quelque 2,88 millions d’entreprises. Or, si l’on tarde à atteindre nos objectifs biodiversité par exemple, les coûts pourraient doubler, souligne le rapport. Et à ce jour, seulement 43% des flux totaux de financement de la biodiversité incluent directement des bénéfices pour un autre élément du nexus. 

En savoir + : Près de 3 millions d’entreprises européennes menacées par le déclin de la biodiversité.

Les conséquences de la crise écologique sont inégales entre les pays et les populations

« Les effets de plus en plus négatifs des crises mondiales qui s’entremêlent ont des impacts très inégaux, affectant de manière disproportionnée certaines personnes plus que d’autres », souligne Paula Harrison. De fait, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des régions qui subissent les impacts les plus importants de la dégradation de l’environnement. Ce sont essentiellement les pays en développement (notamment les petits Etats insulaires) qui sont affectés et les peuples autochtones sont particulièrement touchés. Dans les pays à revenus élevés, ce sont les personnes les plus vulnérables (enfants, personnes âgées, isolées, malades ou en situation de handicap) qui sont le plus impactées. Aujourd’hui, 41 % des personnes vivent déjà dans des zones qui ont connu un déclin extrêmement fort de la biodiversité entre 2000 et 2010 et 5 % dans des zones où les niveaux de malnutrition sont élevés.

Pour y remédier, les auteurs préconisent des actions plus inclusives, liant éducation, réglementations environnementales et innovations, mais aussi « s’attaquant aux moteurs indirects tels que les commerce et la consommation ». 

Il existe plus de 70 pistes de solutions à mettre en œuvre d’urgence 

Si le tableau dépeint par le rapport est loin d’être rose, il n’est pas non plus tout noir. Car le grand apport de celui-ci est d’évaluer plus de 70 « options de réponses » pour aider les décideurs à prendre… les bonnes décisions, en évitant les maladaptations. Parmi les solutions qui ont des impacts largement positifs sur les éléments du nexus, on trouve : la restauration des écosystèmes riches en carbone comme les forêts, les sols et les mangroves; la gestion de la biodiversité pour réduire le risque de propagation des maladies des animaux aux humains (ex: zoonoses); l’amélioration de la gestion intégrée des paysages terrestres et marins ; les solutions urbaines basées sur la nature (ex: végétalisation des villes) ou encore les régimes alimentaires sains et durables ainsi que le soutien des systèmes alimentaires indigènes.

Prises ensemble, ces options soutiennent la réalisation des 17 ODD, des 23 cibles du Cadre mondial pour la biodiversité Kunming-Montréal et des objectifs à long terme de l’Accord de Paris sur le climat. 24 d’entre elles font progresser plus de cinq ODD et plus de cinq des cibles du Cadre mondial pour la biodiversité. Mais certaines, prises isolément, peuvent avoir des impacts négatifs sur les autres éléments du nexus si elles ne sont pas mises en œuvre correctement. C’est le cas de l’énergie éolienne en mer ou des barrages notamment. A l’inverse, les zones marines protégées qui ont associé les communautés à la gestion et à la prise de décision sont un bon exemples de solutions « nexus ». « Ces zones ont permis d’accroître la biodiversité, d’augmenter l’abondance de poissons pour nourrir les populations, d’améliorer les revenus des communautés locales et, souvent, d’augmenter les revenus du tourisme », assure ainsi Pamela McElwee. 

Si l’on continue le business as usual en revanche, nous allons droit vers une catastrophe écologique à partir de 2050/2100 montrent les 186 scénarios issus de 52 études différentes et évalués par l’IPBES.

Une nouvelle gouvernance de l’environnement est nécessaire

« Nos structures et approches actuelles de la gouvernance ne sont pas suffisamment réactives pour répondre aux défis interconnectés qui résultent de l’accélération de la vitesse et de l’ampleur des changements environnementaux et de l’augmentation des inégalités », assure Pamela McElwe. Pour atteindre les 17 Objectifs de développement durable en 2030 (alors que nous ne sommes pas du tout sur la bonne trajectoire), il faut abandonner nos institutions fragmentées et cloisonnées, ainsi que des politiques à court terme, contradictoires et non inclusives pour s’orienter vers des « approches de gouvernance nexus » c’est-à-dire plus intégrées, inclusives, équitables, coordonnées et adaptatives, explique la professeure. L’échec des dernières COP qui n’ont pas réussi à mettre d’accord des Parties aux positions qui semblent de plus en plus opposées sur des sujets pourtant majeurs comme le financement va en ce sens. 

Pour une gouvernance plus inclusive, l’IPBES pousse aussi à l’intégration des peuples autochtones et des communautés locales – reconnus pour être des gardiens de la biodiversité – dans la conception, la gouvernance et la mise en œuvre des solutions. C’est notamment la voie qu’a pris la COP16 sur la biodiversité cette année.

En savoir + : Objectifs de développement durable, le monde est-il en train d’échouer ? 

*Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques.

Illustration: Courtesy of IPBES