À la fois responsable de la destruction de l’environnement et vectrice de transformation, l’entreprise doit se rappeler en permanence la relation qui la lie à l’environnement et changer son rapport au vivant, souligne Emmanuel Delannoy, expert du biomimétisme et de la permaéconomie, lors de la conférence Le Sens et l’Action du C3D, dont Youmatter est partenaire média.
C’est une hécatombe du vivant qui est en cours, la 6ème extinction de masse. L’extraction des énergies fossiles, des minerais, la déforestation, le tourisme ont mis à marche forcée le vivant, c’est-à-dire les animaux, les plantes, mais aussi les champignons, et les bactéries qui peuplent la planète. 75% des milieux terrestres et 40% des écosystèmes marins sont fortement dégradés, selon l’IPBES, le GIEC de la biodiversité.
Une 6ème extinction de masse due aux activités humaines
« Aujourd’hui, nous constatons un taux d’extinction des espèces 100 fois à 1000 fois supérieur au taux d’extinction naturel. Et c’est évidemment lié aux activités humaines », déplore Emmanuel Delannoy, entrepreneur, conférencier et auteur qui a fait du lien entre l’entreprise et la biodiversité sa spécialité. Parmi les 157 190 espèces étudiées par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), sur les 8 à 20 millions estimées sur Terre, 44 016 sont classées menacées en 2023. Depuis 1980, l’Europe a perdu 25% de ses oiseaux, et près de 60 % pour les espèces des milieux agricoles. Même constat pour la population d’insectes volants qui a été divisée par quatre depuis 20 ans dans les espaces naturels protégés d’Europe.
« On oublie qu’il existe aussi une érosion de la diversité, rappelle le conférencier. Lorsque les effectifs d’une espèce diminue, la diversité génétique baisse elle aussi, ce qui entrave leur capacité d’adaptation ». Les espèces deviennent plus sensibles aux agressions extérieures, prédateurs, maladies, aléas climatiques…
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Quelles sont les causes de la disparition de la biodiversité et des espèces ?
Une dépendance de l’économie à la biodiversité
Outre son impact écologique, la disparition de ces espèces représente un poids économique important pour les sociétés. Car « les écosystèmes contribuent à la richesse nationale », rappelle Emmanuel Delannoy. Bien qu’il soit très complexe de donner une valeur exacte aux services écosystémiques, « on estime que les secteurs qui dépendent directement de la biodiversité (secteur primaire, tourisme, industrie agroalimentaire, cosmétique, pharmacie) génèrent 275 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France et 82 milliards d’euros grâce à l’exportation ». Et indirectement, tous les secteurs y sont liées.
L’emploi est aussi fortement interconnecté avec la biodiversité. Ce sont 1,5 million d’emplois en France qui en dépendent directement. 80 % des emplois seraient ainsi impactés par « la dégradation des fonctionnalités écologiques et des services rendus par les écosystèmes ». Pour le secteur agricole, le déclin progressif des populations de pollinisateurs dans les champs a des conséquences directes sur les cultures. 70 à 75% des plantes cultivées dépendent de cette forme de pollinisation explique un rapport de l’IPBES, soit 35% du tonnage de la production agricole mondiale.
La pression anthropique sur les écosystèmes représente par ailleurs un risque sanitaire et social pour les sociétés, puisqu’elle favorise la transmission de maladies de l’animal vers l’humain (zoonose).
La « permaéconomie » pour mettre le vivant au centre des préoccupations de l’entreprise
« L’entreprise doit porter un nouveau regard sur le vivant. Elle doit créer une relation éthique, une éthique du soin et du partage avec lui. C’est le principe même de la permaéconomie », complète l’auteur en référence à l’un de ses ouvrages, Permaéconomie, Réconcilier économie et écologie. Ce concept, inspiré de la permaculture, vise à penser la relation avec la biodiversité, à entretenir les interrelations avec le vivant, « sans chercher à le contrôler pour le laisser prospérer et s’adapter ». En d’autres termes, élaborer une feuille de route stratégique qui accepte le « risque et l’imprévisibilité de la vie ».
Emmanuel Delannoy propose de prendre du recul et de porter un regard sur la biodiversité après chaque succès de son entreprise. « Demandez-vous ce que ce succès doit à la biodiversité ? Que se serait passé si l’entreprise n’avait pas bénéficié de tout ce que nous apporte la biodiversité ? » Car derrière chaque activité humaine, « il y a une forêt, un champ », en définitive « un écosystème naturel » qui l’a rendu possible et que l’on doit protéger.
Savoir se poser les bonnes questions selon Emmanuel Delannoy
« On se dit toujours : il faut qu’on change. Oui, il faudrait changer. Mais qu’est-ce qu’il faut changer ? Pourquoi ? Est-ce qu’on ne se pose pas les questions à l’envers ? Est-ce qu’il ne faudrait pas se poser d’abord la question de dire, mais qu’est-ce qu’il faudrait absolument préserver ?
Qu’est-ce qu’il faudrait absolument conserver ? Ce à quoi on tient, ce qui est fondamental… l’habitabilité de la Terre par exemple, avoir une atmosphère respirable, etc.
Et puis après, si on travaille pour une entreprise, peut-être la rentabilité de l’entreprise et sa pérennité. Or pour préserver cela, est-ce qu’il n’y a pas des choses auxquelles on doit renoncer ? Les changements sont imposés par le fait qu’on a hiérarchisé, qu’on a priorisé ce qu’on voulait préserver.
Enfin, on peut se poser la question de savoir ce que l’on a envie d’améliorer.
Vous voyez que souvent on part à l’envers : on se pose d’abord la question de savoir ce qu’il faut améliorer alors que si on n’a pas hiérarchisé et priorisé, on n’avance pas réellement dans la bonne direction ».
Permaéconomie, Réconcilier économie et écologie, Wildlife, 2021, 160 pages,12€ / Biomiméthique, Répondre à la crise du vivant par le biomimétisme, Ecopoche, Rue de l’Echiquier, 2022, 128 pages, 8 €
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